Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Une démonstration est une activité rationnelle qui consiste à mettre dans un certain rapport des propositions afin d’en dégager une conclusion qui s’impose par la seule logique. Ainsi on considère que la démonstration sert à établir la vérité par la seule force de la raison. Cependant, une vérité démontrée est-elle immuable? Une vérité démontrée a pour principe d’être logiquement nécessaire, il paraît donc évident qu’elle ne peut changer. Mais peut-on exactement parler de vérité ? La question mérite d’être soulevée, car si une vérité est une proposition conforme à la réalité, une vérité immuable implique donc une réalité qui ne change pas. Or, si on peut constater à travers la perception des faits que ces derniers peuvent changer, une vérité devrait donc changer selon les perceptions. Il reste pourtant ceci, qu’une perception s’énonce toujours dans une proposition, or, celle-ci, pour être acceptable par la raison, doit être développée par le discours cohérent qu’offre la démonstration. En ce sens, on est face à un problème. Si une vérité démontrée est immuable, elle ne peut toujours rendre compte des faits or, une vérité non démontrée n’est pas acceptable par cette faculté qui devrait être le seul arbitre de la vérité qu’est la raison. Pour résoudre ce problème, il nous faut d’abord développer en quel sens on peut parler d’une vérité immuable et pourquoi elle le serait particulièrement venant de la démonstration. Deuxièmement, nous considérerons aussi toutefois de voir pourquoi une proposition démontrée est un critère insuffisant pour établir la vérité. Finalement, remarquons pourquoi ni croire en une vérité immuable produite par la démonstration ni faire preuve de scepticisme absolu vis-à-vis de cette dernière n’est bénéfique à la vérité.
I) Une vérité démontrée est établie universellement par la raison.
1. Une vérité doit être immuable
Demandons-nous d’abord pourquoi une vérité devrait être immuable alors qu’après tout les faits auxquels elle veut se conformer peuvent changer. Le désir d’être dans le vrai semble être une réponse naturelle de l’homme aux inconvénients de l’erreur et de l’illusion. Une vérité a donc pour raison d’être l’établissement de connaissances fiables. C’est pourquoi dans son rapport au monde, l’homme a besoin de repères consistants. Pour cela, il lui faut organiser de l’unité dans le multiple, distinguer de l’identité dans le divers et saisir de l’invariable dans le changement. Ces tâches sont la responsabilité de la raison tant l’entendement des faits qui est dépendant des circonstances d’observations et parfois instables à cause du manque d’objectivité. La raison s’oppose ici à l’opinion qui s’arrête à l’état d’une perspective relative à une circonstance subjective comme la perception sensible, le sentiment, l’habitude personnelle ou culturelle. Le fait est que sans cette volonté de l’immuable, toutes propositions sur le réel ne vaudraient rien. Sans le sens de l’immuable, toutes perspectives subjectives seraient acceptables, or, cela reviendrait à signifier qu’on peut tout dire et finalement rien.
2. La démonstration offre à la vérité son immuabilité.
Considérons maintenant que cette immuabilité est procurée par l’universalité rationnelle qu’offre la démonstration. Définissons d’abord ce qu’est cette dernière. Selon Aristote, c’est « un discours tel que, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement par le seul fait de ces données ». Illustrons ceci par son fameux syllogisme. « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel ». On remarquera ici que la mortalité de Socrate est établie par la seule nécessité logique. Elle n’a pas besoin d’être observée dans les faits. Ce qui est intéressant à noter est le fait que la vérité est établie par la seule force de la raison. Par exemple, ce n’est pas parce que l’énoncé est d’Aristote, dont le nom devrait faire ressentir une certaine autorité en matière de pensée logique, qu’elle doit être nécessairement vraie. Il s’agit ici d’une conclusion qui s’impose de soi, en dehors de toute considération sensible, en vertu de la seule cohérence et de la rigueur du raisonnement.
Une vérité démontrée semble donc être immuable tant la raison en est l’arbitre. Toutefois, si la qualité d’une bonne démonstration se juge essentiellement par sa cohérence et non par la pertinence interprétative de ses propos vis-à-vis de la réalité, ne peut-elle pas nous détourner de cette dernière ?
II) La démonstration n’est pas suffisante à établir la vérité
1. Une proposition dont la logique est éprouvée n’est pas nécessairement vraie.
Premièrement, il faut remarquer que même si on use de la démonstration dans le projet d’établir clairement la vérité, l’idée que ce qui est logique est nécessairement vrai pose problème. En effet, si on accorde par exemple comme prémisses de simples opinions, la conclusion, aussi logique soit-elle, devrait être aussi une simple opinion. La qualité d’une conclusion est en effet dépendante de la qualité des premières propositions qu’on met en jeu. Considérons par exemple l’enchaînement logique suivant : Tous les hommes sont des menteurs (une opinion basée sur la généralité d’une impression), or je suis un homme, je suis donc un menteur (Une conclusion logique qui ne rend pas compte des faits). Cet exemple montre en fait que la démonstration ne manifeste essentiellement comme vrai qu’un discours acceptable par nos principes logiques. Il s’agit seulement de présenter de la cohérence en évitant les contradictions. C’est pourquoi d’une part, on peut user de la démonstration à titre d’explications de faits concrets à partir de prémisses imaginaires. Il s’agit ici d’une déduction métaphysique qui est la principale force de l’argumentation des idéalistes. D’autre part, on peut tirer de prémisses corroborées par l’expérience une conclusion théorique. C’est la base de la méthode hypothético-déductive. Dans les deux cas, tant qu’on ne vérifie pas par l’expérience ni les prémisses ni la conclusion, on n’est jamais à l’abri de l’illusion.
2. Une vérité démontrée qui est immuable ne peut être tirée que de vérités indémontrables
Théoriquement, une vérité démontrée devrait être immuable si ses prémisses sont définies comme vraies par des critères de vérités infaillibles. À cet égard, on considère généralement que l’évidence est un critère suffisant. L’évidence est définie généralement comme une vérité qui s’impose d’elle-même, soit une vérité qui n’a plus besoin d’appui extérieur à la proposition qui l’énonce. Considérons par exemple le premier postulat d’Euclide : « entre deux points on peut toujours tracer une droite ». Ici, à première vue, la proposition semble être consistante en elle-même. Toutefois, il est difficile de s’assurer d’une véritable évidence tant qu’on s’arrête sur des concepts non démontrés. Pour s’assurer de la consistance du postulat d’Euclide, il faut encore définir l’évidence de ce que sont un point et une droite. Considérons à cet égard le point qui est cette figure dont la partie est nulle. Ce qui signifie paradoxalement entre autres qu’il n’est ni un tout ni une partie, car l’un ne devrait être défini que par l’existence de l’autre. Il y a donc ici une vérité qui s’impose qu’une convention pragmatique en vertu de l’impossibilité d’approfondir plus loin. Une évidence peut donc n’être encore que la surface des choses de sorte à signifier qu’il est difficile de la distinguer de son simple sentiment. En effet, on croit qu’il devrait y avoir des évidences, des seuils que la raison ne peut qu’accepter comme vraies. Or, on ne pourrait en toute rigueur expliciter pourquoi ce que l’on ressent comme une évidence en est vraiment une et non un simple sentiment de certitude.
Une vérité démontrée est donc immuable si elle convient d’abord à l’objectivité d’une interprétation vis-à-vis des faits et que ses prémisses sont évidentes. Ce qui revient à dire que la vérité ne dépend pas essentiellement de la démonstration. Mais à quoi sert alors la démonstration vis-à-vis de la vérité?
III) La démonstration est nécessaire à la recherche de la vérité
1. La faillibilité de la démonstration nous enjoint à être humbles vis-à-vis de sa prétention
La démonstration n’offre certainement pas de vérités immuables tant que la vérité de ses prémisses n’est pas absolument certaine. Toutefois, le fait qu’une démonstration ne soit pas infaillible donne à considérer une certaine humilité vis-à-vis de la vérité qu’on croit qu’elle offre. Le fait est que les démonstrations qui prétendent être absolues sont souvent porteuses d’une conviction subjective. Elles veulent inscrire les faits dans leurs agendas intéressés ou leurs opinions paresseusement élaborées. On craint d’abord ici son usage rhétorique au service des idéologies totalitaires. Comme nous l’avons vu, on peut partir de prémisses fictives ou conventionnelles pour fonder un discours rigoureux qui mène à une conclusion nécessaire. Ensuite, il y a aussi son usage finaliste au service des sentiments. Dans la logique des passions, on est à priori impartial en sélectionnant les faits qui peuvent appuyer nos sentiments inclinés. Enfin, il y a son usage maladroit ou paresseux comme le raisonnement inductif qui prend l’habitude comme suffisant à asseoir une évidence. L’induction peut-être préjudiciable en sélectionnant quelques faits pour prétendre définir l’état absolu des choses. En somme, ce que procure la démonstration comme résultat pertinent devrait rester dans l’ordre de la probabilité et rester ouvert aux nouvelles données qui correspondent à un enrichissement culturel ou aux nouvelles évolutions des faits. Après tout, la raison traduit les faits dans des modèles abstraits figés qu’il faut rester humble sur sa prétention d’objectivité.
2. La démonstration ouvre sur l’autonomie rationnelle
Enfin, d’un autre côté, voir dans la faillibilité de la démonstration le signe qu’il n’y a aucune vérité certaine, et de facto se complaire dans le scepticisme absolu serait baisser les bras un peu trop vite. On peut comprendre le scepticisme comme une conduite prudente, mais il ne faut pas entendre en lui la philosophie de la paresse intellectuelle. Il faut en fait remarquer que comme la démonstration ne répond qu’à la raison, elle nous offre un accès à l’autonomie rationnelle, soit le fait de penser par soi-même. Qu’il s’agisse du sceptique ou du chercheur optimiste, tous deux font l’expérience que dans le processus d’un raisonnement démonstratif conscient et volontaire, notre réflexion est mobilisée par l’examen de nos propos. Il nous est demandé de considérer la raison des implications qu’on opère entre nos propos et d’éclaircir ce qu’on entend exactement dans les concepts qu’on utilise. Que cet examen vise à établir ou à invalider la vérité d’une intuition, ce qui est intéressant est qu’on met à découvert devant la lumière de la raison les pourquoi et les comment de ces intuitions. Il y a donc ici l’opportunité non négligeable d’une remise en question dans le vœu d’approfondir nos idées.
Conclusion
Le problème s’est convergé vers l’aporie suivante : Une vérité démontrée ne peut être immuable, car elle ne peut toujours rendre compte des faits or une vérité non démontrée est inadmissible par la raison qui veut clairement établir la vérité. En effet, il nous a semblé que si une vérité devait être d’abord immuable en qualité de fiabilité, la démonstration qui s’impose par la seule force de la raison n’en pouvait qu’être la première condition tant celle-ci est ce qui permet son universalité. Toutefois, la seule démonstration n’est pas suffisante à établir la vérité, car elle n’a essentiellement de souci que la cohérence. Une proposition dont la logique est éprouvée ne rapporte pas nécessairement une bonne interprétation des faits. Comme la vérité de la démonstration est dépendante de ses prémisses, si celles-ci sont des illusions, alors elle est une conclusion illusoire. Idéalement, donc, une démonstration devrait partir de vérités absolument certaines pour en produire d’autres. Pourtant, dans les faits, elle ne peut partir que de propositions qu’elle considère indémontrables par le sentiment problématique de l’évidence. Ces situations pointent les faiblesses de la démonstration vis-à-vis de sa prétention à la vérité. Toutefois, cela ne devrait signifier que la démonstration est inutile en vue de cette dernière. Déjà cette faillibilité suggère qu’il faut faire attention aux prétentions de vérités absolues, car celles-ci peuvent souvent cacher des convictions qui ne font pas preuve d’impartialité. Mais fondamentalement, il faut considérer que grâce à sa volonté de rigueur et de rationalité, la démonstration donne surtout l’opportunité de penser par soi-même, soit de faire preuve d’une réflexion authentique vers la vérité.