Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Dès qu’on parle d’humanité, nous nous référons immédiatement à l’existence d’un agrégat de connaissances qui s’est constitué pendant des millénaires. Mais également, il nous vient à l’esprit des patrimoines culturels et artistiques auxquels toutes les générations attribuent leur fierté. Ainsi, certaines créations humaines présentent des valeurs d’existence, tandis que d’autres assurent précisément la survie de l’espèce. En ce qui concerne la technique, elle se présente en des formes simples ou plus complexes, et se pratique ordinairement dans le quotidien des hommes. Néanmoins, cette dénomination est un terme très général qui revêt des significations qu’on peut développer de manière métaphysique. Comme disait Heidegger dans ses Essais et conférences : « Cette appellation englobe tous les domaines de l’étant, qui forment à chaque instant l’équipement du tout de l’étant : la nature objectivée, la culture maintenue en mouvement, la politique dirigée, les idéals surhaussés ». Notre monde est donc submergé par la technique, de sorte que les hommes sont tellement divertis par ses produits pour ne plus se questionner sur sa finalité. Le monde des hommes serait-il encore pareil si la technique était déployée selon un autre rythme ? Cette problématique sera détaillée dans les trois paragraphes suivants : le premier expliquera l’importance de la technique pour la survie de l’homme ; le deuxième analysera le caractère superficiel développé par la technique ; et le dernier et troisième fera une synthèse entre la nécessité de la technique et la liberté humaine.
I) L’humanité doit son évolution au progrès technique
En comparant les données démographiques à l’échelle mondiale d’aujourd’hui avec celle d’il y a seulement trois siècles, nous constatons une transformation nettement palpable. Mais aussi, il existe une structure et un rythme de croissance très distants entre les différentes régions du monde. Ce constat est mis en parallèle avec des modes de vie qui tendent à s’uniformiser, associé à une mobilité humaine emportant avec elle des flux de marchandises. L’explication à ces phénomènes peut être résumée à une simple raison : le progrès technique. C’est toute la société qui profite en somme de ses fruits, via un supplément de confort matériel, un accès rapide à l’information ou encore des soins médicaux des plus perfectionnés. Dans son Discours de la méthode, Descartes avance la remarque suivante : « Car même l’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher ». Grâce à la vaccination qui est un impératif déclaré par les autorités sanitaires, certaines maladies ont presque disparu et sont classifiées comme ne devant plus apparaître de nos jours. Dans le monde du travail, l’allègement de certaines tâches autrefois pénibles engendrent des effets bénéfiques sur la santé et la longévité des travailleurs. Le progrès technique a également permis d’aménager des territoires désertiques pour pouvoir accueillir de nouveaux habitants. Un autre critère qui caractérise notre époque est l’avancée du secteur tertiaire poussé par l’informatique, créant par conséquent des branches d’emplois qu’on ne pouvait pas imaginer la possibilité il y a quelques décennies auparavant. Fichte, dans ses Conférences sur la destination du savant, écrit ceci : « La nature est grossière et sauvage sans la main de l’homme, et elle devait être ainsi pour que l’homme fût contraint de sortir de l’inertie état de nature, et de la façonner, afin de devenir lui-même, de simple produit naturel qu’il était, un être libre et raisonnable ». Selon une vision très objective, l’humanité aurait toujours survécu aux guerres et aux famines même sans le progrès technique. Par contre, ces situations désastreuses sont indignes d’une humanité qui se prétend être supérieure au monde animal. Rappelons que la technique existait depuis la première communauté d’hommes qui avaient consenti à vivre ensemble. La différence en est que la possibilité offerte par cette pratique se limitait à la subsistance, et l’acquisition d’une technique améliorée dépendait du commerce insisté avec d’autres cultures étrangères. Mais le progrès a pris naissance avec de nouvelles ambitions de conquérir le monde et d’accumuler en conséquence davantage de richesses. Bien que les profits soient amassés prioritairement par les capitalistes, les répercussions se répandent aussitôt dans la société, et même à l’échelle planétaire. « Dans cet ensemble, les hommes individuels agissent au sein de diverses sociétés de niveau différent, les familles, les tribus, les nations, toutes intérieurement unies spirituellement et, comme je le disais, dans l’unité d’une seule figure spirituelle », écrit Edmund Husserl dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.
Sans le progrès technique, nous serions encore en train de lutter contre des épidémies chroniques ou d’assurer la culture de nos terres en employant une main d’œuvre servile. Mais puisque nous sommes désormais conditionnés par les objets techniques, il devient alors indispensable d’en multiplier les usages.
II) Le progrès technique se nourrit de la tendance vers l’artifice
Ayant élargi ses performances, la technique s’associe à la science pour former la technologie et se frayer une place privilégiée dans le quotidien des hommes. Par conséquent, la technologie devient une référence incontournable en matière de progrès compris dans tous les sens. Une opinion très répandue a donc saisi l’esprit de la masse, stipulant que les diverses branches d’activité doivent être informatisées pour être plus efficaces. Et parallèlement, tous les objets utilisés au quotidien doivent suivre ce rythme, à tel point que ceux qui préfèrent un mode de vie simpliste serait taxé d’arriéré. Cette thèse est illustrée dans cet extrait de La logique de la philosophie d’Eric Weil : « Il l’accepte parce que la seule autre issue est la violence, si l’on exclut, comme nous l’avons fait, le silence et l’abstention de toute communication avec les autres hommes ». Effectivement, l’objet technologique sert vraiment à quelque chose, mais les frontières de l’utilité se situent dans le constat selon lequel il existe une manière plus simplifiée qui aurait pu la substituer. Certes, la simplicité n’est pas l’utilité, pourtant un esprit bien éclairé aurait constaté que des efforts multipliés pour engendrer tel résultat auraient pu être économisés en vue de bénéficier à d’autres entités. Notons que le déploiement de la technologie nécessite une dépense énorme en énergie et en matières premières, alors que ses produits doivent toujours être renouvelés pour avoir plus de performance. Cette explication fournie par Hume dans son Traité de la nature humaine suit la même ligne d’idée : « Une passion doit s’accompagner d’un jugement faux pour être déraisonnable ; et même alors, ce n’est pas la passion qui, à proprement parler, est déraisonnable, c’est le jugement ». Considérée dans sa mise en marche et dans ses produits, la technologie est donc un artifice, à la différence de la science. Cette dernière aurait pu ne rien créer, mais elle demeure toutefois digne d’éloges et très instructive pour l’humanité. Un artifice est ce qui suscite une opinion favorable chez le public grâce à son apparence, et qui sera toujours encouragé car il plaît particulièrement au grand nombre. Mais en réalité, c’est seulement dans le développement de la technologie que ce côté artificiel est indispensable. On peut dire que la technique a achevé depuis longtemps sa mission pour garantir la sécurité de l’homme face aux aléas de la nature. Si la technologie n’a pas été créée, la technique aurait perdu de son prestige, donc il faut une relève qui assurera d’autres missions plus avantageuses. Selon cet extrait du Léviathan de Hobbes : « Ainsi, je mets au premier rang, à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’après la mort ».
Bien que la technologie demeure une activité des plus utiles, elle renferme un côté artificiel que la plèbe ne soupçonne pas. L’homme crée alors les conditions qu’il estime capable d’assurer sa survie, mais il est également libre de choisir une vie pleine d’artifices.
III) Seul l’homme est en mesure de créer de l’utilité
Le monde des possibles fait rêver l’homme, mais une fois qu’il a décidé de le réaliser, ce monde disparaît. La réalité ne lui plaît pas non plus, il a besoin de perfection et lui-même voudrait accéder à ce stade. La technique se dresse alors comme un pont reliant le possible et le réel, et elle doit se tenir toujours présente afin que le rêve de l’homme puisse s’éterniser. En effet, ce qui est véritablement utile à l’homme est d’assurer la survie des générations futures en leur laissant un patrimoine durable. Dans ce cas, la préservation de l’environnement aurait été mille fois mieux que de créer des machines se rivalisant en performance. Ce passage des Miettes philosophiques de Kierkegaard traduit la même idée : « Tout devenir est une souffrance, et le nécessaire ne peut pas souffrir, ne connaît pas la souffrance de la réalité, laquelle est que le possible (non seulement le possible exclu, mais même le possible adopté) se révèle du néant à l’instant où il devient réel ». Même en supprimant le progrès technique aujourd’hui même, nous ne pouvons pas comparer ses conséquences avec ce qu’aurait pu être le monde en n’ayant jamais connu la technique. Que nous soyons interpellés par les méfaits de la technologie, ou que nous nous laissions bercer par des illusions de progrès à l’infini, l’homme ne peut plus se passer de la technologie sans se condamner lui-même. Avec le nombre de population actuel et le mode de vie urbanisé, il serait impossible de revenir dans une situation archaïque basée uniquement sur la pêche et l’agriculture. Un citadin est habitué à produire plus qu’il n’est nécessaire, mais il est incapable de se procurer lui-même le minimum de biens les plus vitaux. C’est en ce sens que Montaigne s’exprime ainsi dans ses Essais : « Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur sur notre grande puissante et mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l’avons du tout étouffée ». L’homme est donc très doué à concevoir des choses inutiles, et très habile également à détourner son esprit pour leur procurer une utilité. C’est le concept d’utilité qui est devenu ambigu, puisqu’il se confond avec le sens de l’objet. Un objet peut avoir du sens, c’est-à-dire qu’il y a une explication pourquoi il est posé là, sans qu’il puisse servir utilement à l’homme. Ainsi, certains objets techniques créés par l’homme sont faits pour impressionner, et le confort qu’ils apportent est le plus souvent vain. Ce n’est pas que l’objet est moins utile que d’autres, mais c’est l’intention première qui vise essentiellement le côté superficiel qui le classifie comme inutile. C’est pourquoi Pascal énonce ceci dans son ouvrage Pensées : « Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qu’il est, qu’il se regarde comme égaré, et que de ce premier cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, les maisons et soi-même, son juste prix ».
Conclusion
Le progrès technique ne se limite pas au champ restreint de la révolution industrielle, puisque cette dernière a ouvert des possibilités insoupçonnées dans diverses branches. Dans la même foulée, il a même transformé la façon de voir les choses, c’est-à-dire a établi de nouvelles normes acceptées par tous. Cela dit, la catégorie de l’utile est imposée à la masse, et tout le monde est obligé de suivre cette révolution sous peine d’être indirectement rejeté. Plongés inconsciemment dans la technologie, les hommes ne peuvent plus distinguer ce qui est réellement utile, et ce qui a été créé pour créer de l’utilité. Le monde possible souhaité par l’homme n’est pas forcément utile, c’est-à-dire que sa situation à court ou à long terme serait plus vivable s’il se résignait dans ce qu’il endure actuellement. Ce qui est sûr, c’est que la technique a bouleversé le paysage à l’échelle mondiale, ce qui est un phénomène irréversible. L’homme est-il en mesure de maîtriser la technique ?