Dissertations

Une oeuvre d’art est-elle nécessairement belle ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les hommes accordent beaucoup d’importance dans le discernement de la vérité qui ne doit pas se confondre avec l’opinion. Ils aspirent en effet à harmoniser le bien-vivre en commun sur la base d’un certain nombre d’idéaux et de vertus que chacun devrait adopter et incorporer. En ce qui concerne la beauté, il s’agit d’un idéal très apprécié dans la société, mais qui engendre également des controverses à cause des différences de goût. En le délimitant à l’intérieur de l’art, nous pouvons tout de même offrir une compréhension claire sur ce concept, ce qui fait l’unanimité des amateurs et critiques d’art. Voici un extrait du livre Questions I de Heidegger : « Au surplus, nous restons nous-mêmes au niveau de l’intelligibilité du sens commun tant que nous nous croyons en sécurité parmi ces « vérités » diverses que nous dispensent l’expérience de la vie, l’action, la recherche scientifique, la création artistique et la foi ». Par définition, une œuvre d’art est reconnue comme telle par sa beauté, or cette prétendue beauté se présente d’une manière tellement variée qu’il est difficile parfois, même pour un expert dans le domaine, de discerner ses limites. Le jugement esthétique doit-il considérer le point de vue de la plèbe ? Afin de répondre à cette problématique, nous aurons affaire à trois paragraphes : primo, nous mettrons en exergue ce qu’est la beauté dans le domaine de l’art ; secundo, nous expliquerons les difficultés rencontrées dans le cadre d’un jugement esthétique ; et pour terminer, nous conclurons que le Beau est inscrit dans l’essence et l’apparence de l’art.

I) La beauté d’une œuvre d’art se distingue de celle d’un objet ordinaire

Tous les objets qui tombent sous nos sens sont soumis à une évaluation esthétique, en vue de les catégoriser pour un usage pratique ou décoratif. Il est vrai que dans le domaine de la connaissance, l’expérience sensible est particulièrement marginalisée à cause de son caractère trompeur, flatteur et engendrant des illusions. Toutefois, le quotidien nous enseigne suffisamment qu’il n’est rien de plus désagréable pour la tranquillité de l’esprit que d’être entouré de laideur, c’est-à-dire des formes désordonnées qui embrouillent notre perception et notre entendement. Dans ce cas, le corps et l’esprit sont tous concernés par cette incompréhension, et refusent même de comprendre dans cette situation. La laideur provoque donc l’indignation, et la société tend inconsciemment à la marginaliser. Dans son ouvrage Ennéades, Plotin propose cette explication : « Est laid tout ce qui n’est pas dominé par une forme ou par une raison. L’idée ordonne, en les combinant, les parties multiples dont un être est fait. La beauté siège donc, en cet être, lorsqu’il est ramené à l’unité, et elle se donne à toutes ses parties et à l’ensemble ». Cette prise de position face à la laideur et à la beauté vise alors un objectif précis, à savoir le service que cet objet pourrait nous rendre. Hormis l’outil qui est validé pour son utilité, un objet ornemental renvoie déjà à une fonction précise, dans le but d’offrir une présence agréable aux sens. Une œuvre d’art, quant à elle, dépasse largement ce rôle de décoration, car sa beauté est à la fois sa cause et sa finalité. En d’autres termes, la beauté d’une œuvre ne doit rien à la société, elle se suffit à elle-même. Soulignons que les objets décoratifs ont été conçus de manière à plaire à une clientèle haut de gamme ou à des cibles particulières, ce qui n’est pas le cas des œuvres d’art. Ces dernières symbolisent la beauté, certes, mais ne plaisent pas nécessairement à tout le monde. Considérons alors ce passage du Critique du jugement de Kant : « Quand en fouillant un marécage on trouve, comme il est arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on dit que c’est un produit de l’art et non de la nature : sa cause efficiente a pensé à une fin à laquelle il doit sa forme ». Cette vision communément admise suppose le fait que tout ce qui est remarquablement beau et sans pareil est classifié parmi les catégories de l’art. Or, nous objecterons que cette beauté ne provient pas nécessairement d’une création humaine, c’est-à-dire le fruit d’une intention qui s’est fait acte, et qui par la suite produit un effet inattendu. En effet, cette création est une sorte de langage qu’il faudrait décoder, et seuls ceux qui sont initiés à cette forme de beauté comprendront son sens. Tout ce qui est beau n’est donc pas nécessairement artistique, il faut que l’objet soit à la fois beau et porteur de sens pour être désigné comme de l’art. Voici une définition qui s’applique à l’œuvre d’art, tiré du Dialogue avec le visible de Huyghe : « Mais cette image, pour accéder à l’art, doit se constituer en un tout organisé et indépendant, n’ayant d’autre but que son accomplissement. Enfin, de celui-ci, l’homme ne peut décider que par une appréciation de valeur, d’une valeur particulière qu’il appelle le Beau ».

La définition du Beau se comprend une fois que nous sommes face à l’authenticité de l’œuvre d’art, ce qui dévoile en même temps son inutilité et son langage qui touche les sens et l’esprit. Mais dans le cercle du jugement esthétique, la beauté se manifeste dans des formes tellement diversifiées qu’il est difficile de reconnaître concrètement le Beau dans son aspect particulier.

II) Dresser un critère universel du Beau est compliqué

L’univers de l’art est un monde à part créé pour rendre réelle l’imagination de l’artiste, et que seuls des esprits éclairés pourraient s’y insérer. Cependant, rappelons que l’artiste et ses œuvres demeurent parmi les êtres appartenant à ce monde. Cela dit, il ne peut exister entièrement coupé de ce milieu ou faire abstraction de ce qui l’entoure. En guise d’inspiration, il prend une situation des plus ordinaires ou un objet qui lui est le plus familier. Et surtout, une fois qu’il achève sa création, il la soumet à la plèbe, afin que celle-ci l’apprécie à sa juste valeur. Le résultat en est que l’œuvre ne sera pas forcément appréciée par le public, et nombreux sont ceux qui ont été censurés parce que contraire aux bonnes mœurs ou à l’idéologie dominante de l’époque. Comme disait Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception : « Allons-nous donc dans le sujet couper l’apparence de la réalité ? Mais la rupture une fois faite est irréparable : la plus claire apparence peut désormais être trompeuse et c’est cette fois le phénomène de la vérité qui devient impossible ». Cet extrait signifie que ce qui s’offre au jugement de l’observateur, c’est l’apparence de l’œuvre. Le sens n’est pas quelque chose de transparent, sinon le signe qui le supporte ne détiendrait aucune fonction, et dans le cas que nous traitons c’est l’œuvre d’art qui joue le rôle de signe. Mais surtout, une œuvre est éternelle dans le sens où il n’est jamais question de modifier son apparence parce qu’elle ne plait pas. Par conséquent, il est très fréquent que l’œuvre perd son statut en fonction du temps et de l’espace, mais demeure pourtant ce qu’elle est. Ce problème de signification est rapporté par Jean Hyppolite dans son livre Logique et existence : « Il n’y a pas de sens avant le langage, pas plus qu’il n’y a d’Absolu ineffable, ou pas plus qu’il n’y aurait de rêve pour celui qui ne s’éveillerait jamais ». Autrement dit, nous ne pouvons en rien dénoncer comme fausseté la manière de signifier provenant de la société. Parallèlement, les experts en art ne peuvent non plus imposer leur vision à la masse, cette dernière parlant un autre langage et dont le champ de pensée est conditionné par plusieurs paramètres. Et entre deux langages distincts, on ne peut choisir lequel est le plus proche de la réalité de l’objet, sauf si nous nous penchons volontairement vers l’un d’eux. Certes, il serait plus facile de questionner directement l’artiste créateur, or cela réduirait à néant le langage qu’il a conçu à travers son œuvre, qui est la manière la plus authentique de parler sans les mots. Ce que les hommes du commun réfutent alors dans la manifestation de l’œuvre, c’est la beauté elle-même. Ce langage leur est inconnu et nous ne pouvons pas leur donner tort, et cette incompréhension peut même toucher le cadre restreint des critiques d’art. Empruntons alors ce passage du Cours de linguistique générale écrit par Ferdinand de Saussure : « Mais dire que tout est négatif dans la langue, cela n’est pas vrai que du signifié et du signifiant pris séparément ; dès que l’on considère le signe dans sa totalité, on se trouve en présence d’une chose positive dans son ordre ».

Le rejet d’une œuvre est chose courante dans le monde artistique, mais cela ne change en rien la valeur intrinsèque de celle-ci. Par conséquent, il faut comprendre que c’est l’homme qui la rend belle par son jugement, puisqu’il n’y a pas de beauté qui existe en dehors de l’existant.

III) Une œuvre d’art est belle une fois qu’elle est achevée

Nous n’entrerons pas dans une critique sur la classification des artistes illustres et dans une étude sur leurs parcours pour y parvenir. Nous dirons tout simplement qu’une œuvre, quelles que soient son apparition et son acceptation dans la ligne temporelle, s’impose d’elle-même pour pouvoir entrer dans la cour des grands. Plus précisément, c’est le jugement des observateurs et des critiques d’art qui a fait qu’une œuvre donnée soit reconnue dans le domaine. Et cette reconnaissance signifie qu’elle révèle une forme de beauté particulière : la beauté est ancrée dans l’essence même de l’œuvre. Soulignons que le jugement est une affaire de connaissance, mais également d’opinion, ce qui fait intervenir des critères extérieurs au monde de l’art. Comme disait Alain dans Les Idées et les Âges : « Les ombres sont toutes vraies, comme elles paraissent. Toutes les ombres d’un homme expliquent la forme de l’homme, et en même temps la caverne, le feu, et la place même de l’homme enchaîné ». Ainsi, la pertinence de ce jugement est relative, et ce serait une indélicatesse de dresser une hiérarchie de beauté des œuvres existantes. Le point de vue des hommes du commun comptent au même titre que celui des spécialistes, car nous ne pouvons taxer de vulgaire l’interprétation des premiers, et celles des derniers ne se basent pas sur quelque chose de foncièrement objectif. Les observateurs ne créent pas le beau, cette tâche a été déjà effectuée par l’artiste, leur rôle c’est de rapporter leur dialogue face à l’œuvre. « L’essentiel dans l’art, c’est qu’il parachève l’existence, c’est qu’il est générateur de perfection et de plénitude », déclare Nietzsche dans La volonté de puissance. Dans le domaine de la connaissance, l’objet n’a pas besoin du sujet pour qu’il se dévoile comme vérité, l’objet en tant qu’existant appelle à la connaissance. Pour le cas de l’art, c’est l’artiste qui est l’origine du beau, cependant il peut exister diverses extensions de cette beauté à travers les interprétations qui en découlent. A l’intérieur de l’œuvre, le beau s’exprime comme une unité, tel un langage qui émet des signes concordants. En nécessairement, ce langage a un sens, ce qui signifie que l’œuvre est nécessairement belle. C’est pourquoi Schopenhauer disait dans Le monde comme volonté et comme représentation : « L’art reproduit les idées éternelles  qu’il a conçues par le moyen de la contemplation pure, c’est-à-dire l’essentiel et le permanent de tous les phénomènes du monde ».

Conclusion

A part la distinction entre l’aspect décoratif et la présence pure, un objet du quotidien diffère d’un objet artistique dans le sens où son existence a été voulue par l’homme, plus précisément par l’artiste. Qu’elle plaise ou non à son entourage, sa création n’est pas destinée à une fonction quelconque, mais seulement à la contemplation. Mais il est des fois où cette apparence n’est pas reconnue, c’est-à-dire non pas trompeuse mais dévoilant un non-sens, c’est l’œuvre toute entière qui est alors rejetée. En effet, il n’y a pas d’autres voies pour faire jaillir le sens d’une œuvre qu’à travers son apparence, alors que c’est sa manière d’apparaître, donc sa beauté qui est réfutée. Quel que soit le jugement qui valide l’œuvre, celle-ci est nécessairement belle ; dans le cas où on la dénigre, elle passe comme inaperçue jusqu’au moment où viendra le véritable dévoilement de son sens. Peut-on dénigrer l’art à cause de son inutilité ?

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