Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La formation des nations se faisait autrefois par la conquête territoriale, impliquant le métissage continuel entre les peuples soumis et ceux des nouveaux maîtres. Vient par la suite le système esclavagiste et colonial, qui provoquait une migration massive d’hommes de races différentes vers un nouveau territoire. Actuellement, on parle de mondialisation où il est très fréquent de voir dans les mégalopoles des quartiers particuliers réunissant des individus de même origine. Il n’y avait aucune culture qui soit totalement coupée du reste du monde, son évolution et son maintien s’effectuaient toujours avec l’intériorisation des cultures des autres peuples. Et au fur et à mesure que nous nous familiarisons avec cet ensemble de croyances et de pratiques, nous les assimilons inconsciemment comme quelque chose de très naturel. « La nature, c’est tout ce qui est en nous par hérédité biologique ; la culture, c’est au contraire, tout ce que nous tenons de la tradition externe », constate Lévi-Strauss dans les Entretiens écrit par Georges Charbonnier. En effet, il n’y a rien de plus offensant que d’écouter les critiques négatives à l’égard de notre culture. La raison en est que nous la considérons comme un sceau permettant de reconnaître notre identité, et que nul ne peut ôter par le simple décret de la raison. Le fait d’adopter la culture d’autrui est-il un acte volontaire ou une nécessité ? Pour résoudre cette problématique, nous adopterons un plan à trois parties : le premier sera une analyse sur l’intériorisation d’une culture ; le deuxième mettra en surface les raisons qui nous feraient nier une culture ; et le troisième portera sur une synthèse sur la condition humaine qui cherche à la fois l’efficacité et la supériorité de nature.
I) L’homme se façonne à travers sa culture
Nous avons l’habitude de faire la comparaison des différentes cultures qui existent, une manière de distinguer le nécessaire et l’artifice dans ces types de représentation. Cependant, nous omettons une étape fondamentale, à savoir la différence entre l’état de nature et l’état de culture. En effet, personne ne peut plus observer cet état de nature, puisque l’état de culture est toujours et déjà un fait accompli. Ainsi, on peut affirmer que toutes les créations humaines, depuis l’ustensile de cuisine la plus ordinaire jusqu’aux institutions fictives les mieux organisées, sont les preuves de la culture humaine. Prenons par exemple cette illustration fournie par Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines me paraît être celle de l’homme ; et j’ose dire que la seule inscription du temple de Delphes contenait un précepte plus important et plus difficile que tous les gros livres des moralistes ». En observant de plus près le monde des hommes, on y trouve toute une panoplie d’artifices qui consistent à façonner son milieu avec style, élégance et prestige. Il est vrai que la société opère une hiérarchisation inconsciente des individus en fonction de leur niveau de culture, ce qui signifie que tous les signes extérieurs dont ils se parent ne se valent pas. Par conséquent, il est des formes de cultures et de pratiques qui sont plus prisées que d’autres, cela en fonction du jugement que les hommes se font d’eux-mêmes, et non pas inscrits dans ces objets. Or, cette différence de degré relève de l’opinion, mais une opinion à laquelle les hommes accordent d’ailleurs une importance capitale. Ainsi, la culture est incorporée en tenant compte de ce jugement sélectif, qui constitue un poids réel mais invisible chez les individus. Montaigne, dans ses Essais, avance la remarque suivante : « Si, avons-nous beau monter sur des échasses, car sur des échasses encore faut-il marcher de nos jambes. Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul ». Cet extrait laisse apparaître le côté superflu de notre culture, qui puise sa force à travers la valorisation effectuée par l’homme. Nous souhaitons accumuler le maximum d’éléments pour nous prouver à quel point nous sommes cultivés, mais cela souligne davantage notre attachement à l’état de nature. En effet, la nature et la culture se fusionnent pour donner une nouvelle représentation de l’homme, cette nature étant alors considérée comme inférieure mais qui ne peut être totalement exclue. Le choix qui se présente chez l’homme en société est la culture ou la barbarie, cette dernière n’étant pas vécue par aucun des membres mais décrite selon des termes extrapolés afin de ressentir du dégoût. Par conséquent, il est aussi naturel pour l’homme de se pencher vers la culture grâce aux attributs supérieurs qui feront de lui un homme véritable. Hegel, dans son Esthétique, disait ceci à propos de l’homme : « L’homme existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi ».
La culture découle de la nature de l’homme, nul de ce monde ne lui a appris comment devenir civilisé par lui-même, et tous les individus y adhèrent facilement parce que ces arguments proviennent de la pensée. Mais puisque la raison est tout à fait libre, il est désormais confronté au problème lié à la diversité culturelle.
II) La culture fait intervenir des éléments des plus subjectifs
La vie d’une communauté est conditionnée par les critères de l’espace où elle vit, notamment le climat, la végétation ou encore le relief. Cela influence principalement le mode de vie et la façon de penser de ses membres, et surtout la stratégie par laquelle ils souhaitent conserver leur personne, leurs biens en fonction de ce milieu physique. Certains éléments sont abondants, d’autres très rares, d’où une représentation abstraite de ce qui est important et de ce qui l’est moins. Ainsi, les hommes peuvent opérer une comparaison entre leur propre culture et celle de leurs voisins, et pourraient éprouver un certain dédain face à des pratiques tout à fait insolites. C’est ainsi que Friedrich Schiller énonce ce précepte dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme : « Aussi la culture apparaîtra-t-elle comme imparfaite dans tous les cas où le caractère moral ne peut s’affirmer qu’en sacrifiant le caractère naturel ; et une constitution sera très incomplète si elle n’est capable de produire l’unité qu’en supprimant la multiplicité ». Notons que la culture est une façon d’être qui ne peut être changé par le bon vouloir de quelques individus. Elle a modelé tout le parcours de l’homme, et conditionnera encore tout son avenir, ce qui signifie que ses croyances, sa façon de voir le monde, de travailler et d’entretenir des relations avec autrui sont fortement enlacées avec sa culture. Rompre avec sa culture est du même sens que rompre avec sa patrie, qui sera d’ailleurs lourde de conséquences. Et pourtant, certains ont le courage d’opérer ce changement radical, tel que le reflètent de manière inconsciente les migrations clandestines. On peut également citer l’acculturation à l’occident, qui est le fruit d’une comparaison entre ce qui va de soi et ce qui brille. Nietzsche dénonce cette perte d’identité à travers ce passage des Considérations inactuelles : « Comment l’histoire servirait-elle mieux la vie qu’en attachant fortement à leur pays natal et à leurs coutumes locales des populations moins favorisées que d’autres, en les fixant et en les détournant d’aller errer à l’étranger en quête du mieux qu’il leur faudra disputer à d’autres ? » Il est vrai que sa propre culture ne contient non plus que des bonnes choses, et le fait d’y réfléchir avec objectivité engendre un dégoût sur soi-même ainsi qu’une honte face à autrui. Certaines pratiques s’avèrent même néfastes pour la perpétuation des générations futures, ce qui s’observe le plus souvent dans le long terme. Et puisque l’homme voudrait faire valoir plus que tout sa distinction sur le monde animal, il révèle une pensée selon laquelle mieux vaut périr que d’être déshonoré. C’est la raison pour laquelle certains individus conservent leur identité culturelle au risque de leur vie, ils considèrent comme un signe de faiblesse le fait de ne pas avoir honoré soi-même. Blaise Pascal confirme cette thèse dans ses Pensées : « Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante. Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son consentement ».
Un jugement objectif sur les pratiques culturelles entraîne une répulsion par rapport à ce que nous estimons être une identité fondamentale. Néanmoins, la culture est une réalité incontournable où il existe des imperfections que ce soit pour le mien propre ou pour ceux des autres.
III) Assumer autant que se peut sa culture est un devoir
L’homme est un être de raison, qui apprécie que les choses arrivent selon ses calculs et ses prévisions. Les formes de représentation qu’il propose dans sa culture dérivent cependant de la réalité du monde extérieur, ce qui ne dépend aucunement de sa volonté. Les éléments qui composent sa culture auraient pu être autrement, car même avec les contraintes du monde physique, il existe d’autres possibilités pour s’y adapter de manière plus efficace. Ainsi, il est clair que la subjectivité intervient largement dans le domaine culturel, ce qui échappe à une tentative d’explication rationnelle. C’est pourquoi James George Frazer, dans son livre Le Rameau d’or s’exprime en ces termes à l’égard des études culturelles : « En des mains expertes, elle deviendra un puissant instrument de progrès, si elle met à nu les points faibles des fondations sur lesquelles est bâtie la société moderne, si elle révèle qu’une bonne part de ce que nous avons l’habitude de considérer comme solide repose sur le sable de la superstition, plutôt que sur le roc de la nature ». Ainsi, il existe une infime différence entre ce qui est naturel et ce qui est culturel, puisqu’ils résident eux deux chez l’homme. Ce qui est primordial, c’est la conscience de cette promiscuité, mais dont l’écart est pourtant exagéré par l’homme moderne. En ce qui concerne la libération envers sa propre culture, il s’agit d’un choix libre qui ne peut être puni par aucune loi. Toutefois, on ne peut espérer grand-chose à travers ce choix, puisque toutes les cultures renferment une imperfection d’origine. « Chacun a ce qu’il veut. La jeunesse se trompe là-dessus parce qu’elle ne sait bien que désirer et attendre la manne. Or, il ne tombe point de manne ; et toutes les choses désirées sont comme la montagne, qui attend, que l’on ne peut manquer », affirme Alain dans Les Idées et les Âges. Les guerres et les conquêtes territoriales renfermaient des buts mesquins, à savoir dominer la culture du peuple vaincu. Mais l’histoire a montré que les colonisateurs exterminent toute la population afin de parvenir rapidement à cet objectif, or ce schéma ne fera plus valoir la supériorité de l’un sur l’autre. Même en étant vaincu, un peuple ne songera pas à renoncer à sa culture, sauf par la menace de mort dont l’obéissance ne relève plus de leur volonté. D’ailleurs, la culture n’est pas une aliénation, et bien que nous veillons à modifier quelques détails pour des raisons pratiques, son fondement reste intact. Voici une remarque faite par Kant dans ses Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine : « Car la nature n’a certainement pas mis des instincts et des pouvoirs dans les créatures vivantes pour que celles-ci les combattent et les étouffent ».
Conclusion
Considérée dans sa généralité, une culture est une manière de s’adapter à la nature en la transformant en se transformant soi-même. Ainsi, tout homme est considéré d’emblée comme étant cultivé une fois qu’il vit à l’état civil. Mais aussi, il peut ressentir une amertume d’être né comme il est, parce que leur condition est trop pénible par rapport à celles des autres cultures. Quel que soit l’inconfort provoqué par le contact avec de nouveaux horizons, ou bien l’inefficacité d’une pratique sur le point personnel, il est très difficile de se séparer de sa culture. Force est de constater que la culture ne vise pas vraiment l’efficacité, mais plutôt la conservation des valeurs. Étant donné que l’homme recherche à la fois la constance et la nouveauté, la vérité et l’artifice, il aura seulement le devoir de connaître sa culture et d’en apprécier les points forts. La vie matérielle d’un peuple vaut-elle mieux que le maintien de la culture ?