Dissertations

Puis-je connaître autrui à travers la connaissance de soi ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

En posant le regard sur les individus, nous constatons une diversité qui fait qu’on peut les distinguer facilement les uns les autres. Néanmoins, nous sommes en mesure de les classer ensemble dans l’univers du genre humain, ce qui signifie qu’il est des traits caractéristiques qui permettent de les identifier. Dans le concret, il est nécessaire d’opérer cette catégorisation pour des raisons pratiques, c’est-à-dire faire abstraction des différences à travers le concept d’humanité. L’égalité a un sens uniquement dans l’univers de l’homme, elle s’opère d’emblée sur les personnes de différents rangs pour rétablir un ordre artificiel mais juste. Si les questions de droit sont secondaires, il est indéniable que faire valoir l’humanité est un devoir de tout un chacun, d’abord envers soi puis envers autrui. « Tout bien considéré, la différence d’un homme à un autre n’est pas si considérable qu’un homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui », affirme Hobbes dans son Léviathan. Le concept d’humanité provient en effet de la subjectivité qui s’expérimente dans la conscience, mais qui est posée universellement dans chaque sujet. Autrui est-il un sujet qui m’est identique ? Les trois paragraphes ci-dessous nous permettent de répondre à cette problématique : le premier concerne la conscience de soi comme la source de l’affirmation du Je ; le deuxième démontre la manifestation d’autrui en tant que phénomène ; et le troisième déduit la connaissance d’autrui uniquement dans une approche identitaire.

I) La connaissance de soi se limite à la conscience de soi

Le fait de pouvoir prononcer le Je sur ma personne est un signe que j’ai conscience de mon être, il qu’il m’est indubitable que j’existe réellement. La première étape pour la connaissance de soi est alors la certitude de mon existence, toutefois la conscience qui m’a permis de débiter cette certitude mérite également une élucidation. Être conscient signifie réagir sur les phénomènes qui nous entourent, et cette réaction n’est pas nécessairement de l’ordre du mouvement. Être conscient, c’est être tendu vers : les phénomènes qui nous entourent peuvent se dérouler sans notre intervention, mais par la conscience, nous en devenons un spectateur actif. Par la suite, nous intériorisons ces phénomènes sous forme d’idées, et cette représentation se déroule précisément sous l’autorité de la conscience. C’est pourquoi Bertrand Russel dans son livre Science et religion dit ceci : « La partie la plus importante de la notion de « conscience » concerne ce que nous découvrons par introspection. Non seulement nous réagissons envers les faits extérieurs, mais nous savons que nous réagissons ». Toutefois, il importe de savoir si la conscience de soi entraîne une connaissance de soi. En effet, une affirmation porte le nom de connaissance lorsque son contenu est fixe, indépendamment de l’espace et du temps. Donc, si le moi était posé comme objet de connaissance, il faudrait qu’elle recèle préalablement ces critères objectifs. Mais le moi se saisit précisément dans le cadre spatio-temporel, ce qui rend impossible une connaissance du moi telle que la définition le réclame. Tout ce que je puisse connaitre, donc affirmer avec certitude à propos de moi, c’est la conscience de ma conscience. Cela suit la même ligne d’idée que ce qui est écrit dans les Méditations de Descartes : « De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin, il faut conclure, et tenir pour constant cette proposition : Je suis, j’existe ». Néanmoins, ma conscience vise non seulement le moi, mais également les phénomènes du monde physique. Or, afin que cette approche soit possible, il faut que je fasse partie du monde, ce qui signifie que le Je possède un prédicat physique qui s’insère dans le monde. Mon corps n’est pas identifié au Je, certes, mais c’est un attribut nécessaire qui se conjugue avec la conscience, de manière telle que le corps est à la fois ce qui perçoit et qui est également perçu. Néanmoins, la perception n’est pas égale à la conscience de la perception, ce qui veut dire que le corps et la perception me fournissent des données qui se limitent à la connaissance. Cette idée est argumentée par cet extrait de la Critique de la raison pure de Kant : « Je n’ai donc aucune connaissance de moi tel que je suis, mais je me connais seulement tel que je m’apparais à moi-même. La conscience de soi-même n’est donc pas encore, il s’en faut, une connaissance de soi-même ».

La conscience de soi me fournit la certitude du Je qui est inaccessible par la connaissance ni par les informations offertes par le corps. Face à autrui qui est un autre moi dont je n’ai aucune connaissance, les données de ma conscience ne peuvent non plus proposer une connaissance quelconque à son propos.

II) La connaissance d’autrui est possible uniquement en tant que phénomène

Afin de pouvoir parler d’autrui, il faudrait m’assurer qu’autrui existe réellement. Si cette notion ne m’est point étrangère, cela signifie que je possède des expériences concrètes à travers lesquelles je puisse poser son existence. En effet, autrui se donne à ma conscience en tant que corps, c’est-à-dire qu’il fait partie des phénomènes observables. Par conséquent, je le perçois en tant qu’objet du monde et je peux le connaître à travers les données fournies par ma perception. Cette première approche implique que les connaissances que je puisse formuler sur autrui sont tout à fait objectives. Le corps d’autrui se présente alors comme phénomène, et face à lui j’ai conscience de ce phénomène comme tant d’autres qui se déroule devant moi. Dans La quête inachevée, Karl Popper s’exprime comme suit : « La conscience du moi implique entre autres choses, que l’on fasse une distinction, aussi vague soit-elle, entre les corps animés et les corps inanimés, et que l’on produise par là même une théorie rudimentaire des caractères essentiels de la vie ». En désignant autrui comme homme, je peux alors insérer de multiples contenus à son égard, que ce soit selon sa généralité ou selon son individualité. Ses conditions d’existence se dévoilent notamment dans la sphère de la culture ainsi que tout ce qui est rattaché à la société. Cela dit, ce n’est pas un simple être générique, mais se présente selon des aspects particuliers qui le différencient d’un autre humain. En guise d’illustration, les créations de l’homme sont en effet œuvre d’un individu particulier, et dont la renommée se perpétue à travers toutes les époques. Voici une remarque fournie par Michel de Montaigne dans ses Essais : « Considérons alors pour cette heure l’homme seul, sans secours étranger, armé seulement de ses armes, et dépourvu de la grâce et connaissance divine, qui est tout son honneur, sa force et le fondement de son être ». Par conséquent, je renouvelle mon expérience à chaque fois que je fais affaire à une personnalité donnée, ce qui signifie que la connaissance d’autrui n’est pas universelle. Une fois que je procède à une universalisation, c’est une connaissance de l’homme qui en découle. Mais qu’il s’agisse d’une connaissance universelle ou d’une donnée particulière, je peux m’assurer de la vérité de ce que j’avance. Ainsi, une connaissance renvoie à un objet concret, et dont le contenu a été le fruit d’une expérience faisant intervenir les sens et la conscience. Toutefois, autrui n’est pas réduit au rang des objets, je le considère comme une personne à part entière. Dans une Lettre à Arnauld, Leibniz écrit ceci : « À tous les mouvements de notre corps répondent certaines perceptions ou pensées plus ou moins confuses de notre âme, donc l’âme aussi aura quelque pensée de tous les mouvements de l’univers, et selon moi toute autre âme ou substance en aura quelque perception ou expression ».

Autrui est un être humain placé dans un monde physique, où son interaction avec les multiples phénomènes me permet de le scruter en tant qu’objet de connaissance. Mais en se référant uniquement à ma position de sujet, c’est avec mon intuition que je le désigne comme mon égal, c’est-à-dire comme un autre sujet.

III) La véritable connaissance réside dans l’identité du sujet et de l’objet

Pour parvenir à une connaissance de soi, il faudrait me déterminer selon mon essence, c’est-à-dire à travers un attribut qui m’est inséparable, sans quoi je ne suis plus moi. En tant qu’être pensant, je pose mon essence comme sujet, et cela est l’unique position pour pouvoir connaître. Si la pensée est posée comme l’essence du sujet, il importe alors de savoir quelle partie de moi mérite d’être connue pour constituer une connaissance de soi. Mais puisque je ne connais rien en ce qui me concerne, je ne peux affirmer avec certitude ce qui est à connaître en moi. D’ailleurs, je ne connais non plus la pensée, donc l’affirmation selon laquelle je suis un sujet est telle que j’ai pu concevoir pour faire valoir l’activité de ma pensée. Telle cette déclaration de Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation : « Le moi, voilà le point noir de la conscience, tout ainsi que dans le tissu de la rétine, c’est précisément le point d’intersection du nerf optique qui est aveugle, que la substance même du cerveau est d’une complète insensibilité, que le corps du soleil est sombre, et que l’œil enfin, qui voit tout, est incapable de se voir lui-même ». La connaissance de soi s’avère alors inachevée dans le sens où l’objet lui-même, à savoir ce que le désigne par Je, est incertain. Si la conscience de soi apparaît avec clarté dans l’introspection, sa connaissance est une mission impossible que ce soit pour la pensée ou pour l’expérience. Par conséquent, il serait absurde de déduire la connaissance d’autrui par la connaissance de soi, car cette dernière n’existe pas. Pour la connaissance d’autrui en particulier, c’est moi en tant que sujet, distancé de lui, qui procède à sa connaissance, ce qui change la donne. J’ai le choix entre un accès par l’expérience, donc le saisir en tant que phénomène, ou bien procéder par intuition et le poser comme une conscience. Hegel, dans sa Propédeutique philosophique, souligne ce passage : « Cette intuition que l’un des Je a de lui-même dans l’autre Je est le moment abstrait de la mêmeté. Mais la destination de chacun est aussi de se manifester phénoménalement pour l’autre à titre d’objet extérieur et, dans cette mesure, à titre de présence concrète sensible ». En effet, le sens de la désignation d’autrui renvoie à mon identique, telle que mon intuition me le suggère. Ce nom précède même le recours à une quelconque expérience, sinon on aurait attribué une dénomination particulière à cet individu auquel j’ai affaire. En affirmant qu’autrui est un sujet comme moi, cela n’est pas de l’ordre de la connaissance : c’est ma conscience qui le saisit immédiatement comme tel. J’ai l’intuition qu’autrui me ressemble, c’est pourquoi je l’identifie à moi, et je sais pertinemment que cette approche est universelle pour toute rencontre entre deux sujets. C’est en ce sens que Feuerbach affirme ceci dans L’essence du christianisme : « L’homme est pour lui-même simultanément Je et Tu. S’il peut se mettre à la place de l’autre, c’est précisément parce qu’il a pour objet, non pas son individualité, mais son espèce, son essence ».

Conclusion

La conscience atteint sa plénitude lorsqu’elle a conscience d’elle-même, autrement dit lorsqu’elle porte le Je comme objet de conscience. Le Je reste toujours la représentation ultime de la conscience, tandis que le corps et ses fonctions  perceptives offrent des connaissances sur le monde ou le corps lui-même, qui est nettement différent de la connaissance de soi. Concrètement, autrui est un élément constituant l’humanité, c’est-à-dire qu’il est homme à part entière. La connaissance d’autrui provient alors d’une expérience vécue en proximité de lui : il faudrait désigner en particulier de quel individu il s’agit. La connaissance de soi doit être précédée d’une certitude de base sur ce qu’est l’essence, et ce, précédant toute expérience. Mais puisque c’est moi qui procède à la connaissance d’autrui, c’est moi qui pose les conditions en tant que sujet. La rencontre avec autrui aboutit-elle nécessairement à la sympathie ?

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