Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
L’homme n’est pas totalement libre, et s’il croit l’être c’est parce qu’il dispose d’une faculté d’agir plus que les autres pouvaient le faire. Mais derrière cette liberté, il y a également un motif extérieur qui le pousse à agir : le désir n’est pas véritablement issu du corps et l’esprit, mais de l’idée que l’on se fait de l’objet. Ainsi, un désir frustré engendre une sensation d’absence de liberté, et cette gêne provient notamment de l’incapacité du sujet plutôt que de l’inexistence de l’objet désiré lui-même. Sur ce, l’aptitude du sujet à faire un choix rationnel sur ce qui est vraiment désirable et ce qui ne l’est pas entraîne une abstinence, qui n’est pas considérée comme une frustration. C’est pourquoi Pascal, dans ses Pensées, émet la réflexion suivante : « Guerre intestine de l’homme entre la raison et les passions. S’il n’avait que la raison sans passions… S’il n’avait que les passions sans la raison… Mais ayant l’un et l’autre, il ne peut être sans guerre, ne pouvant avoir la paix avec l’un qu’ayant guerre avec l’autre : ainsi, il est toujours divisé, et contraire à lui-même ». Face à cette ambigüité, l’homme ne peut que se résigner à la possibilité offerte par l’instant présent et faire taire les autres penchants impossibles à réaliser. Existe-t-il une harmonie préétablie entre la violence des désirs et la mesure de la pensée ? Afin de répondre à cette problématique, nous dresserons les trois paragraphes ci-dessous : d’une part, le corps est intimement complice avec le désir ; d’autre part, un désir contraint perd son intensité mais pas son essence ; et pour terminer, le manque ressenti par l’esprit est parfois bienfaisant pour l’équilibre de notre état.
I) Le corps est facilement influencé par les objets extérieurs
Parmi une foule d’objets qui environne l’homme, il y a ceux auxquels ils éprouvent un penchant particulier et d’autres devant lesquels il reste insensible. Si l’on ne tient compte que du mécanisme naturel du corps, nous ne pouvons pas nous abstenir de boire et de manger selon une durée indéterminée, ainsi que d’ autres entretiens qui sont vitaux pour le corps. Le désir est avant tout un appel provenant du corps, les artifices et luxes assignés aux objets ne provoquent qu’un autre stade du désir qui n’est nullement essentiel. Nous désirons parce que nous savons par intuition que cet objet précis engendre une satisfaction particulière à notre corps. Ainsi, une chose n’est pas désirable en soi, c’est grâce à notre disposition corporelle lors d’un instant défini qui nous le fait juger ainsi. Comme disait Spinoza dans son livre L’Éthique : « De plus, il n’y a nulle différence entre l’appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits ». Plus le corps désire, plus l’objet extérieur nous apparaît comme renfermant des qualités très admirables. En effet, nous ne connaissons pas l’objet tel qu’il est en soi, mais c’est notre imagination, alimentée par le désir, qui nous propose ce qu’il paraît. Notre faculté d’imaginer justifie alors notre désir et dans la même foulée l’objet auquel il se rapporte, de manière telle que nous oublions que c’est le corps qui est le foyer du désir. Étant donné que l’esprit se joint au corps afin de se procurer ce dont il a besoin, le sujet se porte alors volontiers à écarter toutes les objections. Ainsi, le désir atteint le foyer de la volonté qui le pousse à agir, et lorsqu’il devient aveugle à tout appel de la raison, alors naît la passion. C’est en ce sens que Jean Paul Sartre écrit ceci dans L’Être et le Néant : « A d’autres moments, il semble que la facticité envahisse la conscience dans la fuite même et la rende opaque à elle-même. C’est comme un soulèvement pâteux du fait ». Lorsque le désir reçoit le consentement de l’esprit, ce dernier en devient le principal activateur. Bien que le corps soit celui qui bénéficie réellement de la satisfaction, c’est l’esprit qui suscite l’envie de demander davantage que ce qui est naturel au corps. C’est le cas du désir sexuel poussé vers l’assouvissement d’un fantasme qui dépasse largement le cadre du besoin de se reproduire, ainsi que de l’excès de nourriture même en l’absence de la faim. Il est vrai que le désir corporel se renouvelle naturellement, mais sachons que cela est également intensifié par l’idée que nous nous faisons de l’objet. Cela se traduit par cet extrait de la Genèse et structure de la phénoménologie de l’esprit de Hegel, écrit par Jean Hyppolite : « Comment se présente cette expérience au cours de laquelle je découvre l’indépendance de l’objet par rapport à moi ? On peut dire qu’elle naît tout d’abord de la reproduction incessante du désir autant que de l’objet ».
Afin que le désir se maintienne de manière vive chez l’homme, il faut qu’il s’accompagne d’une idée positive qui reconnaît l’importance de ce désir. Quant à sa réalisation proprement dite ainsi que les conséquences qui en découlent, cela constitue des barrières qui font obstacle à sa poursuite, pour aboutir jusqu’à une suppression du désir.
II) Assouvir un besoin superficiel n’est pas une nécessité
Les personnes qui sont dans une situation précaire ont du mal à combler leurs besoins essentiels, mais cela n’est en rien comparable à ceux qui préfèrent volontairement l’austérité. Ainsi, il est des cas où l’homme décide de réprimer ses désirs par un consentement de sa raison, même s’il a les moyens de les réaliser. Ce n’est pas que son désir n’était pas aussi intense pour le pousser à l’action, mais il évalue les conséquences de son action et réalise qu’elles lui sont préjudiciables. Dans ce cas précis, l’homme est parfaitement conscient de ses désirs, mais il est également averti des dangers que cela suppose. Sénèque écrit ce passage dans son livre De la tranquillité de l’âme : « Ils cherchent par tous les moyens à atteindre l’objet de leurs vœux, se dressent et se contraignent à des pratiques honteuses et malaisées, et, quand leur peine n’est pas récompensée, souffrent cruellement de s’être déshonorés pour rien, regrettant, non d’avoir voulu le mal, mais de l’avoir voulu sans succès ». Ressentir un désir est une chose, réussir à l’assouvir comme on l’aurait souhaité est une autre. L’impossibilité est un argument essentiel qui fait entrave à la poursuite d’un désir, et cela concerne précisément les désirs vains. Pour la difficulté de se nourrir au quotidien, même les gens modestes éprouvent largement de la charité pour donner du pain sec aux plus démunis. Dans le cas d’une famine universelle, il ne s’agit plus d’un désir mais d’un combat contre la mort imminente. En d’autres termes, nous trouvons toujours des moyens légitimes pour combler les désirs nécessaires, et uniquement dans les limites de cette nécessité. Mais une fois que nous donnons libre cours à des désirs non nécessaires, cela entraîne un désordre généralisé bien que nous ayons trouvé quelques plaisirs éphémères dans son accomplissement. « Je cherche une passion qui soit naturelle à des hommes que l’obscurité de leur origine ou la médiocrité de leur fortune excitent et limitent, et je n’en trouve point de mieux approprié que le goût du bien-être », déclare Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. Échelonnés à des degrés différents, le luxe et l’opulence font soupirer de nombreuses personnes, mais ils ne satisfont pas pour autant une fois qu’ils sont parmi nous en permanence. Toutefois, une réalisation impossible ne supprime pas le désir, au contraire il devient une illusion qui nourrit notre esprit, se déguisant alors en des rêves. Ainsi, les autres options pour substituer ce désir frustré prouvent que c’est toujours celui-ci qui reste l’idéal. Par définition, l’essence du désir demeure le même bien qu’il ne soit pas réalisé, et c’est justement cette impossibilité qui le maintient éveillé, et ce, de manière inconsciente. C’est pourquoi Freud souligne ce passage dans son livre Essais de psychanalyse : « Notre inconscient se contente de penser à la mort et de la souhaiter, sans la réaliser. Mais on aurait tort de sous-estimer cette réalité psychique par rapport à la réalité de fait ».
L’esprit peut tout à fait raisonner le corps en vue de réprimer le désir, cependant ce dernier occupe une importance capitale dans l’inconscient, sans rapport avec son impossibilité dans le concret. Tout compte fait, le désir évolue en parallèle avec son opposé, qui est la pensée raisonnable.
III) L’équilibre de l’homme s’obtient par la présence de la raison et des passions
Pour les désirs corporels les plus élémentaires, nous n’avons pas conscience de leur importance et se soulage dans ce cas selon des moyens simplifiés. Par exemple, nous ne pouvons pas lutter longtemps contre l’envie de soulager notre vessie : donc, pour les appétits et ses formes similaires, il est impossible de désirer contre soi-même. Cela dit, cette catégorie précise ne représente pas un désir par définition, et ne peut non plus se transformer en passion. Le rôle de la conscience, ou encore de la pensée raisonnable, est donc prépondérant dans le sens où le désir n’est pas seulement un pur mécanisme ou réaction du corps humain. Dans La fable des abeilles, Bernard de Mandeville fait d’ailleurs le constat suivant : « Bien que la faim soit en nous infiniment moins violente que chez les loups et autres animaux rapaces, on voit pourtant des gens qui ont bonne santé et digestion passable, plus irritables et plus vite fâchés pour des riens, quand leurs repas se font attendre au-delà de l’heure habituelle, qu’à aucun autre moment ». Désirer quelque chose signifie que l’objet concerné est encore absent ou inexistant, et de ce manque découle la conscience selon laquelle je tends ma volonté vers sa recherche. Toutefois, il ne s’agit pas de l’atteindre par n’importe quel moyen, mais en visant en même temps la satisfaction du corps et de l’esprit. En effet, l’atteinte de l’objet du désir est la preuve d’une ambition achevée, ce qui augmente l’estime de soi. Or, laisser libre cours à une passion est une forme de suspension de la raison, et en se faisant complice avec le désir, c’est ce dernier qui guide la raison. La conséquence en est également que si tous les désirs peuvent se satisfaire par n’importe quel moyen, alors ils n’ont plus de grande valeur à nos yeux. Comme disait Descartes dans Les Passions de l’âme : « Puisqu’on peut, avec un peu d’industrie, changer les mouvements du cerveau dans les animaux dépourvus de raison, il est évident qu’on le peut encore mieux dans les hommes ». Le fait de désirer contre soi-même est donc une qualité que seules les personnes vertueuses peuvent détenir. C’est un comportement reflétant le contrôle de soi, dans la mesure où il n’est pas toujours possible à tout un chacun de s’abstenir de toute sorte de désir. Cela dit, le désir relève de la nature de l’homme, et le réprimer complètement provoque un déséquilibre dans sa vie psychologique. Après tout, le but n’est pas de l’entretenir, et le désir se dissipera nécessairement au fil du temps, compte tenu des circonstances. Il incombe donc à l’homme d’harmoniser le désir avec la raison, notamment pour les tendances passionnelles. « Ceux auxquels on a inspiré un égal dégoût pour le plaisir ou pour le Ciel se trouvent tous préparés à être ravalés au rang d’objets », affirme Theodor Adorno dans son ouvrage Minima moralia.
Conclusion
Nous pensons qu’un objet est réellement désirable et c’est pourquoi le corps est stimulé à le demander. Or, une simple conscience du désir n’aurait pas la force de se réaliser sauf si elle a l’appui de l’esprit. Toutefois, un projet qui aboutit à un plus grand mal ne vaut pas la peine d’être réalisé, bien que le penchant contraire, laissant miroiter des plaisirs énormes, lui suggère d’autres possibilités. La résignation face à l’impossibilité se fait certes d’une manière décidée, mais renfermant un certain regret. Les désirs prenant la forme de passion, sans qu’ils soient vraiment urgents, ont besoin du concours de la conscience afin de justifier leur existence en nous. Laisser s’exprimer intérieurement un désir ardent, tout en sachant pertinemment les barrières qu’ il ne doit pas franchir, est donc une preuve de courage. Un désir non satisfait change-t-il le cours des choses dans ce bas monde ?