Dissertations

Sommes-nous maîtres du progrès technique ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le mode de vie dans tous les pays du monde tend vers une uniformisation, de sorte que les pays qui voudraient conserver la rusticité de leur tradition sont taxés de sous-développés. Désormais, le critère d’évaluation pour désigner une société comme étant développé est le degré de technicité inséré dans chaque branche d’activité. Cela s’observe principalement dans l’informatisation, mais aussi dans la création de divers outils destinés à un usage très spécifique. Le progrès technique ne demeure plus dans le cercle fermé de la recherche, elle devient de plus en plus un incontournable dans le quotidien des hommes. Le rôle des scientifiques est orienté dans l’invention de nouveaux produits qui intéressent les consommateurs, au lieu de se pencher sur les problèmes épistémologiques. « Tel est l’artifice du cinématographie. Et tel est aussi celui de notre connaissance. Au lieu de nous attacher au devenir intérieur des choses, nous nous plaçons en dehors d’elles pour recomposer leur devenir artificiellement », stipule Bergson dans L’Évolution créatrice. De nos jours, le progrès technique a pris une ampleur telle que nous nous focalisons sur son aspect visible et immédiat, sans prendre la peine de reconnaître leur source et de penser ce qu’il en adviendra. La présence permanente de l’objet technique suffit-elle pour nous faire triompher en matière de progrès ? Afin de répondre à cette problématique, nous allons dresser un plan à trois parties : la première annoncera que la technique doit sa réussite grâce à l’appui de la science ; le deuxième analysera que la mutation des valeurs sociales dicte le rythme du progrès technique ; et la troisième conclura que le progrès technique doit être le reflet du sens de la connaissance.

I) La science est le principal moteur de la révolution technicienne

Les historiens retracent les formes de vie humaine non seulement dans la découverte des ossements, mais surtout dans les traces d’outil qui suppose la maîtrise de la technique. Avant même l’invention de l’écriture, la technique est la preuve tangible que l’homme était déjà doué d’ intelligence dans une époque lointaine. Le clivage majeur qui s’est opéré au sein de l’humanité se déclenche pendant la révolution industrielle, où la technique a été exploitée massivement vers la recherche du profit. Cette tendance ne connaît plus de frein, jusqu’à ce qu’elle remplisse les coins les plus reculés de la planète. Comme l’atteste Schopenhauer dans cet extrait du livre Le Monde comme volonté et comme représentation : « Déjà en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l’effort, un effort continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et l’homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être : c’est comme une soif extinguible ». Bien que l’émergence du capitalisme ait été motivée par les Lumières, faisant surgir de nouvelles idées politiques qui ont fait contagion chez divers peuples de l’Europe, la science n’était pas en reste dans cette révolution. Dépassant le stade de la simple théorie, les physiciens et les chimistes découvrent que la matière est manipulable via la synthèse ou la décomposition des éléments. Cela signifie d’une part que les lois qui gouvernent l’univers ne sont plus un secret pour l’homme, et d’autre part que ce dernier est capable de les reproduire à sa façon et selon ses besoins. De là surgit la notion de création artificielle qui substitue la mission de la nature vis-à-vis de l’homme. Ainsi, le monde artificiel reflète à la fois le souci de la praticité et le pouvoir de seconder la force de l’univers. « Ce n’est plus, comme l’autre, une vie intouchable. C’est une vie dont on connaît les mécanismes et qu’on peut donc espérer modifier, sur laquelle on peut espérer intervenir », disait d’ailleurs Georges Canguilhem et François Dagognet dans Le Vivant. En effet, la technique est demeurée la même pendant des siècles, et son évolution reposait principalement sur le commerce avec d’autres peuples. L’homme se complaisait alors avec ce qu’elle lui offrait, ce qui est étroitement gouverné par la force physique de la nature, et cela l’emmenait à croire que sa condition de vie serait une fatalité. Mais c’est surtout avec le développement de la science expérimentale qui se focalise désormais sur la matière concrète que la technique a reçu un grand coup de pouce. Le progrès technique est donc la conséquence nécessaire de la révolution scientifique, car cette dernière a fait reculer les limites de l’infranchissable. Comme le constate Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes en qualité d’agent libre ».

Diverses circonstances, notamment idéologiques et scientifiques, ont soufflé favorablement pour faire apparaître la révolution technique. L’attrait soudain pour la science est certes superficiel, mais elle est lourde de conséquences dans le sens où le quotidien des hommes est conditionné par de nouvelles valeurs matérialistes.

II) Le confort proposé par la technologie devient un incontournable

Ce n’est plus véritablement le savoir qui intéresse le grand nombre, mais plutôt le monde transformé véhiculant une idée de grandeur et de raffinement. D’un point de vue socio-économique, le marché abonde de produits technologiques qui sont destinés à un usage domestique ou professionnel. La conséquence en est que les consommateurs considèrent cela comme étant la nouvelle norme, et se sentent comme exclus de la modernité en se les privant. Ainsi, nous ne savons plus distinguer l’utile et l’agréable, en ce sens que l’agréable est devenue une première nécessité et c’est la société qui l’accepte comme tel. Cela se traduit par ce passage de De la tranquillité de l’âme de Sénèque : « De sorte qu’une fois privé des distractions que les gens affairés doivent à leurs occupations mêmes, on ne supporte plus sa maison, son isolement, les murs de sa chambre, et que l’on se voit avec chagrin abandonné à soi-même ». La technique, qui prend désormais le nom de technologie, œuvre désormais dans la conception d’objets qui dépassent toujours la performance, en taxant la simple praticité comme une obsolescence. Mais afin que cette nouveauté gagne du terrain, il faudrait transformer radicalement la société et la manière de penser de ses membres. En d’autres termes, il faut que la technologie soit accessible pour toutes les couches sociales, ce qui implique l’instauration d’une égalité, ne serait-ce que de manière fictive. La maîtrise de la technologie renvoie tout d’abord à la maîtrise de l’évolution de la structure sociale. C’est pourquoi Tocqueville souligne ce passage de De la Démocratie en Amérique : « Lorsque, au contraire, les rangs sont confondus et les privilèges détruits, quand les patrimoines se divisent et que la lumière et la liberté se répandent, l’envie d’acquérir le bien-être se présente à l’imagination du pauvre, et la crainte de le perdre à l’esprit du riche ». Curieusement, le résultat de la connaissance devient plus important que la connaissance elle-même, d’où la confusion selon laquelle il ne vaut rien savoir si cet effort ne mènera pas à un bénéfice concret. Cette opinion dissimule une autre qui est bien plus destructrice, qui est de confondre la technique avec la science, une illusion qui supprimerait le génie humain ayant son potentiel au sein même de la technique. A cause du progrès technologique, l’homme n’est plus un être doué d’une technique, mais qui l’achète sans savoir la créer. Cela s’observe manifestement dans le nouvel ordre de la division du travail, où le secteur tertiaire acquiert une part croissante au détriment de l’industrie et de l’agriculture qui nécessitent un savoir très technique. C’est en ce sens que Marx fait la remarque ci-après dans Le capital : « L’ouvrier comme un assignat démonétisé n’a plus de cours ».

La technologie gagne du terrain parce que la société s’est adaptée en sa faveur, notamment en inculquant une nouvelle vision des priorités dans le quotidien. Dans ce cas, c’est la technologie qui règne en nous, et il est difficile de faire machine arrière pour pouvoir la maîtriser à nouveau.

III) La maîtrise du savoir consiste dans la recherche du sens

Nous sommes entourés en permanence d’objets technologiques à tel point que cela devient quelque chose de naturel qui ne nous interpelle pas vers un questionnement. Trouvant satisfaction au milieu de ce confort, nous omettons l’origine de ces objets, à savoir une connaissance scientifique qui a nécessité plusieurs siècles de développement. Quant à sa finalité, nous savons pertinemment qu’il sera aussitôt destiné à la poubelle, ou tombé dans l’oubli, parce qu’une nouvelle génération d’outils va le remplacer. La valeur d’un objet se détériore alors avec le temps, alors que c’est le symbole du génie humain renfermant l’accumulation du savoir scientifique. Voici un constat effectué par Max Scheler dans L’homme et l’histoire : « La ferme décision de faire table rase de toutes les traditions relatives à cette question et l’effort pour considérer l’être appelé « homme » avec le plus grand détachement méthodique et le plus vif étonnement permettront seuls encore de parvenir à des conceptions solides ». Il est vrai que c’est par le savoir ingénieux de l’homme que la technologie a pris forme, mais nous ne la maîtrisons pas dans le sens où nous sommes opaques à sa signification. La volonté d’agir doit en effet précéder d’une clairvoyance vis-à-vis du sens, afin que notre action puisse mener vers un but qui exalte notre humanité. Or, le gaspillage et la recherche permanente de nouveauté tels qu’ils sont suggérés par l’outil technologique réduisent fortement l’homme bien en dessous des bêtes. Husserl, dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, nous rappelle à l’ordre en disant ceci : « Le sens d’être du monde donné d’avance dans la vie est une formation subjective, c’est l’œuvre de la vie dans son expérience, de la vie préscientifique ». Rappelons que l’humanité n’a pu s’attribuer un rang supérieur à tous les êtres de la nature que parce qu’il est le seul capable de connaître. Mieux encore, il a su poser la connaissance comme un objet de connaissance à travers la philosophie. Ainsi, l’homme a connu le progrès parce qu’il a su mettre en valeur sa nature raisonnable, alors que la technique combinée à la science n’a fourni qu’une dégénérescence de cette capacité à réfléchir. Il est vrai que la technologie est le domaine du savoir qui a prouvé ses efforts par quelque chose de concret dans une durée s’étalant dans le long terme. Cependant, nous n’avons pas déployé l’effort de la maîtriser, en comprenant son sens, face à la dégradation de notre mode de vie, ce qui est principalement imputable à son essor. Schelling nous avertit dans ses Leçons sur la méthode des études académiques en ces termes : « L’on ne doit attendre cette intuition, en général et de manière universelle, que de la science de toutes les sciences, la philosophie, et par conséquent plus précisément, des seuls philosophes, dont la science particulière est en même temps absolument universelle, et dont l’effort doit être en soi-même déjà tendu vers la totalité de la connaissance ».

Conclusion

La création des édifices qui symbolisent une époque déterminée témoigne également l’avancée de leur savoir-faire, ajouté d’une précision que les autres peuples de leur contemporain n’avaient pu rivaliser. L’idée de joindre la science à la technique est une révélation car ces deux disciplines traversaient les siècles en occupant deux classes distinctes dans la société. La science ne se limite plus dans la connaissance pure réservée aux savants : la plèbe voudrait la faire sienne et savourer ses fruits via le progrès technique. Il est manifeste que la société exalte les personnes exerçant des métiers à vocation scientifique, car non seulement ils sont avantagés en termes de rémunération, mais ils gagnent également en prestige aux yeux de tous. Le progrès technique ne sera considéré comme un véritable progrès que si et seulement s’il contribue au progrès de l’homme. En se débarrassant facilement d’un objet qui a nécessité tant de soin et de savoir-faire, l’homme dénigre également sa propre valeur et son savoir. La découverte du sens de la technique nous promet-elle un monde meilleur ?

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