Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Le monde géophysique est caractérisé par un relief, un climat et une végétation qui lui sont propres, pour donner un ensemble de conditions qui permettent la survie sur ce milieu. La communauté d’hommes qui s’y installe adopte un mode de vie compatible à cet environnement, et se représente et comprend le monde à travers les éléments naturels qu’elle côtoie. La culture est née à partir de cette conception des choses qui est propre à un groupe d’individus, ce qui signifie qu’il existe autant de cultures différentes qu’il y a de groupes d’hommes répartis sur des territoires différents. Kant souligne dans Anthropologie du point de vue pragmatique : « Les circonstances de temps et de lieu, si elles sont durables, produisent des habitudes dont on dit qu’elles sont une seconde nature ». Il ne s’agit pas ici d’une simple habitude personnelle, mais plutôt des caractères qui sont acquis en commun avec la société, et qui se perpétue ouvertement ou de manière tacite à travers les générations futures. Ces disparités sont pourtant à l’origine des chocs culturels, notamment lorsque des individus de différentes origines ne se comprennent pas selon leurs points de vue et leurs comportements. L’éradication du racisme devient actuellement un problème crucial, qui ne peut être pallié par la montée de la mondialisation. Est-il possible d’envisager, au nom de la rationalité ou de la fraternité, de supprimer les différences culturelles ? Cette problématique sera analysée en trois paragraphes : d’une part, une culture est désignée comme telle grâce à ses particularités ; d’autre part, l’intolérance face à ces différences est à l’origine du racisme ; et en guise de synthèse, une culture universelle est une simple hypothèse pour mieux gérer le vivre en commun.
I) Une culture est la représentation du monde propre à une communauté d’homme
Avant même qu’il se focalise sur les arts et les sciences, l’homme a tout d’abord conscience qu’il appartient à une communauté qui le considère comme les leur. Ce sentiment d’appartenance souligne l’identité de l’individu, ce qui est également renforcé par l’histoire et des origines communes avec les membres de ce groupe. La culture regroupe en effet un ensemble de croyances et de savoir-faire qui se perpétue même au-delà des limitations géographiques, ce qui signifie que les individus détenant la même culture se reconnaissent entre eux à travers ces signes. Soulignons également qu’une culture diffère de la société, dans le sens où cette dernière a été établie selon des conventions précises, et qu’une société peut inclure différentes cultures. Selon la définition fournie par le livre Anthropologie d’Edward Sapir, « la culture se rapproche ainsi de l’ « esprit » ou du « génie » d’un peuple sans que ces mots ne lui soient d’exacts synonymes ; employés dans un sens vague, ils se réfèrent surtout au passé psychologique ou pseudo-psychologique d’une civilisation nationale ». Cela dit, il existe des éléments symboliques qui représentent une culture donnée, notamment des objets qui caractérisent le milieu naturel où vit le peuple. Le plus souvent, il s’agit d’un élément tellement en abondance plus qu’il n’est dans d’autres contrées, ou alors une effigie unique et très remarquable dans leur monde naturel. Cependant, ces représentations ne se font pas de façon arbitraire, mais revêt une forme de rationalité. C’est ainsi que la langue, qui est la création la plus illustre élaborée par la pensée, diffère dans chaque culture, et dont l’assemblage des signes est tout à fait compréhensible par la raison. Tout comme la langue, les codes vestimentaires, la gastronomie ou encore les outils techniques reflètent toute une trame de rationalité, renvoyant à autre chose que leur fonction d’utilité. C’est pourquoi Malinowski écrit dans La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives : « La connaissance et la tradition sont inconcevables sans l’existence de la pensée conceptuelle et du langage. Il existe donc une corrélation étroite entre la pensée, le langage et la culture matérielle, il a dû en être ainsi à toutes les phases de l’évolution, y compris la phase initiale ». Mais en parlant de rationalité au sein d’une culture, nous pensons immédiatement à l’universalité de celle-ci. La rationalité se comprend ici comme une forme générale à travers laquelle les contenus, c’est-à-dire les objets et les signes, offrent un langage pour donner un sens à une pratique. Ainsi, en observant les rites et les comportements des individus au quotidien, nous pouvons en découvrir les places de chaque élément qui joue un rôle bien précis dans l’ensemble. Dans le domaine de la culture, l’universalité de la raison est alors cette capacité à comprendre le sens caché des pratiques, même si les objets symboliques, les signes vocaux ou encore la représentation de l’espace sont tout à fait spécifiques. Émile Durkheim, dans son livres Les formes élémentaires de la vie religieuse, souligne : « Le deuil n’est pas un mouvement naturel de la sensibilité privée, froissée par une perte cruelle ; c’est un devoir imposé par le groupe ».
Les rites et les symboles imposés par la culture n’ont pas été édifiés de façon contingente : ils renferment une conception du monde propre à cette communauté. Selon un point de vue pragmatique, ces pratiques peuvent paraître inefficaces, cruelles ou encore superstitieuses aux yeux des autres.
II) Le jugement unilatéral issu de sa propre culture est à l’origine du racisme
À présent que le phénomène de mondialisation s’étend sur bien de frontières géographiques, le mélange des cultures devient de plus en plus généralisé. Cependant, ce mélange ne renvoie pas nécessairement à un métissage des peuples, mais au partage d’un même lieu d’habitation. Et bien que le mode de vie tende vers l’occidentalisation, les traits particuliers qui sont propres à la culture originelle apparaissent toujours. La cohabitation entre deux individus de culture différente n’est pas toujours évidente à cause des points de vue inconciliables. A proprement parler, une pratique courante et très appréciée chez l’un peut être considérée comme une abomination chez l’autre. Dénonçant cette approche immédiate, cet extrait du Rameau d’Or de James Georges Frazer dit : « Tout bien considéré, les ressemblances entre le sauvage et nous sont encore plus nombreuses que les différences qui nous séparent de lui ». Ce jugement en fonction de sa propre culture, appelé ethnocentrisme, est une opinion communément répandue touchant les personnes n’ayant pas l’habitude de côtoyer les autres cultures, et donc les exclure immédiatement. L’autre devient alors pour lui un étranger qui n’est pas le bienvenu, car il n’observe pas les mêmes critères de distinction qui symbolisent la supériorité dans sa propre culture. Pour l’ethnocentriste, la seule culture qui soit digne de représenter l’humanité est la sienne, les autres cultures sont considérées à ses yeux comme imparfaites, donc indignes de reconnaissance. Mais selon l’analyse de Voltaire dans son ouvrage Essai sur les mœurs, « il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentot, les Lapons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes ». En adoptant une vision des plus naïves, la couleur de peau, par exemple, n’a aucune signification particulière, sauf une disposition biologique qui est issue de l’adaptation à tel ou tel milieu de vie. Mais selon l’interprétation d’un individu ethnocentrique, il fera une hiérarchie entre ces phénotypes, en vue d’en faire des traitements différents. Le racisme provient alors d’une opinion très répandue concernant la supériorité de certaines origines par rapport à d’autres. Remarquons que ce faux jugement ne peut être effacé par l’ascension économique ou intellectuelle de la race considérée comme inférieure, car c’est toute une culture intériorisée qui en est à la source. Cette remarque de Hobbes dans De Cive prend alors toute sa signification : « En effet, si les hommes s’entreaimaient naturellement, c’est-à-dire en tant qu’hommes, il n’y a aucune raison pourquoi chacun n’aimerait pas le premier venu, comme étant autant homme qu’un autre ».
Le racisme est un fait tellement manifeste dans les sociétés, mais impossible à éradiquer à cause de son origine culturelle, enfermant la pensée dans une vision unilatérale. Néanmoins, l’hypothèse d’adopter une culture universelle est encore plus illusoire que de vouloir éradiquer le racisme.
III) Une culture universelle anéantit la conception de l’homme
L’anthropologie, l’ethnologie ou encore la sociologie ne peuvent remonter dans le temps pour savoir à quelle date et dans quelle contrée la qualité d’homme s’est établie pour la première fois. Si ces sciences s’aventurent à limiter la frontière entre le naturel et le culturel chez l’homme, elles ne feront en aucun cas avancer la connaissance sur leur objet. En tout cas, le but des sciences humaines est de pouvoir énoncer une théorie la plus universelle qui soit concernant l’homme. Mais malgré leurs méthodes objectives, elles ne parviennent pas, même à l’intérieur d’une seule discipline, à fournir une réponse exacte à cause de la nature complexe de son objet, à savoir l’homme. Comme disait Michel Foucault dans Les mots et les choses : « L’homme est l’être sans origine, celui « qui n’a ni patrie ni date », celui dont la naissance n’est jamais accessible, parce que jamais elle n’a eu « lieu » ». L’impossibilité de définir l’homme selon des termes exacts provient essentiellement de la culture, et qui dit culture dit différence dans la signification du monde, dans les comportements envers ses semblables, et dans la modélisation des choses artificielles. Certes, les problèmes sociaux qui surgissent à cause de ces différences prennent actuellement une ampleur manifeste, cependant envisager une culture universelle n’est pas une solution très réaliste. De fait, la mondialisation qui se perpétue à travers les rapports commerciaux entre les différentes nations, est la porte principale pour les échanges culturels. Néanmoins, cette promiscuité souligne davantage les contrastes entre les cultures. Voici un passage de L’avenir d’une illusion écrit par Sigmund Freud : « Tandis que l’humanité a fait des progrès constants dans la conquête de la nature et est en droit d’en attendre de plus grands encore, elle ne peut prétendre à un progrès égal dans la régulation des affaires humaines ». Cela signifie que les discordes les plus insignifiantes entre deux voisins d’une culture différente ne peuvent être résolues par une éducation pour changer les mentalités. Autrement, il aurait suffi d’enseigner dans les manuels scolaires que le racisme est méchant et dangereux pour que tout le problème se dissipe, mais il n’en est rien. Le changement des mentalités ne s’apprend pas, mais s’acquiert au fur et à mesure qu’on s’habitue à un environnement. Toutefois, changer sa propre culture pour la substituer à une autre considérée comme universellement efficace et symbole de l’amitié, ne peut se faire qu’en surface. En effet, une telle culture serait dépourvue de bases, car le principe sur lequel elle a été créée sous-entend que toute représentation symbolique est arbitraire, donc il vaudrait mieux ne pas en avoir du tout. Valéry nous avertit dans ses Œuvres : « Craignez celui qui veut avoir raison. Il imagine entre le vrai et sa personne une relation spécialement étroite et il prend la « raison » pour une épouse dont il est jaloux. Mais plus cette épouse est à quelqu’un, moins elle a raison ».
Conclusion
Un homme a toujours besoin de s’identifier à une culture pour pouvoir se considérer comme appartenant à une communauté. En sachant ses origines, l’histoire de son peuple et les croyances qui y sont rattachées, il peut donner du sens à ses pratiques quotidiennes et aux relations qu’il entretient avec ses semblables. Cependant, les contacts entre deux cultures différentes provoquent des heurts qui se transforment le plus souvent en ségrégation raciale. L’incompréhension et l’intolérance qui en résulte ne sont pas inhérentes à la culture, mais plutôt à l’imperfection de l’homme. Une culture universelle, considérée dans l’imaginaire, représente un monde dépourvu de discordes et de problèmes, seulement les individus qui y habitent ne sont nullement des hommes, mais soit des dieux soit des bêtes. Symbolisé ouvertement par la ségrégation via la couleur de peau, le racisme est un mal qui a tellement terni l’histoire de l’humanité. L’inégalité entre les hommes peut-elle coexister avec le concept de fraternité ?