Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La société et l’individu ont chacun des perceptions différentes concernant le monde du travail, et chaque type de communauté assigne une valeur particulière dans le dévouement au travail. Pour preuve, la création des institutions régissant l’emploi souligne qu’il est d’une importance capitale que chacun puisse occuper un métier convenable. Et pourtant, il existe plusieurs frustrations liées au travail, notamment en faisant une activité qui est déplaisante mais le seul disponible sur le marché, ou en prenant conscience de la situation selon laquelle nous courons après l’argent, mais éternellement insatisfaits. Cette situation est similaire à celle décrite par Lucrèce dans son livre De la nature : « Si les hommes comme il semble sentir sur leur cœur le poids qui les accable, pouvaient aussi connaître l’origine de leur mal et d’où vient leur lourd fardeau de misère, ils ne vivraient pas comme ils vivent trop souvent, ignorant ce qu’ils veulent ». Considéré comme un mal économique, le chômage est pourtant involontaire dans la grande majorité des cas, alors que ceux qui occupent un emploi stable peuvent ne pas y trouver leur bonheur. D’un point de vue philosophique, le problème lié au travail renvoie à la dignité de la personne, à la justice sociale et à la quête d’une liberté pour s’épanouir. L’individu peut-il nager à contre-courant face aux principes et mécanismes imposés par la société ? Afin de répondre à ce questionnement, nous présenterons trois paragraphes distincts, où le premier expliquera les désordres causés par le chômage volontaire ; le deuxième s’étalera sur les injustices que renferme le monde du travail ; et le troisième et dernier fera une synthèse selon laquelle une injustice peut être palliée une fois qu’elle a été motivée par la société.
I) Le dérèglement économique est essentiellement causé par le chômage
Chaque individu ne dispose pas des mêmes potentiels et aptitudes pour s’acquérir ces biens, ce qui fait que les uns sont en possession d’un type de biens en quantité considérable, et d’autres en détention d’une autre catégorie dont le nombre dépasse largement ce qu’il lui en faut pour vivre. Pour avoir un équilibre dans la détention des richesses dans une communauté, il faudrait alors procéder à un échange, mais dans la condition où chacun a quelque chose à offrir. C’est en ce sens qu’Adam Smith fournit cette explication tirée de son livre Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations : « Un homme est riche ou pauvre suivant les moyens qu’il a de se procurer les besoins, les commodités et les agréments de la vie ». Cependant, ces biens détenus par les partis concernés diffèrent en qualité et en quantité, ce qui fait que le commerce engendre nécessairement une répartition inégale, mais juste, des richesses. Et pour celui qui ne travaille pas, il ne peut aucunement participer au commerce, et encore moins multiplier les richesses en sa possession. D’ailleurs, il existe une autre forme de dépossession dans le cas où le travail fourni ne peut acheter qu’une partie infime de biens, ce qui est incapable de répondre aux besoins personnels. Dans ce cas particulier, l’individu travaille bel et bien, mais il rencontre le même problème que ceux qui ne travaillent pas. Par conséquent, ne pas travailler n’est pas un mal en soi, c’est plutôt les conséquences fâcheuses au niveau de la survie qui nous en empêche. Voici une illustration fournie par Thomas More dans L’utopie : « Considérez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employés en choses nécessaires. Car, dans ce siècle d’argent, où l’argent est le dieu et la mesure universelle, une foule d’arts vains et frivoles s’exercent uniquement au service du luxe et du dérèglement ». Dans cet extrait, il est clair que les possibilités pour pouvoir vendre peuvent être augmentées considérablement. Cependant, ce sont les biens importants qui font défaut, puisque les travailleurs migrent vers des secteurs faisant amasser de l’argent. Ainsi, le travail devrait être compris comme la production de biens principaux qui sont nécessaires, tout d’abord pour la survie de celui qui l’exécute, et après pour la société qui achètera ce produit moyennant un prix. Du coup, tous les phénomènes qui engendrent la pénurie de biens sont aussi nuisibles que le fait de ne pas travailler. Parallèlement, sont considérés comme un travail toute intervention qui œuvre pour la multiplication de ces biens, y compris le commerce. Perçus à grande échelle, les problèmes liés au travail reflètent et engendrent toutes les autres formes d’injustice dans une société. C’est pourquoi Marcel Mauss souligne dans son livre Sociologie et anthropologie : « Les peuples, les classes, les familles, les individus, pourront s’enrichir, ils ne seront heureux que quand ils sauront s’asseoir, tels des chevaliers, autour de la richesse commune ».
Ceux qui choisissent délibérément de ne pas travailler conduisent à la perte de la société, car ils consomment sans produire. Toutefois, les mécanismes qui font fonctionner la sphère laborieuse dissimulent également quelques injustices, ce qui freine la possibilité de bouger.
II) Seule la classe dominante est favorisée par la division du travail
Dans la sphère économique, chaque individu œuvre pour faire valoir un art ou un métier dans lequel il se spécialise. Cependant, un artisan ne possède pas nécessairement les moyens et outils nécessaires pour exercer son travail ; dans ce cas, il devrait travailler pour autrui, c’est-à-dire un capitaliste qui s’accapare du produit en échange des ressources et fournitures mises à la disposition du travailleur. Ce droit de détenir le produit est stipulé préalablement par un contrat, et le salarié qui effectue la transformation des matières premières ne reçoit qu’une subsistance journalière. Juridiquement parlant, cette situation est accordée et justifiée. Cet extrait du Capital de Karl Marx souligne pertinemment cette thèse : « C’est comme puissance ennemi de l’ouvrier que le capital l’emploie, et il le proclame hautement. Elle devient l’arme de guerre la plus irrésistible pour réprimer les grèves, ces révoltes périodiques du travail contre l’autocratie du capital ». Si un individu choisit de travailler, il devra s’aligner à l’intérieur de ce système : soit il possède ses propres moyens pour produire, donc il se classe comme un capitaliste ; soit il n’en possède guère, et il sera obligé de travailler au profit d’un autre capitaliste. En prenant conscience de cette prétendue normalité, le travailleur est alors en droit de juger la situation et de décider de ne pas travailler. Bien que sa survie dépende du maigre salaire qu’il gagne au quotidien, il peut très bien s’exprimer sur ce qu’il pense être injuste. D’ailleurs, le cas de chômage généralisé est déjà un signe pour dire que le système capitaliste est intenable dans le long terme. Et les grèves sont un appel pour refuser de travailler dans des conditions inacceptables. Georges Sorel, dans son livre Réflexions sur la violence, écrit : « C’est dans les grèves que le prolétariat affirme son existence. Je ne puis me résoudre à voir dans les grèves quelque chose d’analogue à une rupture temporaire des relations commerciales qui se produiraient entre un épicier et son fournisseur de pruneaux parce qu’ils ne pourraient s’entendre sur les prix ». Pour les travailleurs en particulier, ils n’ont pas de mot à dire sur les mécanismes du monde du travail, ils ne peuvent pas négocier leur salaire ni améliorer leur condition de travail. Et il n’est pas étonnant que le chômage volontaire s’accroît, puisque le temps dépensé à travailler pour autrui équivaut à ne pas travailler du tout, tellement le salaire est bas. Bien que cela puisse être considéré comme de l’oisiveté aux yeux de la société, et que la situation de la masse populaire ne fait que s’empirer en décidant de ne pas travailler, la décision de renoncer à travailler est tout à fait juste. La bourgeoisie, par contre, est par nature oisive et souhaite que le système capitaliste se perpétue en conquérant des marchés plus vastes, en disposant d’une main d’œuvre efficace, docile et bon marché. Cet extrait de Qu’est-ce que la propriété de Pierre-Joseph Proudhon l’atteste : « Et c’est cette dénégation frauduleuse qui fait l’indigence du travailleur, le luxe de l’oisif et l’inégalité des conditions. C’est en cela surtout que consiste ce que l’on a si bien nommé exploitation de l’homme par l’homme ».
L’injustice sociale prend un sens diamétralement opposé chez le capitaliste et chez le prolétariat. En effet, ce qui se fait d’ordinaire devient une habitude, et l’habitude ne suscite plus aucun questionnement : c’est ainsi que l’injustice dans la sphère socio-économique se perpétue.
III) La hiérarchie sociale est la mesure de la justice
En général, la justice est basée sur le droit, en ce sens que les déviations du chemin imposé par le droit méritent d’être rectifiées par la justice. Étant érigé en une institution, la justice devient une instance indépendante sur laquelle repose l’harmonie entre les différents partis antagonistes dans une société. Et le système capitaliste, étant basé sur des règles juridiques bien définies, est celui qui sera accepté en termes de création et de répartition de richesse. Bien évidemment, le cas du travailleur y est mentionné, stipulant les types de protection sociale et les conditions requises afin d’en bénéficier. Comme disait Alain dans ses Eléments de philosophie : « J’entends ce rapport que n’importe quel échange juste établit aussitôt entre le fort et le faible, entre le savant et l’ignorant, et qui consiste en ceci, que, par un échange plus profond et entièrement généreux, le fort et le savant veulent supposer dans l’autre une force et une science égale à la sienne, se faisant conseiller, juge et redresseur ». En tout cas, les manifestations de violence à travers les grèves ou autres protestations ne sont en rien fructueuses, puisque le droit de grève est lui-même inscrit dans la législation concernant l’emploi. En somme, tout ce que le travailleur peut faire, c’est le capitaliste qui l’a déjà permis à l’avance, et tout ce qu’il ne peut pas faire est considéré comme une perturbation à l’ordre public. Ne pas travailler dans le cadre d’une grève n’est pas une injustice, et ne pas travailler indéfiniment est tout simplement impossible. Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville explique : « Il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ». L’auteur parle ici de l’Etat, qui se fait complice avec la classe dominante pour assagir la masse avec quelques consolations en matière de protection sociale. Cependant, l’Etat ne tolère pas l’oisiveté et le punit indirectement, et la société elle-même les marginalise sous diverses formes. Et ces réactions ne sont aucunement considérées comme des injustices puisque l’Etat est principalement un justicier. Par conséquent, la justice considérée dans son sens courant prend toujours référence sur ce qui est communément légitimé dans une société. Dans un Etat juste, le droit des travailleurs ne serait pas équitable par rapport à ceux des capitalistes. C’est ainsi que Ernst Bloch confirme dans L’esprit de l’utopie : « S’il n’y a pas de propriété, il n’y a non plus de droit, aucun besoin de recourir à ses catégories creuses et acérées ».
Conclusion
Les ressources offertes par la nature ne sont pas directement utilisables par l’homme : il est nécessaire de les transformer afin de les adapter à divers usages, mais également propice pour une conservation dans une durée à long terme. Par la suite, chaque partie effectue un échange en fixant une valeur en unité monétaire en équivalence pour tel ou tel lot de biens donné. Si la distribution des richesses paraît équitable, c’est parce qu’il existe une hiérarchie bien posée qui gouverne le processus, en commençant sur la division du travail même. Et la société fonctionne normalement à travers l’existence d’une catégorie bourgeoise et une autre qui est prolétaire, tout en exhibant un système inégalitaire qui lèse ce dernier. D’après la définition de la justice, il y a des manquements que le capitalisme n’a pas su remplir, dans le sens où le droit du travailleur est fonction de son infériorité, un statut qui ne pourrait en aucun cas se renverser tant que nous espérons un geste de la part de la bourgeoisie. Le travail renvoie-t-il nécessairement à un accroissement de la richesse ?