Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Les comportements comme l’humilité, la tempérance ou encore la charité sont des qualités très appréciées par la société, et font de la personne qui les détient un individu modèle. Comme une sorte d’évidence, il n’y pas véritablement d’explication à fournir en quoi ces vertus valorisent l’homme, toutefois ceux qui les détiennent font le bien autour d’eux. Loin d’être une théorie abstraite, la morale vise essentiellement la pratique, et mille pages écrites concernant la vertu ne valent rien face à un individu concret qui incarne la vertu. Certes, l’éducation contribue à une très large mesure à l’acquisition de ce caractère, cependant nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les personnes les plus instruites sont également les plus éclairées par la conscience morale. C’est pourquoi Jean-Joseph Proudhon s’est exprimé dans ses Œuvres complètes comme suit : « Ma conscience est mienne, ma justice est mienne, et ma liberté est souveraine. Que je meurs pour l’éternité, mais que du moins je sois homme, pendant une révolution de soleil ». La définition du bien et du mal telle qu’il est stipulé par la morale se heurte le plus souvent à d’autres arguments qui donnent raison à des pratiques contraires. Il est également des cas où les personnes qui semblent vertueuses recèlent de l’hypocrisie, en faisant de bonnes œuvres sans avoir une bonne volonté. La moralité repose-t-elle sur la nature de l’action proprement dit ou bien dans la disposition intérieure de l’agent ? Cette problématique sera traitée à travers trois paragraphes : d’une part, le bien est communément admis comme étant ce qui ne nuit pas à autrui ; d’autre part, le bien se manifeste concrètement dans l’état intérieur de l’agent qui le pratique. Et pour terminer, la bonne volonté est le signe par excellence de la qualité morale d’une personne.
I) L’harmonie sociale résulte de la pratique du bien
Etant donné que chaque culture dispose d’une base de croyances sur laquelle s’érige la définition du bien et du mal, nous pouvons néanmoins réunir ces différentes représentations en visant un but unique. Il s’agit de faire le bien autour de soi, de sorte que la communauté devienne prospère et que chaque individu trouve son épanouissement en vivant avec ses semblables. Il ne suffit donc pas de considérer le bien comme un idéal, mais plutôt de le mettre en œuvre et de viser des résultats tangibles. Bien que la morale ne raisonne pas en termes d’efficacité, il est clair que le bien, une fois réalisé dans le concret, procure une satisfaction générale à la communauté. Comme disait Platon dans Les Lois : « La cité qu’il faut placer au premier rang, la cité dont la constitution et les lois sont les meilleures, est celle où règnera le plus complètement possible dans la vie sociale sous toutes ses formes l’antique maxime d’après laquelle tout doit être réellement commun entre amis ». Évoquant une certaine forme de communisme, cette citation souligne l’importance de la notion de bien, se manifestant d’emblée via des maximes morales, puis transformées en une législation officielle. Mais pour atteindre cette harmonie, le fait de suivre les règles édictées par la société n’est pas toujours accepté à l’unanimité. Et si le rôle des institutions judiciaires est de contrôler la soumission à la loi, c’est justement pour faire triompher le bien sur le mal. Ainsi, les divergences d’opinion concernant le bien pour la communauté n’est pas un argument valable pour contrer la loi. Cela dit, contraindre les individus à faire le bien autour de soi est tout à fait souhaitable, et ce, malgré leur état d’esprit peu conciliant. Voici une citation de Kant, extrait de son livre Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, illustrant cette idée : « Toute culture, tout art formant une parure à l’humanité, ainsi que l’ordre social le plus beau, sont les fruits de l’insociabilité qui est forcée par elle-même de se discipliner, et d’épanouir de ce fait complètement, en s’imposant un tel sacrifice, les germes de la nature ». Par conséquent, c’est l’homme lui-même qui fait entrave à la pratique du bien, une fois qu’il est placé parmi ses semblables. Et pourtant, il a réellement conscience des conséquences de ses actes lorsqu’il dévie des normes posées par la communauté. Le dilemme consiste alors à peser sur la balance, d’une part les priorités imposées par la société, et d’autre part la voie contraire qui prône l’individualité. D’ailleurs, l’homme fait taire ses penchants personnels lorsqu’il prend conscience de la nécessité des choses, c’est-à-dire de vivre coûte que coûte avec ses semblables, oriente ses actions vers le chemin tracé par la morale. Dans son ouvrage Parerga et Paralipomena, Schopenhauer écrit : « La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les bonnes manières ».
En jugeant extérieurement la conduite d’un individu qui s’est conformé à la morale, nous serons admiratifs à son égard, bien qu’il ait agit malgré lui. Il existe alors une lacune immense en matière de moralité, tant que nos actions ne sont pas accompagnées d’une bonne volonté.
II) Un homme malveillant ne peut agir pour le bien
Il est des cas où il n’est pas permis à l’homme de réfléchir, mais seulement d’obéir, c’est parce qu’il est dans une hiérarchie inférieure par rapport à son commandeur et effectue son devoir. Toutefois, cette position hiérarchique, qu’il résulte d’un consentement mutuel ou d’un lien de parenté, signifie déjà que l’individu se fait complice avec le système et accepte les ordres de son supérieur. Bien que l’accomplissement du devoir puisse parfois paraître compliqué, nous sommes préalablement disposés à l’exécuter. Ainsi, il est parfaitement conscient de la difficulté de sa situation, mais se réjouit d’avoir fait son devoir. C’est pourquoi Bergson, dans Les deux sources de la morale et de la religion, déclare : « L’obéissance au devoir est une résistance à soi-même ». Il s’agit alors ici d’une résistance agréable, qui consiste à subir des contraintes afin d’avoir la conscience tranquille. Mais considérons à présent un autre cas, où l’homme est placé dans une situation qui lui déplaît concernant son devoir, cependant il a déjà pesé le pour et le contre du sujet, et s’est penché vers ce qui lui semble le plus approprié. Cela dit, il se proclame le droit de renoncer ou de se soumettre à son devoir selon son bon vouloir, et dans le cas favorable où il accepte, son action perd le statut de devoir. Autrement, ce serait le hasard ou encore le libre arbitre de l’agent qui fait alors que le devoir ait été exécuté. D’ailleurs, René Le Senne stipule dans son Introduction à la philosophie : « Les seconds n’indiquent pas ce qui arrivera par la vertu d’une nécessité qu’il ne dépend pas de moi de changer ; mais au contraire ce qui ne se produira que si j’obéis à la règle morale qui le commande ». Ainsi, la bonne volonté accompagne nécessairement l’action moralement bonne, sinon les méchants pourraient également se parer d’un semblant de moralité en agissant par hypocrisie ou par intérêt. D’un côté, une action qui ne procure aucun bénéfice à autrui ne peut être considérée comme renfermant une moralité, mais d’un autre côté l’intention de l’agent compte beaucoup, bien qu’elle ne soit pas toujours manifeste de l’extérieur. En d’autres termes, la bonne volonté est une qualité morale à part entière, et ce, indépendamment de la valeur de l’action proprement dite. Kant, dans sa Critique de la raison pratique, a traité spécifiquement de la bonne volonté, dont l’extrait est le suivant : « Un spectateur raisonnable et impartial ne saurait jamais éprouver de satisfaction à voir que tout réussisse perpétuellement à un être que ne relève aucun trait de pure et bonne volonté, et qu’ainsi la bonne volonté parait constituer la condition indispensable même de ce qui nous rend heureux ».
Nous admirons les actions dotées de moralité dans le sens où l’agent fait preuve d’une bonne volonté, c’est-à-dire remplit pleinement l’appel de son devoir. Sans une bonne volonté, nous considérons toujours les actions bénéfiques à autrui comme le bien, mais cette fois-ci en l’absence d’une connotation morale.
III) La bonne volonté est ce qui caractérise en théorie la moralité
L’obligation morale consiste à répondre à cette voix intérieure qui nous rappelle vers le droit chemin, et cela même si aucune sanction sociale ne nous menace de l’extérieur. Ainsi, la morale diffère du droit positif dans le sens où ce dernier s’accompagne d’une répression par la force en cas de non-exécution. Par ailleurs, les actions morales ne sont pas forcément transformées en législation, donc elles maintiennent toujours leur statut moral, de sorte que la sanction qui résulte du renoncement au devoir se fasse par soi-même. De ce fait, nombreuses sont les obligations issues d’un décret qui ne relèvent pas d’un ordre moral, mais requièrent pourtant une obéissance. John Stuart Mill souligne dans son ouvrage L’utilitarisme cette distinction entre la volonté d’obéir et le devoir, selon ces termes : « C’est affaire à la morale de nous dire quels sont nos devoirs, ou quel est le critérium qui nous permet de les reconnaître ; mais aucun système de morale n’exige que le seul motif de tous nos actes soit le sentiment de devoir ». Ce constat relève du fait qu’il est difficile de discerner une action faite par une bonne volonté et celle qui émane d’une raison particulière. L’exemple le plus proche est le cas des œuvres caritatives : la société apprécie particulièrement ces mouvements parce qu’ils sont forts utiles et qu’ils leur allègent d’un poids. Mais les bénévoles pourraient très bien viser des objectifs personnels, comme soigner leur image publique, renforcer leur pouvoir en manipulant l’inconscient collectif ou encore éviter le gaspillage. Certainement, le véritable mobile de ces personnes charitables se saura au fil du temps, en tout cas nous nous réjouirons du fait que l’action nous a été profitable. Max Weber disait d’ailleurs dans son ouvrage Le savant et le politique : « Aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses ». Faire le bien, tel que l’exige la morale, c’est d’abord disposer d’une bonne volonté, or le jugement du public vise essentiellement leurs avantages. Sachant que la morale se dévoile en un impératif, nous n’avons non plus d’excuses à la refuser faute de moyens. Ainsi, faire le bien renvoie à une obligation de résultat, donc la bonne volonté dissimulerait entièrement l’immoralité des moyens utilisés. Cela dit, il y a des personnes qui font le bien tout en se souciant de faire usage de moyens décents et dignes, et d’autres qui font seulement valoir leur bonne volonté. En conséquence, tous les moyens sont efficaces pour parvenir à faire le bien, et les résultats peuvent être pareils quels que soient ces moyens utilisés. C’est en ce sens qu’Auguste Comte écrit dans son discours sur l’esprit positif : « Il n’existe donc aucune alternative durable, entre fonder la morale sur la connaissance positive de l’Humanité, et la laisser reposer sur l’injonction surnaturelle ».
Conclusion
La compréhension du bien se met en parallèle avec un grand nombre de balises qui se traduit par des interdits, afin de souligner le contraste face à son contraire, à savoir le mal. Dans une société, faire le bien est donc une nécessité, et il faut que tout le monde le pratique par tous les moyens. Mais puisque l’homme n’est pas de l’ordre des choses inertes, mais dispose d’un élan intérieur qui active ses comportements, il agit selon ses sentiments mais aussi selon les préceptes de son jugement. En effet, on ne peut parler de devoir sans cet aspect d’obligation, c’est-à-dire cet impératif imposé par la raison qui procure en même temps un statut moral à l’acte. Dans tous les cas, nous désignons l’obéissance par le fait de faire le bien, autrement dit faire ce qu’il faut envers nos semblables et notre patrie. Cela signifie que la morale est essentiellement une affaire personnelle, et que le premier à être satisfait pour avoir suivi la voix de la conscience est soi-même. La bonne volonté peut-elle encore s’aligner avec l’efficacité ?
Peut-on envisager une vie morale sans philosophie ?