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Savoir, est-ce ne rien croire ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

En principe, le fait de savoir consiste à être en possession de connaissances considérées comme vérifiées et vérifiables. C’est pourquoi, celui qui sait est certain qu’il est dans le vrai. En ce sens, il semblerait étrange d’inclure l’idée du fait de croire dans celle du fait de savoir. En effet, le fait de croire renvoie au fait d’accepter une intuition comme digne de confiance malgré un manque de développement rationnel ou un manque de preuve empirique pour asseoir définitivement une certitude. Pourtant peut-on s’assurer de la nature absolue de nos savoirs alors qu’on a pu remarquer leur évolution au fil de l’histoire de leur recherche ? Il y a dans cette évolution le signe d’une dynamique entre le doute et la certitude. Ce qui implique qu’au moment de l’autorité culturelle de certains savoirs et qui sont pourtant aujourd’hui considérés comme obsolètes, on a cru en eux et ceci par différents facteurs. Toutefois faut-il entendre dans ce constat qu’un savoir n’est plus ni moins qu’une croyance plus fiable que d’autre et que par conséquent il n’a pas de valeur propre ? Pour répondre à ce problème nous allons développer les considérations suivantes. Premièrement, définissons la distinction nette entre le fait savoir et le fait de croire. Deuxièmement, considérons toutefois pourquoi il y a une participation non négligeable de la croyance à des degrés fondamentaux dans le fait de savoir. Finalement il faut mesurer que même s’il y a un degré de croyance nécessaire dans le fait de savoir, les deux états d’esprit ont chacun leur valeur vis-à-vis de la connaissance.

I) Le fait de savoir est par définition distinct du fait de croire

a. Un savoir se distingue de la simple croyance par le fait qu’il est soutenu par une vérifiabilité.

Premièrement on peut considérer communément que le fait de savoir renvoie à l’idée d’une connaissance dont la véracité a été établie. Cet établissement est possible en vertu d’un raisonnement logique ou d’une expérience scientifique. Dans le premier cas, sa véracité s’établit en raison de la démonstration qui la fonde. Elle est la conclusion d’un discours qui opère sur des évidences rationnelles. Ce sont des mises en relations entre des propositions si claires et si distinctes  que la raison ne peut qu’accepter. On retrouve ce type de savoir dans les mathématiques. Dans le second cas il s’agit de théories dont la certitude est appuyée par une observation empirique encadrée rationnellement. Plus précisément, cette observation dépasse l’expérience empirique ordinaire. Il ne s’agit pas d’interpréter intuitivement son expérience, car ce serait se créer une condition propice à l’erreur et à l’illusion. Cette expérience dite scientifique use d’outils théoriques dont la pertinence explicative n’est pas encore incontestée malgré ses nombreuses épreuves expérimentales. Les savoirs qui en découlent renvoient par exemple aux lois de la physique.

b. La croyance est soutenue par une confiance et non par une preuve absolue.

Deuxièmement, quant au fait de croire, il se distingue du fait de savoir par son caractère subjectif. Le fait de croire n’implique pas que ce qu’on croit soit soutenu par des vérifications absolues. C’est un état d’esprit qui laisse place au doute mais qui accorde une plus grande confiance à son intuition qu’à ce dernier. Il s’agit en fait d’un parti pris au vu de plusieurs facteurs dont le manque d’informations objectives rend propices. En effet, celui qui croit comble généralement le manque de données par des théories qu’il affectionne subjectivement. Un de ces facteurs peut-être un conditionnement culturel lié aux traditions de sa société. Un autre peut-être une expérience personnelle que l’on estime nous inspirer à l’interprétation profonde d’une réalité. Enfin il peut s’agir d’une révélation considérée comme divinatrice ou mystique. Dans tous les cas, le jugement s’est arrêté à un point que son esprit estime comme suffisamment fiable.

Le savoir semble donc par définition s’opposer à la croyance de sorte à rendre impossible leur concert. Pourtant quand on considère dans les faits qu’il y a eu des savoirs qui sont actuellement considérés comme faux et que cela implique donc leur nature fragile, est-il pertinent de rejeter l’idée que la croyance peut-être à l’origine de leur succès provisoire ?

II) On accorde une certaine croyance à la puissance de nos recherches à produire du savoir.

a. Le savoir que produit actuellement une recherche est basé sur la confiance et non sur une certitude absolue.

Premièrement remarquons que les changements que nos savoirs manifestent impliquent qu’il y a eu des réformes, voire des rejets définitifs. On peut citer par exemple la révolution copernicienne qui a rendu obsolète le modèle géocentrique ou la  théorie de la gravitation universelle dépassée par la théorie de la relativité d’Einstein. Par conséquent on ne peut pas s’assurer de produire du savoir définitif mais seulement croire à leur état incontesté dans leur actualité. Le fait est qu’on ne peut écarter la perspective de leur évolution en fonction des nouvelles opportunités de recherches. Ces opportunités peuvent désigner l’apparition de nouveaux faits critiques, comme la découverte de nouveaux espaces à explorer, ou de l’ingéniosité de nouveaux outils théoriques, incluant l’amélioration ou l’invention de nouvelles technologies d’observation. C’est pourquoi dans les disciplines scientifiques on considère qu’un savoir est un modèle théorique dont la pertinence explicative est fiable et non définitivement vérifiée. Cette fiabilité ne répond d’ailleurs qu’aux données actuellement accessibles. Cela signifie que dans la plupart des cas, dont les conditions connues sont bien définies, un savoir devrait rendre proprement compte du fait observé et dans d’autre cas même presque similaires, rien n’est garanti. Un savoir scientifique est donc un modèle d’explication qui, malgré le fait qu’on pense qu’elle est limitée ou qu’elle l’est potentiellement par ses conditions de recherches, ne peut actuellement être que l’objet de confiance et non de certitude. Bachelard nous remarque en ce sens avec perspicacité qu’en science il n’y a que des « erreurs premières ».

b. On accorde une croyance fondamentale au réel rationnel.

Maintenant remarquons que si un savoir n’est pas le produit d’une saisie directe de la réalité c’est qu’il est né de la médiatisation d’une approche de recherche entre l’observateur et le phénomène observé. En ce sens, rien n’assure que ce médiateur soit absolument compatible avec la totalité du réel. En fait, quand on observe le réel avec les lunettes de la raison rationnelle, on remarque qu’il s’agit plus d’une traduction que d’un éclaircissement. C’est la critique du philosophe de l’intuition qu’est Henri Bergson. Dans son ouvrage esprit et mouvant il développe l’idée  que la pensée discursive dans sa tendance à donner un ordre rationnel déforme en quelque sorte le réel. Si le réel est selon Bergson un flux mouvant, les opérations rationnelles le divisent en des observations discontinues prêtes à être casées dans des concepts finis. Le résultat ne peut alors qu’être une traduction morte car il manquera toujours  l’originalité mouvante et créatrice des choses.  Voilà pourquoi il est difficile de rationaliser le sentiment esthétique. Le phénomène du concret n’est pas seulement changeant dans son expérience subjective, il l’est dans sa nature même. Imaginons un morceau de sucre qui se dissout progressivement dans l’eau. Dans cette progression ses différents états sont d’une variété infinie. Si on est toutefois capable d’identifier le morceau à son bloc cubique originaire c’est grâce à la mémoire. Ainsi l’examen rationnel veut suspendre le fait à partir de traces et non à partir d’un vécu continu. Malheureusement la recherche scientifique ne peut que croire en son approche rationnelle du réel car le savoir qu’elle produit sert aussi à la communication rationnelle de nos informations.

Le fait de savoir ne nous assure donc pas ultimement qu’on ait une connaissance dont la vérité soit définitive à l’égard de la possibilité des limites de nos approches. Néanmoins le manque de preuve qui amène à la croyance doit il donc être identifié à la volonté de dépasser ce manque par la recherche du savoir ?

III)  Le savoir n’est pas le produit de la croyance.

a. Le savoir dépasse la croyance

Il est vrai que tout savoir est basé sur des croyances car le raisonnement qui le produit devrait en principe commencer sur des points que l’on ne peut démontrer sinon ce serait remonter à des causes infinies. Néanmoins cette situation ne devrait inspirer ni au pessimisme ni à la paresse intellectuelle car ce n’est pas l’attitude d’un esprit qui veut des connaissances fiables. Le concept du savoir n’a de valeur que si on reconnaît à travers lui l’effort du dépassement des simples opinions ou des préjugés hâtifs. Considérons par exemple le savoir scientifique. Il est vrai qu’on ne peut que lui faire confiance, car on ne peut le vérifier dans l’absolu étant donné que cela demanderait à réaliser des expériences dont les variables sont infinies. Toutefois, c’est un savoir qui a le mérite d’être produit par la volonté d’aller jusqu’au bout de ce que les moyens de recherche de son temps peut offrir. Généralement le scientifique va même inventer un dispositif d’observation inédit qui incarne l’ingéniosité de son hypothèse de recherche. Au contraire, celui qui se complait dans une croyance fermée confond l’humilité légitime de l’état actuel de sa science et la paresse ou la peur de sortir de son confort culturel. Tout du moins le savoir est né d’esprits critiques, d’interrogations, de problématisations et d’essaies théoriques dans le souci d’un dépassement constructif.

b. La croyance ne peut remplacer le savoir

Enfin, si une croyance est certes à l’origine d’un savoir, elle ne le produit pas. La croyance est comme nous l’avons vu nécessaire au développement du savoir. Toutefois il faut considérer que sa participation est celle d’être une intuition et non d’être une vérité confirmée. Une intuition est un phénomène spontané de l’esprit qui invite à réfléchir sur une possibilité ingénieuse. Elle est justement comme le note Poincaré : « l’instrument de l’invention ». Toutefois l’intuition à elle seule reste dans l’obscurité sans un développement rationnel. Le danger est que le jugement peut s’arrêter facilement sur elle alors que sa nature obscure peut cacher des jugements de valeurs subjectifs ou des erreurs de perceptions. Le croyant à d’ailleurs tendance à faire intervenir sa volonté en faveur d’une idée alors que la raison n’est pas totalement satisfaite dans son examen. C’est pourquoi c’est le passage de l’intuition au raisonnement rationnel qui nous permet d’en tirer du savoir tant que celui se veut être fiable. Cette fiabilité est permise par le fait que le raisonnement attire l’attention de l’esprit sur la cohérence des propos qu’on met en jeu dans le développement de l’intuition. Ainsi on peut être certain de sa pertinence ou constructivement tirer de ses erreurs des connaissances pratiques. En somme, la partie constitutive du savoir qu’est la croyance ne devrait pas automatiquement mettre hors-jeu sa fiabilité ni totalement la définir. Il s’agit plus d’un concert dialectique ou l’un joue le garde fou de l’autre pour une approche progressive vers la vérité.

Conclusion

En quoi consiste donc le fait de savoir s’il tient en lui une part d’incertitude qu’est la croyance ? Le savoir se distinguait par définition de la croyance et par conséquent l’un ne pouvait impliquer l’autre. Toutefois il ne s’agit là que de principe et non de fait. Le savoir inclut effectivement une part de croyance. Il l’inclut par notre confiance dans la recherche qui le produit et plus fondamentalement par notre approche rationnelle du réel. Néanmoins que le savoir soit constitué par la croyance, cela ne devrait pas signifier qu’il est dans sa totalité identifiable à ce dernier. Le savoir dépasse la croyance par l’état d’esprit qui le produit. Il s’agit d’un état d’esprit autonome dans le sens ou il veut volontairement la vérité et ne se satisfait pas du confort du pessimisme. C’est pourquoi il arrive à se créer de nouvelles conditions propices à l’investigation du réel. Puis finalement la valeur du savoir réside dans le fait qu’il ne s’est pas arrêté à la croyance même si celle-ci en est l’origine sous la forme de l’intuition. La fiabilité du savoir consiste en sa transparence rationnelle et non sa prétention à l’absolu.

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