Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
En recourant à la science, l’homme est en parfaite harmonie avec sa propre nature, qui est d’obéir à la raison et de faire confiance au jugement qu’elle émet. Les croyances et les autres disciplines sont sujets à l’erreur et à la fausseté, c’est-à-dire n’est pas conforme à la pensée rationnelle. Un objet qui tombe sous l’observation de la science ne doit donc en aucun cas refléter un aspect irrationnel. La science a horreur de la fausseté, et pourtant elle est impuissante face à l’irrationnel qui échappe totalement à sa compréhension. La science comprend en quoi un énoncé est faux, mais elle ne peut rien dire face à l’incompréhensible. Nietzsche énonce ce passage dans Le Gai savoir : « On dit avec juste raison que, dans le domaine de la science, les convictions n’ont pas droit de cité : c’est seulement lorsqu’elles se décident à adopter modestement les formes provisoires de l’hypothèse, du point de vue expérimental, de la fiction régulatrice, qu’on peut leur concéder l’accès du domaine de la connaissance et même leur y reconnaître une certaine valeur ». Cela dit, la science qui prétend être maîtresse de la vérité a commencé avec le rien, autrement dit par une totale ignorance. Une interprétation, par contre, renvoie à une ouverture permanente aux phénomènes, sans jamais se prétendre à la vérité. Peut-on donner davantage de crédit à une interprétation parce qu’elle serait plus convaincante ? La réponse à cette problématique sera détaillée à travers ces trois paragraphes : premièrement, une interprétation consiste à faire parler les signes ; deuxièmement, la pensée humaine ne se prononce jamais de manière désintéressée ; et troisièmement, il n’y a pas de jugement universel à opérer devant les différentes interprétations.
I) Les phénomènes se dévoilent comme un ensemble de signes
Le premier fait qui se donne à comprendre chez l’homme est son existence, c’est-à-dire son appartenance au monde en tant que corps. C’est à travers cette saisie fondamentale qu’il peut désormais s’ouvrir au monde et reconnaître différents signes qui se rattachent et donnent sens à son existence. La possibilité de l’interprétation repose donc sur la croyance selon laquelle les choses qui se présentent à nous possèdent un sens. Par la suite, nous décelons des signes que notre perception ou notre entendement reconnaît comme révélatrice de sens. Les autres éléments du phénomène ne nous interpellent pas, parce que nous ne les considérons pas comme des signes. Mais surtout, l’interprétation suppose intérieurement que le langage de ces signes est compréhensible par tous. C’est en ce sens que Kant souligne ce passage dans sa Critique de la faculté de juger : « Dans tous les jugements par lesquels nous disons une chose est belle nous ne permettons à personne d’avoir une opinion différente de la nôtre ; et cela bien que nous ne fondions pas notre jugement sur les concepts, mais sur nos sentiments ». On peut dire alors que l’interprétation est avant tout une affaire de jugement, mais un jugement qui n’exige pas nécessairement l’aval des autres, de manière telle que cela va de soi. Le langage est alors le système de signes que l’homme a créé à l’image de sa pensée, et que les autres peuvent interpréter selon leur compréhension. Bien qu’une langue consiste en des règles grammaticales et sémantiques bien déterminées, les autres nations qui ne la parlent pas peuvent néanmoins la comprendre en l’interprétant. Theodor Adorno s’explique dans son livre Quasi una fantasia : « Le langage signifiant voudrait dire l’absolu de façon médiate, et cet absolu ne cesse de lui échapper, laissant chaque intention particulière, du fait de sa finitude, loin derrière lui ». Ainsi, l’interprétation est tout aussi efficace que la connaissance exacte, et d’ailleurs il n’y a pas de connaissance aussi exacte qui n’ait plus besoin d’interprétation. Cet écart manifeste entre connaissance et interprétation offre un réel avantage à cette dernière, de sorte que c’est la recherche du sens qui prévaut face à une connaissance qui requiert toujours un complément. Par l’interprétation, nous faisons parler les signes nous-mêmes tels qu’ils s’offrent à notre compréhension. Ainsi, l’hypothèse d’un objet en soi à connaître, tel que la science et la philosophie le conçoivent, ne peut être validée dans le domaine de l’interprétation. Il existe donc un langage auquel nous devons prêter attention, et que son interprétation nous oriente au-delà de ce que le système de signes nous a préalablement enseigné. Merleau-Ponty s’exprime dans son ouvrage Signes comme suit : « Comme le tisserand, l’écrivain travaille à l’envers : il n’a affaire qu’au langage, et c’est ainsi que soudain il se trouve environné de sens ».
L’interprétation consiste en un langage à interpréter, c’est-à-dire des signes porteurs de sens et qui attendent un dévoilement. Mais étant donné que ce sens renferme un côté abstrait, cela requiert une intervention importante de la part de l’homme qui se présente alors comme sujet culturel.
II) L’interprétation est précédée par divers conditionnements socio-culturels
Rappelons que le fait en lui-même ne parle pas, c’est seulement l’homme, capable de langage, qui désigne les signes intervenant dans l’interprétation. Ainsi, le problème qui se pose est de savoir lequel de l’interprétation et du signe vient en premier, afin de dévoiler la dimension humaine du langage. En effet, le signe provient toujours d’un objet du monde matériel, mais c’est la pensée qui le représente comme tel. Toutefois, le signe ne peut pas être autrement, c’est-à-dire que sa désignation n’est pas le fruit d’un pur arbitraire. Son rôle de représentation reflète déjà une similitude avec l’objet ou le phénomène qui lui est assigné. Rudolf Carnap étend l’explication via ce passage du livre Le dépassement de la métaphysique par l’analyse du langage : « Un énoncé ne dit en lui que ce qui est vérifiable. C’est la raison pour laquelle il ne peut affirmer, s’il affirme vraiment quelque chose, qu’un fait empirique ». Cela signifie qu’un signe appartenant à un langage est rattaché nécessairement à quelque chose qui existe concrètement, et l’abstraction n’étant qu’un attribut de la pensée qui conçoit le langage. Et cette référence n’est autre que le monde humain dans lequel il conçoit son existence, et que l’homme a préalablement inséré dans le signe. En interprétant, il effectue alors une lecture de signes, autrement dit il ne fait que dévoiler sa pensée en la transposant dans le phénomène. Il existe alors un rapport intime entre le monde et la pensée, tel qu’il se manifeste dans la culture : tous les signes appartiennent donc à une culture. Avant même que l’homme ait l’intention de signifier, il possède déjà toute une trame de signification préétablie par sa culture. Ainsi, l’homme ne crée pas le sens, et même s’il y a création, il ne peut échapper à ce que le signe lui impose. C’est pourquoi Michel Foucault déclare ceci dans son livre intitulé Nietzsche, Freud, Marx : « Il me semble que le signe va devenir malveillant ; je veux dire qu’il y a dans le signe une façon ambigüe et un peu louche de mal vouloir, et de « malveiller » ». Le signe ne pose jamais de manière indépendante à la pensée humaine, il ne ressemble pas aux autres objets du monde qui existent de fait. Le sens dépend alors entièrement de ce que l’homme en fait, et d’ailleurs il n’y a pas de signification fausse tant qu’on opère dans le cadre de l’interprétation. Ce cadre précis est le monde culturel, l’interprétation inclut toutes les cultures qui puissent exister. En effet, il n’y a pas de culture qui soit plus méritante que d’autres, c’est pourquoi un signe donné reçoit toujours un sens valable. Richard Rorty développe cette idée dans son livre Science et solidarité : « Nous ne nous représentons pas le fossé qui existe entre la vérité et la justification comme devant être franchi au moyen d’une rationalité naturelle et transculturelle permettant de critiquer certaines cultures et d’en approuver d’autres ».
Dans le cadre de l’interprétation, la pensée n’opère pas de façon neutre, au contraire elle reflète ses acquis via la sphère culturelle. Cela dit, il n’y a pas de comparaison objective à faire entre les différentes interprétations, bien qu’elles contiennent respectivement leur propre forme de rationalité.
III) Toutes les interprétations sont compréhensibles par une pensée rationnelle
D’un côté, il existe le monde physique où résident les signes appréhendés par la culture, et de l’autre la pensée qui est le substrat de la signification. Soulignons que dans le rapport de la pensée avec le monde intervient le langage, ce qui s’opère de manière rationnelle pour pouvoir présenter une compréhension universelle. Cela dit, la pensée peut se déployer selon plusieurs formes de rationalité, cette dernière étant un schéma cohérent par lequel les signes se concordent. En effet, la signification dépend essentiellement de cette rationalité du langage, et ce, indépendamment de ce que son contenu puisse offrir de concret. Le contenu du langage, c’est-à-dire la référence dans le monde physique, est préalablement donné dans le signe. Plus précisément, c’est la manière par laquelle le signe représente le contenu qui est de caractère rationnel. « Comme il serait étrange que la logique s’occupe d’un langage « idéal » et non du nôtre. En effet, que pourrait bien exprimer ce langage idéal ? Mais justement ce que nous exprimons actuellement dans notre langage habituel », affirme Wittgenstein dans ses Remarques philosophiques. Ainsi, on peut très bien comprendre le fonctionnement du langage selon la cohérence de sa forme, et dans la même foulée comprendre en quoi son interprétation puis être révélatrice de sens. Cependant, cette moule commune par laquelle est sortie le langage des signes ne nous permet pas pour autant, ni de faire une comparaison entre les cultures, ni de les étiqueter comme des purs produits de la raison. Voici une illustration qui donne matière à réflexion faite par Horkheimer dans son livre Sur le problème de la vérité : « La théorie que nous considérons comme juste peut disparaître un jour parce qu’ont disparu les intérêts pratiques et scientifiques qui ont joué un rôle lors de la formation des concepts, ainsi que les choses et les états de fait auxquels ils se rapportaient ». En conséquence, il serait indélicat de notre part de présenter une hiérarchisation ou un nivellement entre les interprétations, car ces dernières sont toujours et déjà conditionnées par l’environnement culturel. En s’interrogeant sur l’équivalence des interprétations, nous serons conduits à penser que certaines interprétations seraient fausses. Or, ce serait une procédure dépourvue de sens de classer les interprétations, et dans la même foulée les systèmes culturels, dans deux sections binaires vrai et faux. Il est vrai qu’aux yeux d’un individu particulier, les interprétations ne se valent pas, certains le convainquent mieux que d’autres. Mais ce point de vue ne peut en aucun cas être généralisé. Comme cette illustration donnée par Malebranche dans son ouvrage De la recherche de la vérité : « Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur ».
Conclusion
Les signes sont des éléments appartenant au monde, mais que nous avons assemblé mentalement en guise de représentation pour former une idée. Le sens se dévoile alors à travers le signe parce que nous y avons inséré un contenu derrière son apparence. Force est de constater que le signe est une pure création de la pensée, comme c’est le cas du nombre en arithmétique et de toutes les lettres utilisées pour les variables. Par conséquent, l’interprétation prouve que l’homme est la mesure de toute chose, non seulement dans sa capacité infinie à créer des signes, mais déjà dans sa façon particulière à insérer un contenu à un signe donné. Humains que nous sommes, l’adhésion à une culture et l’indifférence face à la culture d’autrui est chose courante, qui résulte notamment d’un choix pragmatique. Le jugement qu’il est possible de faire sera alors une argumentation à l’intérieur de sa propre culture. La raison a-t-elle un rôle à jouer dans l’acte d’interpréter ?