Dissertations

Une société sans technique peut-elle survivre ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de philosophie (corrigé)

Introduction

Quand on parle de société, cela renvoie à une organisation institutionnelle, plaçant chaque individu à un rôle et à un statut bien définis. Ces institutions concernent le droit de propriété, les considérations liées au genre, ou encore le règlement des contentieux entre les individus. Le bon déroulement de la vie en société dépend alors de la pérennité de ces institutions, et s’il y a un changement de structure ou l’incorporation de nouveaux éléments, cette mutation devrait être parallèle aux valeurs tenues par les membres. En côtoyant d’autres groupes voisins à travers le commerce, soit la société tend vers la remise en question de ses propres valeurs, soit elle s’enracine dans son identité actuelle. Dans tristes tropiques, Lévi-Strauss énonce la remarque suivante : « La vie sociale consiste à détruire ce qui lui donne son arôme. Cette contradiction paraît se résorber quand nous passons de la considération de notre société à celle des sociétés qui sont autres ». Cela signifie qu’une société peut encore survivre aussi longtemps qu’elle peut conserver cet aspect de civisme, ou plus précisément donner un titre de citoyen à ses membres. Mais quelle que soit la pertinence de l’organisation étatique, le désordre survient lorsque les moyens par lesquels chaque individu particulier accomplit sa survie font défaut. La santé économique est également en forte corrélation avec le niveau de connaissance et de technique dont dispose une société. Peut-on compter sur la technique et la croissance économique pour assurer la stabilité d’une communauté ? Nous allons décortiquer cette problématique à travers trois paragraphes : le premier traitera de l’importance de la vie matérielle, appuyée par la technique ; le deuxième parlera de la dimension culturelle de la technique ; et le dernier paragraphe sera une synthèse déclarant qu’une culture est obligée d’incorporer d’autres techniques qui ne sont pas les siennes pour pouvoir survivre.

I) La technique a été créée pour servir l’économie

Le but ultime d’une famille consiste à acquérir le maximum de biens en vue de la consommation et pour en constituer un patrimoine. Pour ce faire, il leur incombe de se procurer des moyens pour la création de richesse, et ce, via des connaissances intellectuelles ou un savoir-faire technique. D’ailleurs, l’éducation des enfants consiste à transmettre cet héritage, afin que cette communauté puisse se maintenir en vie. Observées dans une échelle plus grande, les familles s’unissent dans une agglomération plus vaste pour former une société, tout en appliquant ce modèle de base. Marcel Mauss, dans son livre Essai sur le don, Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, écrit : « Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leurs rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre ». Or, sans la technique, l’homme aurait demeuré dans un état primitif où il ne lui est même pas possible de vivre avec son semblable, qui plus est, il ne serait pas capable d’engendrer des descendances et de conserver son espèce. Se dévoilant initialement comme la forme ultime de l’intelligence, la technique est le pilier même de la vie économique, et est considérée comme le signe du développement. Par conséquent, l’homme ne peut pas renoncer à la technique, au risque de renoncer à l’intelligence, ces deux entités lui étant d’une grande utilité pour s’adapter à son environnement naturel. Voici un extrait de la Revue de synthèse historique, écrit par Marc Bloch, soulignant à quel point le niveau technique d’une époque reflète sa structure sociale : « Étroitement limitées dans l’emploi de la force motrice animale, les civilisations antiques ont dû faire un emploi extrêmement large de la force motrice humaine, c’est-à-dire de la main d’œuvre servile ». En effet, l’homme ne se limite pas à subvenir à ses besoins minimaux : son ambition est d’accumuler des richesses en vue d’avoir davantage de prestige aux yeux de ses semblables. D’ailleurs, c’est parce que la société est capable de lui fournir cette sensation d’abondance et de sécurité que l’homme choisit de vivre dans une communauté donnée. Afin d’offrir le confort nécessaire à ses membres, la société est donc tenue de développer ses techniques de production, et les institutions au sein de l’Etat sont créées en vue de promouvoir, directement ou indirectement, la gestion de la richesse. Cet extrait de la Revue sommaire des doctrines économiques de Cournot illustre cette idée : « A coup sûr, ils ne pourraient, ils n’oseraient pas, ne fût-ce que par crainte du ridicule, restreindre la construction des chemins de fer et des bateaux à vapeur, sur le fondement qu’au train dont on y va les gîtes houillers de l’Europe sont épuisés avant cinq ou six siècles ».

Que ce soit dans un métier artisanal ou dans une manufacture industrialisée, la technique est le véritable poumon de l’économie. Toutefois, on rencontre diverses communautés qui privilégient le côté culturel au détriment de l’aspect économique, ce qui est tout à fait légitime.

II) La technique est subordonnée à la culture

La Nation se distingue de l’Etat, dans la mesure où cette dernière est une organisation érigée sous forme d’une convention, mais dont la légitimité repose essentiellement sur la première. En effet, il est plus facile de bâtir un Etat sur la base d’une Nation, car la Nation propose des caractéristiques communes à son peuple, offrant plus de cohésion et de singularité à celui-ci. Ces qualités peuvent être désignées sous le nom de culture, et la politique avancée par l’Etat sera d’autant plus efficace si le peuple présente une unité culturelle. Visant principalement l’efficacité, l’Etat se doit toujours de prioriser les aspects qualitatifs à l’intérieur de sa politique. Cela inclut en même temps l’organisation de la production compatible avec la structure sociale donnée. D’emblée, un peuple refuse une nouvelle pratique qui fait entrave à sa propre vision des choses, même si elle est largement véhiculée par le pouvoir étatique. Selon Jean-Jacques Rousseau, « il ne faut pas confondre ce qui est naturel à l’état sauvage et ce qui est naturel à l’état civil ». Cette citation peut être interprétée de manière telle que faire preuve de technicité relève de la nature de l’homme, telle que son degré d’intelligence le lui permet, mais cette étape le mène vers le phénomène de la culture, qui est un milieu tout sauf naturel. Ainsi, la technique est une pratique acquise dans le cadre de la civilité, c’est-à-dire ce que lui dicte sa culture ancestrale, au point où elle devient une seconde nature. Les techniques étrangères, qu’il s’agisse de l’art vestimentaire, les pratiques culinaires ou encore les méthodes de la maïeutique, sont considérées comme artificielles tant qu’elles ne sont pas encore intériorisées. Cependant, Malinowski déclare dans son livre La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives : « Nous ne connaissons donc la culture qu’à l’état de fait accompli, mais nous ne l’observons jamais, et c’est ce dont il importe de se rendre compte avec toute la clarté possible, à l’état naissant ». Cela dit, l’adoption d’une nouvelle technique se fait de manière très subtile, du fait de l’importance des facteurs culturels. Une technique traditionnelle est toujours satisfaisante tant que la communauté a soigneusement conservé les valeurs relatives à cette pratique. Et le fait de dénoncer une technique comme étant obsolète relève d’un esprit converti au capitalisme. En effet, si nous voulons juger objectivement une pratique par rapport à une autre, ce sera en termes d’efficacité, or cette objectivité est toujours et déjà un choix qui recèle des critères très subjectifs. Ainsi, les techniques prônées par le capitalisme ne sont en aucun cas un stade plus élevé auquel les autres devraient se muter. Utilisée dans le mauvais sens, la technique peut alors engendrer des effets néfastes, surtout lorsqu’elle a été adoptée à tort. C’est pourquoi Sigmund Freud disait dans son livre L’avenir d’une illusion : « Les créations de l’homme sont aisées à détruire et la science et la technique qui les ont édifiées peuvent aussi servir à leur anéantissement ».

Une technique donnée va toujours de pair avec une base culturelle, et dont l’usage devra toujours cibler cette base culturelle. Quant à la survie de la société, elle dépend à la fois de la technique et de la culture.

III) Une société qui n’évolue pas est censée disparaître

Dans chaque époque de l’histoire, une civilisation atteint son apogée, puis plonge dans le déclin pour ne plus être. Ayant perdu son influence sur ses voisins, ce peuple se rend également compte de ses faiblesses, ce qui se manifeste par la chute de son armée et de son commerce. Rappelons que la culture et la technique sont intimement imbriquées, de sorte que si nous souhaitons modifier l’un, nous serons amenés à faire autant sur l’autre. Cela dit, les événements ont fait qu’aucune civilisation ne peut demeurer éternellement, et il a été prouvé que les Nations qui ont pu subsister avec le temps ont fait preuve d’une grande adaptation. Puisque ce changement est également issu de circonstances imprévisibles, nous serons d’accord avec Paul Valéry à travers la citation suivante : « Les événements naissent de père inconnu. La nécessité est leur mère ». Il n’y a jamais eu de société, aussi primitive soit-elle, qui soit dépourvue de technique. Et en constatant que la sienne n’est plus en mesure d’approvisionner ses membres en quantité suffisante de biens, elle opère un mélange équilibré entre l’ancienne et une nouvelle. En d’autres termes, une société est forcée de faire des concessions avec les autres cultures, étant donné qu’elle ne peut vivre en autarcie. Dans la même foulée, un aspect de cette culture change, en même temps que les mentalités qui les adoptent. Alain, dans Les Idées et les Âges, fait cette remarque : « Je dis bien plus ; l’idée que le choix était le meilleur peut tromper encore, si l’on ne se jette tout à soutenir le choix ». Or, cela ne signifie pas pour autant que le peuple a perdu son identité : au contraire, cette évolution s’inscrit continuellement dans son histoire. Cela signifie qu’il est dans l’ordre naturel des choses que la culture incorpore quelques nouveautés, notamment pour la technique. Une société reste ce qu’elle est quel que soit le type de technique qu’elle adopte, et même si la technique traditionnelle est désormais inutilisée, celle-ci restera une référence pour retracer son évolution. En effet, une culture maintient son identité tant qu’elle présente une histoire, et la survie de son peuple dépend de sa capacité à s’adapter avec les circonstances. Dans son livre Le rameau d’or, James Frazer explique d’ailleurs cette nature changeante de la culture : « En des mains expertes, elle deviendra un puissant instrument de progrès, si elle met à nu les points faibles des fondations sur lesquelles est bâtie la société moderne, si elle révèle qu’une bonne part de ce que nous avons l’habitude de considérer comme solide repose sur le sable de la superstition, plutôt que sur le roc de la nature ».

Conclusion

La famille nucléaire est la forme de société la plus élémentaire, regroupant le père, la mère ainsi que les enfants nés de cette union. Étant unis par des liens affectifs et de parenté, les membres de cette communauté se protègent les uns les autres et jouissent ensemble des biens en leur possession. Étendu sur un espace géographique donné, un peuple ne se suffit pas à y puiser les ressources naturelles. Il doit inventer des techniques, d’une part pour faciliter l’exploitation de ces richesses, et d’autre part pour créer et développer d’autres formes de denrées, afin d’en fournir aux générations futures. Ainsi, l’économie en tant que théorie scientifique ou dans son application concrète, se tourne vers cet objectif, ce qui ne peut être atteint sans un énorme capital technologique à l’appui. Mais également, une société subit diverses pressions en côtoyant les autres communautés, bien qu’il détienne des connaissances et des techniques les plus impressionnantes. La technique ainsi que les autres savoir-faire propres à une communauté demeurent pourtant le reflet direct de ses valeurs et de son niveau culturel. Cela dit, une société peut toujours survivre sans sa technique traditionnelle, ce qui est un choix poussé pour des raisons objectives, bien que ces dernières ne soient pas énoncées ouvertement. La technique peut-elle stagner dans une société économiquement forte ?

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Toute La Philo

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