Dissertations

Suffirait-il de parler la même langue pour se comprendre ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Grâce au brassage des cultures, l’apprentissage des langues devient un outil incontournable pour la profession, mais aussi un phénomène de mode pour montrer qu’on suit l’évolution de notre temps. Même si la langue est le symbole de l’identité nationale, nombreux sont ceux qui préfèrent parler des langues étrangères au quotidien afin de se créer une personnalité. D’une part, les hommes préfèrent la diversité parce que c’est le signe de la richesse, mais d’autre part ils sont sélectifs dans le sens où une langue serait plus intéressante en fonction de l’image qu’elle véhicule. Ainsi, le but de vouloir parler une langue n’est plus précisément la compréhension mutuelle, mais plutôt la reconnaissance de ce que je suis par autrui. Voici un passage cité dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, écrit par Freud : « « Comment allez-vous ? » dit l’aveugle au paralytique. _  « Comme vous le voyez », répond ce dernier à l’aveugle ». Il est des situations où les hommes se comprennent sans dire un mot, et des cas où ils débitent beaucoup de paroles sans recueillir un véritable succès. Le contenu de notre pensée se dévoile-t-il avec évidence sans recourir au langage ? Afin de traiter cette problématique, nous allons dresser les trois paragraphes suivants : le premier énoncera que le support d’une idée ne peut être que le langage ; le deuxième expliquera qu’il y a des idées qui correspondent mal aux signes utilisés dans ce langage ; et le troisième synthétisera qu’une langue n’est utilisable que sur la base d’une même structure de pensée entre les interlocuteurs.

I) Une langue se comprend par des signes et la référence à une réalité

Les hommes reconnaissent leur appartenance à une espèce grâce à la conscience et à l’intuition, et il n’a pas été nécessaire d’établir une convention pour que cela s’accepte à l’unanimité. Si les sens apportent des informations pertinentes sur notre milieu, il faut également les transformer en idée afin qu’elles puissent être communiquées entre individus. D’ailleurs, les mots ont été créés en guise de support élémentaire pour ces idées, et ces signes sont reconnus pour leur caractère universel et leur usage pratique au quotidien. En assurant la fonction de vecteur d’idée, le langage est ce qui réunit les hommes dans la façon de penser et la manière d’agir. Cela se traduit par cette citation d’Auguste Comte, tirée du Système de politique positive : « Un système de communication mentale et morale ne saurait demeurer toujours une source de séparation collective, si les opinions et les mœurs deviennent suffisamment conformes ».Notons que les signes contenus dans un langage se perçoivent par les sens, c’est-à-dire que le langage n’est pas vraiment opérationnel lorsqu’il demeure un dialogue intérieur avec soi-même. Son universalité repose donc sur l’existence de ces signes que tout un chacun peut appréhender, permettant par la suite de différencier un langage par rapport à un autre. La compréhension d’une langue se fait alors à travers la saisie des sons verbaux ou l’écriture, et c’est en ce sens également que l’enchaînement des signes se dévoile par une logique pertinente afin de fournir une idée. Pour ceux qui s’initient à l’apprentissage d’une langue, ce sont les signes qui prévalent, tandis que les connexions logiques peuvent se traduire au fur et à mesure par l’intuition. C’est en ce sens que Ferdinand de Saussure évoque ceci dans son Cours de linguistique générale : « Dès qu’on considère le signe dans sa totalité, on se trouve en présence d’une chose positive dans son ordre ». Toutefois, ni les signes ni les connexions logiques n’ont été conçus de façon arbitraire : ils doivent avoir une forme ou un caractère qui reflète la réalité qu’ils représentent. Il n’y a pas de règle préétablie pour créer les signes, certes, mais cette liberté de l’esprit humain pour rendre compte du réel à sa façon tend vers un objectif précis. Par contre, nous ne pouvons déterminer avec précision avec qui et à quel moment le langage a existé pour la première fois. A travers ce caractère impersonnel, les éventuelles modifications dans l’usage de la langue, que ce soit au niveau du lexique ou de la syntaxe, ne peuvent être effectives que seulement si l’ensemble de la communauté l’adopte comme tel. En effet, lorsque la pensée ne constate pas la relation habituelle entre le mot et la réalité, elle considère ce signe comme inutile dans la sphère de ce langage. C’est pourquoi Jean Hyppolite écrit ceci dans son livre Logique et existence : « La médiation reliant nature et Logos est le seul Absolu, puisque les termes ne sauraient exister indépendamment de cette médiation même ».

Le langage est compréhensible d’une part parce qu’il se réfère à la réalité qui est perçue par tous, et d’autre part parce que les signes qu’il contient sont reconnus par tout un chacun. Toutefois, une réalité dévoile un sens au-delà de ce qu’on perçoit immédiatement, ce qui fait explique la difficulté à comprendre le langage.

II) L’absence de référence n’engendre pas l’absence de sens

Un phénomène est saisi par les sens lorsque le sujet est conscient de lui et du monde auquel il est environné. Cependant, cette fonction perceptive n’est pas un pur automatisme du corps humain, mais renvoie plutôt à une volonté de signifier, c’est-à-dire un effort de dépassement. A part les apports des informations sensorielles pour notre capacité de survie, le monde dans lequel nous vivons est rempli de sens que nous découvrons par l’expérience. En effet, la pensée se penche nécessairement vers l’universalité, mais cela engendre un système clos où le sens est fixé d’avance. L’expérience, par contre, se renouvelle selon le même recommencement sans jamais être la même qu’auparavant. Dans la livre La Pensée et le Mouvant, Bergson écrit ce passage : « C’est ainsi que la métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà de ce qui meut et ce qui change, en dehors, par conséquent, de ce que nos sens et notre conscience perçoivent ». Le langage que nous employons se formule selon des règles bien précises afin que l’idée qu’il véhicule offre un sens exact. Mais ce souci d’efficacité a ses limites : la pensée voudrait évoquer des idées qui n’existent pas dans la réalité concrète, ce qui contredit les règles du langage. Autrement dit, la pensée possède cette capacité d’élaborer des idées qui ont un sens sans qu’il y ait une référence. Étant une démarche propre au philosophe, la métaphysique est un langage à part entière, mais un langage dont les signes ne sont pas communément admis. Tout compte fait, toutes les disciplines qui sont inaccessibles à la plèbe renvoient à un problème de langage : il y a ceux qui ne comprennent pas la mathématique ou les vocabulaires scientifiques, d’autres qui ont totalement déconnectés à la philosophie. Leibniz conforte cet argumentation à travers cet extrait de son ouvrage De primae philosophiae Emendatione : « Et ce n’est pas seulement de la substance, mais encore de la cause, de l’action, de la relation, de la similitude et de la plupart des termes généraux, qu’on ignore à l’ordinaire manifestement les notions vraies et fécondes ». Le fait d’utiliser les mêmes mots pour se parler ne signifie pas qu’on parle la même langue, ce qui fait que le sens compris par les deux interlocuteurs va dans deux sens opposés. Il est vrai que le sens est universellement compris, mais seulement à condition que l’objet qu’il désigne existe réellement et que celui-ci comporte un nom connu par tous. Dans ce cas, nous pouvons très bien changer l’étiquette du nom par un autre selon cette fois-ci les règles d’une langue étrangère. Ainsi, la métaphysique est riche de sens même s’il n’y a pas de langage réellement adapté pour la formulation de ses idées. « Une réponse qui ne peut être exprimé suppose une question qui elle non plus ne peut être exprimée », disait d’ailleurs Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus.

C’est la découverte du sens qui stimule la pensée à parler dans un langage donné, ce qui engendre un effort d’adaptation entre les signes existants et une réalité tout à fait nouvelle. La communication vise la compréhension mutuelle, alors que la pensée peut toujours formuler un langage tacite sans chercher à être compris que par soi-même.

III) L’échec de la communication provient de la confusion des signes

Lorsque je pense une idée, il n’y a pas de confusion en moi, car je peux très bien me le représenter en pensée à travers des signes que j’ai choisis. Mais lorsque je la communique aux autres, il se peut qu’ils ne la comprennent pas, faute d’avoir éclairci au préalable les termes dont je fais usage, ou alors d’avoir omis de désigner en quoi consiste mon exposé. En effet, une communication renvoie à un rapport d’idées conjointes de la part de deux interlocuteurs, ce qui suppose une entente ou une nature identique entre ces deux pensées. Kant conforte cet argumentation à travers cet extrait de la Critique de la Raison pure : « Outre l’humiliation de celui qui la soulève, elle a quelquefois cet inconvénient : de porter l’auditeur imprudent à des réponses absurdes et de donner ainsi le spectacle ridicule de deux hommes dont l’un (comme disait les anciens) trait le bouc pendant que l’autre présente un tamis ». Nous ne pouvons pas transformer un langage afin que nous puissions nous comprendre : il est de notre devoir de faire un bain dans ce nouveau système. C’est pourquoi la métaphysique est considérée comme dépourvue de sens pour certains, parce que ce type de langage et la référence leur sont étrangers. L’usage de la langue nécessité donc un sens communément partagé pour une réalité afin que la langue puisse assurer efficacement sa fonction. Cela dit, l’expérience nous enseigne que le sens précède le langage, mais dans la pure pensée c’est plutôt l’inverse : il n’y a pas de sens sans langage. Merleau-Ponty, dans son ouvrage Signes, énonce ceci : « La parole différencie les significations dont chacune à part n’est pas connue, et c’est à force de les traiter comme connues, de nous donner d’elles et de leur commerce un portrait abstrait, qu’il finit par nous imposer, dans un éclair, l’identification la plus précise ». L’incompréhension provient donc du fait que les interlocuteurs ne parlent pas la même langue, c’est-à-dire sur la base d’un même schéma de pensée. Et pour preuve, l’on constate que deux personnes parlant chacun leur langue peuvent très bien se comprendre par des mimiques en vivant une expérience commune, parce qu’ils reconnaissent réciproquement leur situation. La communication a besoin du langage, mais le langage peut toujours s’opérer en soi sans être communiqué. Néanmoins, le langage ne perd pas son caractère universel dans le sens où le sujet doit faire usage des signes existants qui sont valables dans ce système. Ainsi, l’incompréhension n’altère en rien l’essence du langage, puisque cela provient de l’imperfection du sujet. « On prétend bien percevoir, et cela est de peu ; on prétend bien parler, et cela est presque tout », constate Alain dans Les Idées et les Âges.

Conclusion

Le langage qui est la principale institution héritée depuis des générations, distinguant les races et les cultures entre elles. L’apprentissage de la langue se fait dès la petite enfance, et il est toujours étonnant comment ce petit être parvient à comprendre les mots, alors qu’il est encore incapable de les répéter. En vérité, la raison ne peut nous apprendre à signifier correctement car elle ne fait que calquer sa nature rationnelle sur la réalité que nous saisissons. En effet, le problème de la signification réside essentiellement dans l’incohérence entre la pensée et l’objet, un problème qui ne se résout pas par la rectification du langage. En d’autres termes, c’est à travers le langage que se forme le sens, bien que ce dernier soit intuitivement compris en face d’une réalité. Ainsi, le fait de parler une même langue doit reposer sur des acquis préalables, à savoir la maitrise de ses règles et la signification des symboles. Une fois que l’idée se forme dans la pensée, elle doit être transposée en des signes précis afin qu’elle ne demeure pas une simple intuition. Le langage fait-il obstacle à la pluralité de sens ?

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