Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Autrui est par définition l’autre sujet qui se présente à ma conscience. Il est l’autre individu que l’on considère être semblable à soi et à la fois différent de soi. Il est semblable à soi, car il porte la reconnaissance d’une identité. Autrui et soi ont les mêmes propriétés générales que l’espèce humaine partage. Mais autrui, c’est aussi celui que je perçois comme distinctement différent de moi comme une personne à part entière. Dans nos rapports d’existants, son regard subjectif s’impose autant à ma conscience que le mien s’impose à lui. Comment puis-je alors connaître autrui ? C’est-à-dire comment ma subjectivité peut-elle définir cet autre sujet en lui-même ? Entre soi et autrui, il y a une distance où la perception définit la reconnaissance de chacun, pourtant si autrui est un sujet comme moi, alors comment puis-je définir l’intériorité qui lui est propre ? Pour résoudre ce problème, nous allons entreprendre le développement suivant. Premièrement, il faut définir en quel sens on peut parler d’une connaissance d’autrui. Deuxièmement, il faut toutefois préciser les limites de cette connaissance. Puis finalement, il faut considérer de ne pas confondre connaissance et reconnaissance et à laquelle de ces catégories autrui peut véritablement appartenir.
I) La connaissance d’autrui
1. Autrui est reconnaissable comme ce qui est différent ou semblable à soi
Il semble d’abord évident qu’on peut identifier autrui par comparaison, soit à partir de la différence et de la similarité. La simple nature de la structure biologique s’impose à la perception. De la simple comparaison des sexes aux particularités physionomiques les plus complexes, chacun a une identité qu’il peut observer. Mais encore plus déterminante que l’identité naturelle, la production culturelle de la vie en collectivité a fait que les hommes puissent s’identifier entre eux dans des rapports de valeurs. Cette identité se range de la nationalité à la sphère familiale. On se perçoit distinctement à travers les caractéristiques culturelles de chaque groupe social où on se développe. La sphère sociale fait qu’autrui dans son individualité n’a d’identité qu’à partir de la performance d’une langue, d’une tradition, d’une parure, etc. Il est certainement difficile de ne pas avoir une étiquette sociale qui nous soit collée comme un signifiant. Pourtant, comment pouvons-nous nous saisir conceptuellement, si ce n’est par l’identité d’un esprit qui nous définit ?
2. Autrui est ce qui m’est accessible à connaître par sa communication
Certainement, l’idéal serait d’être à la place d’autrui pour véritablement le connaître. Connaître nécessite d’avoir accès non seulement à tout ce que l’objet présente comme phénomène, soit comme ce qui apparaît, mais aussi à sa réalité intrinsèque. Or, dans le cas d’autrui, l’accès à son intériorité ne peut qu’être plus propice grâce au langage. La spécificité d’autrui est la nature transcendantale de son être comme sujet. Autrui est un être du dehors, grâce à cette présence à lui-même qui s’appelle la conscience. Cette puissance transcendantale lui permet l’introspection, soit la réflexion sur l’intériorité de soi-même et l’expression conceptuelle, soit le fait de produire des signes qui dévoilent son intériorité. Ainsi, autrui peut honnêtement faire état de ses pensées, de ses sentiments et de ses émotions. Le langage verbal atteste dans sa richesse sémantique, le vocabulaire, et sa souplesse syntaxique, l’articulation grammaticale, et la subtilité de sa puissance conceptuelle. La langue se réinvente tant qu’il y a des esprits qui ne sont pas satisfaits de leur expression. Il y a des mots plus ou moins définis pour tous les états et ceux qui n’en ont pas, sont quand même exprimables par l’ingéniosité grammaticale.
Toutefois, ce qu’autrui donne à connaître est-il suffisant à le saisir dans son entièreté alors qu’il a comme moi, sujet qui l’observe, une nature transcendant son entendement ?
II) Autrui est irréductible à ses données
1.Entre Autrui et soi, il y a d’abord le risque de la corruption de la perception subjective
Autrui se présente à soi par sa conscience. Or, la conscience de quelque chose ne suffit pas à en établir une connaissance. La conscience n’est pas une pure réceptivité. Les choses ne lui sont pas totalement transparentes. Elle est en fait moins la saisie d’une donnée qu’une organisation. Cette organisation est celle de la perception qui unifie nos données sensorielles en une interprétation, soit en un sens qui nous est intelligible. Or, c’est dans cette perception interprétative où se joue naturellement nôtre subjectivité. La subjectivité se projette sur autrui avec ce qui lui est familier. La subjectivité porte une vision des choses habituelles. Autrui n’est donc jamais un total étranger sitôt qu’il est placé sous le regard de l’entendement. Il est comparé à des concepts prédéfinis. Il est déjà signifié avant toute ouverture d’esprit. A titre d’exemple, on remarque que pour certains explorateurs qui ont la perspective d’une culture qui leur est exotique, ils ne pensent pas à une absurdité ni à priori à un ordre dont le sens diffère simplement de la leur, mais d’abord à des préjugés véhiculés par des contes ou des mythes, de sorte qu’autrui lui appartient nécessairement en dehors de ce qu’il est en lui-même.
2.Autrui ne peut se prêter à l’objectivisation
Toutefois, dans le vœu de dépasser la perspective subjective, car l’information vraie est vitale, la science ambitionne la certitude du savoir. Autrui n’échappe pas à cette ambition. Cependant dès qu’on pose autrui comme un objet de science, on fait déjà l’intuition de grands obstacles vis-à-vis de cette prétention. Le fait est que la connaissance scientifique est fondée sur trois critères liés à la condition expérimentale, qui ne peuvent être appliqués à la nature d’autrui comme sujet. Le premier critère est la reproductibilité expérimentale. On ne peut pas en toute rigueur reproduire une expérience suffisamment contrôlable pour vérifier une théorie sur la nature d’un sujet humain. C’est que ce dernier peut faire preuve d’autonomie, ce qui par conséquent permet la contingence. Le second critère est celui de la mesurabilité, si les statistiques des sciences sociales sont significatives, elles ne peuvent être absolument précises. Il y a toujours un certain seuil où le comportement du sujet ne répond pas parfaitement à la direction théorique de la recherche. Ce seuil est significatif, car l’individu est irréductible à sa macro-représentation. Un individu évolue originellement dans sa personnalité à partir d’une pluralité de cultures. Il y a toujours dans le risque d’une statistique poussée à une réduction de l’appréciation de cette évolution et de forcer les représentations à s’adapter aux théories en omettant l’originalité. Finalement, il y a le critère de la réfutabilité, on ne peut réfuter aucune théorie sur le caractère de la personne subjective d’autrui. Il faudrait alors faire l’expérience de cette théorie sur toute l’histoire personnelle du sujet d’autrui. Ce qui est impossible, car le passé d’autrui n’est plus expérimentalement observable et ne peut d’ailleurs définir ce dernier, étant donné que la personnalité d’autrui peut faire preuve d’un changement radical.
3. Le langage ne peut exprimer entièrement le vécu d’autrui
En ce qui concerne l’expression de l’intériorité d’Autrui par les concepts du langage, on retrouve le problème de l’interprétation subjective. Les mots aussi subtils soient-ils ne peuvent entièrement rendre compte de l’expérience subjective de son vécu intérieur. Ce qu’autrui nous déclare volontairement ou non est une représentation formelle qui demande qu’on y ajoute la reconnaissance d’une substance concrète. Or, l’expérience de cette dernière est toujours particulière dans les circonstances à jamais originales de son vécu. Considérons qu’autrui peut vouloir nous faire signifier la perception de ses vécus intérieurs par un discours qui use des articulations les plus subtiles de sa langue pour spécifier les choses comme il les sent. Tout lettré peut comprendre ce poème, mais que saisissons-nous exactement en dehors des formes, si ce n’est notre propre perception des choses ? Car chaque perception, n’a-t-elle pas en substance ses propres circonstances ? On peut reconnaître avec une grande précision le style expressif d’Autrui, mais pourquoi n’arrivons-nous pas à reproduire les mêmes effets qui nous ont affectés ? Car, nous ne sommes pas Autrui comme Autrui perçoit lui-même.
Autrui échappe donc à la connaissance définitive tant que son intériorité est en jeu. Toutefois, est-ce le signe d’une radicalité indépassable entre soi et autrui dont pourtant les rapports intersubjectifs font preuve de reconnaissance ?
III) Autrui et soi-même partagent la condition humaine
1. La connaissance de soi n’a pas de substance
D’abord, si autrui est celui que je reconnais comme un sujet, il faudrait alors actuellement se demander qui suis-je avant de considérer y avoir accès. Partons de la conscience de ce « soi » qui n’a en fait aucune substance. La conscience est la présence intuitive de la totalité de mon être or celui-ci ne cesse de devenir. L’être de ce sujet ne cesse d’évoluer à travers les conditions tant physiques que culturelles où il déploie sa volonté. Une personne n’est jamais définitivement la composition biologique ni l’accumulation culturelle qu’il fut un instant. En fait, ce que j’identifie comme moi-même n’est que la continuité de l’état de ma conscience grâce à la mémoire. Or, la mémoire n’est qu’une trace, aussi claire soit-elle, le passé qu’il imprime à mon esprit n’est plus. Je ne peux non plus me définir par mes projets futurs, car ils ne « sont » pas encore. Ce qui accompagne mes états et mes actions que je définis comme un « moi » n’est donc qu’une suspension virtuelle du présent. Il n’est qu’une forme. C’est pourquoi, la conscience de soi n’a de possibilité d’évoluer en une connaissance de soi. Il s’ensuit que si je ne peux moi-même me saisir comme une substance, autrui non plus ne peut se dévoiler à moi comme cette dernière.
2. Autrui et moi nous nous reconnaissons dans la condition humaine
D’un point de vue épistémologique, ce qui se rapporte à la connaissance, autrui ne m’est accessible qu’à partir de ses données. Ce qui n’est pas suffisant à l’égard du sujet que nous avons observé comme n’étant qu’une saisie abstraite. Toutefois, d’un point de vue métaphysique, soit de l’ordre de la transcendance d’un sujet qui peut penser sa condition, je peux voir Autrui en moi-même à travers le fait qu’on partage la condition humaine. La condition humaine est l’ensemble des caractères propres de l’homme face à son existence. Il ne faut pas seulement entendre par existence le fait d’« être », mais le fait d’être capable de transcender son être. Ainsi, la conscience morale en est un exemple, car ce qui est juste ou non ne s’impose pas d’une manière naturelle, mais il reste toujours le projet de notre existence vis-à-vis du traitement d’Autrui. Le fait justement que la morale soit possible et montre que malgré nos différences naturelles et culturelles, on arrive à respecter l’autre en tant que personne et non comme objet. La réflexion existentielle sur autrui permet de penser celui-ci comme capable de tout, ce qui nous distingue de la simple chose. Nous partageons le poids de la responsabilité, de l’angoisse face à l’inconnu, de la condition de notre mortalité etc. Par ces conditions, je ne peux dire que cet autre qui neutralise ma solitude me soit totalement étranger. Autrui, qu’il soit hostile ou amical, est le compagnon inséparable de mon voyage existentiel.
Conclusion
Autrui se présente comme un sens parmi d’autres à mon entendement, pourtant il est irréductible à ma subjectivité tant que la sienne s’impose à moi. Autrui se prête à mon observation comme une identité définie. Je peux le distinguer et l’assimiler. Son intériorité semble m’être accessible par la communication. Il me paraît donc qu’autrui soit connaissable. Pourtant, le cadre tant scientifique que culturel d’autrui le traitant comme un simple objet, manque d’apprécier la transcendance de sa subjectivité. Une communication aussi précise de l’intériorité d’autrui ne peut d’ailleurs pas rendre compte de l’originalité de l’expérience du vécu. En fait, comme moi, nous faisons preuve de transcendance face à notre identité, car nous évoluons tant concrètement que spirituellement. Nous ne pouvons donc avoir une connaissance d’autrui, car celui-ci comme moi-même est irréductible à une définition absolue. Toutefois, l’altérité n’est pas absolue, car nous pouvons sympathiser avec lui par le fait qu’en tant qu’existant, nous partageons la même condition humaine.