Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
L’homme est capable d’étendre ou de restreindre ses champs de vision selon ses priorités, mais toujours sous les contraintes de l’espace et, surtout, du temps. Sa vie progresse alors en une suite d’espoir et de succès qui se décline dès fois en regrets et en déceptions. Sachant qu’il n’a pas une totale emprise sur les évènements, il continue son chemin dans le but d’insérer du sens à ce qu’il fait, mais également à ce qu’il ne fait pas. La pensée de l’homme agit donc en guise de sélection pour les choses jugées essentielles, et ne tient pas compte de celles qui font entrave à la poursuite de ses objectifs. William James explique : « Se souvenir de tout serait, en bien de circonstances, aussi fâcheux que e se souvenir de rien ; il faudrait, pour nous rappeler une portion déterminée de notre passé, exactement le temps qu’il fallut pour la vivre, et nous ne viendrons jamais à bout de penser ». Le plus souvent, notre mémoire a été façonnée, en dehors de son côté utilitaire, sur la base de nos états psychologiques, dont les plus décisifs sont la peur et l’angoisse. Cependant, l’activité de la mémoire témoigne de la permanence du temps qui nous accompagne dans notre existence, mais qui échappe toutefois à notre contrôle. L’emprise du temps sur notre conscience est-elle provoquée par la mémoire ? La résolution de cette problématique se fera en trois paragraphes, où le premier évoquera la place primordiale de la mémoire dans notre quotidien ; le deuxième traitera de la dimension ontologique du temps, qui surpasse sa fonction scientifique ; et le troisième mettra en surface la crainte permanente de l’homme face au temps.
I) La mémoire de l’homme remplit le temps présent
Plus qu’une simple fonction cérébrale, la mémoire est omniprésente dans l’appréhension du monde extérieur, mais aussi sur la formation de la connaissance. En faisant usage de nos organes de sens, nous recevons des impressions sur notre entendement puis reliées avec d’autres qui lui sont similaires. Ainsi, nous ne ressentons aucune étrangeté face aux objets qui nous entourent, car nous savons qu’ils sont de même nature et de même ordre que le reste du monde qui nous sont connus. Nous avons alors une grande facilité à comprendre les nouveautés qui se présentent à nous, en raisonnant par analogie avec les faits auxquels nous avions affaire auparavant. C’est la faculté de la mémoire qui intervient essentiellement au quotidien, sans que nous nous en apercevions. Comme disait Hume : « Le rôle principal de la mémoire est de conserver non pas simplement les idées, mais leur ordre et leur position ». La mémoire va également de pair avec l’imagination, car nous nous ne pouvons créer, ne serait-ce qu’en image, un objet atypique qui est totalement décalé de la réalité. D’ailleurs, dans la formation des concepts scientifiques, une synthèse a lieu sur les phénomènes observés précédemment, ce qui requiert une fonction capitale de la mémoire. En effet, une analyse sur les faits exige une vision globale qui se fait le plus souvent après l’observation, c’est-à-dire en l’absence de ces faits. Dans le Phèdre de Platon, il est d’ailleurs écrit : « Une intelligence d’homme doit s’exercer selon ce qu’il appelle Idée en allant d’une multiplicité de sensations vers une unité, dont l’assemblage est acte de réflexion ». En plus, il existe une discipline qui consiste à mettre la mémoire en exergue, ce qui s’étend sur une étendue très large dans l’intervalle temporelle, et concernant toute l’humanité. L’histoire est la réincarnation du passé, non pas en tant que vécu personnel, mais comme un événement qui mérite d’être conservé par les générations actuelles et futures. Cette mémoire très particulière est même provoquée, et il est considéré comme le devoir de chacun de la préserver, sous forme de vestiges et de patrimoines, ou encore d’écrits et de témoignages vivants. Et bien que l’histoire ne peut rivaliser les sciences et la technique en termes de conservation de l’espèce, elle s’érige toutefois en tant qu’effigie de l’humanité. Elle donne donc à penser à la réalité concrète du concept d’homme qui accorde une place à l’inutile. « C’est en ce sens qu’il existerait une mémoire collective et des cadres sociaux de la mémoire, et c’est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu’elle serait capable de se souvenir », écrit Maurice Halbwachs dans son livre Les cadres sociaux de la mémoire.
Le déploiement de la mémoire se fait dans un geste tellement naturel, de sorte que nous puissions exercer notre pensée et notre discernement dans la plus grande facilité. En parallèle, le temps enveloppe notre conscience et conditionne même l’activité de la mémoire.
II) La conscience du temps nous entraîne à libérer notre imagination
Avant qu’il y ait fonction de la mémoire, le temps propose un cadre plus abstrait et plus pertinent pour la saisie de la réalité. Les scientifiques le comprennent comme l’unité de mesure par excellence pour observer le mouvement, tandis que les économistes le considèrent comme la première référence pour faire fructifier son argent dans les meilleures conditions. Dans ces deux cas, le temps n’est pas un vécu, mais observé seulement parmi le rythme des activités quotidiennes. En effet, nous pouvons concevoir le temps à travers son côté intangible, c’est-à-dire l’éternité, qui ne peut être représenté par aucune chose de ce monde. Et même la mort, qui est considérée comme étant la voie par laquelle on y accède, est seulement suggérée par les dogmes religieux et alimentée par le désir humain de croître en puissance. Cet extrait de La pensée et le mouvant de Bergson exprime clairement cette aspiration à dépasser la temporalité : « C’est ainsi que la métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui change, en dehors, par conséquent, de ce que nos sens et notre conscience perçoivent ». Rappelons que la mort a toujours été parmi les hommes et les animaux, mais cela n’a aucunement altéré ou changé en quoi que ce soit la conception du temps. Si la dégénérescence du corps n’est nullement problématique, c’est la dimension métaphysique du temps qui intéresse davantage dans le phénomène de la mort. Ainsi, l’éternité est le principal objet des mythes, mais également l’instance à laquelle soupirent le héros et le génie à travers leurs exploits. Pour donner de la consistance à ce concept très vaste, l’imagination nourrit notre pensée, une façon d’oublier la contrainte du temps et surtout pour ne pas penser à la mort. A travers la pensée de l’éternité, nous mettons en veille la fonction de la mémoire au profit de l’imagination, cette dernière qui détient également une fonction primordiale dans notre équilibre psychologique. Gaston Bachelard, dans L’air et les songes, constate : « Le poème est essentiellement une aspiration à des images nouvelles. Il correspond au besoin essentiel de nouveauté qui caractérise le psychisme humain ». A proprement parler, les œuvres d’art et les pratiques religieuses servent essentiellement à figer le temps, non pas à travers la mémoire, mais plutôt à renouveler les sensations par les formes éternelles de ces créations. En effet, la dimension métaphysique du temps ne réside pas uniquement en pensée : c’est justement dans cette incapacité à le définir, même en pensée, qui constitue sa nature métaphysique. Cela dit, le vécu qui se déroule dans notre conscience, et que nous attribuons à chaque réalité, peut être interprété de l’ordre de la métaphysique. Il est donc tout à fait possible que nous intégrons le domaine de la métaphysique tout en demeurant parmi le monde physique, ceci parce que nous avons expérimenté le vécu réel du temps. Dans son livre L’imaginaire, Jean Paul Sartre s’exprime en ces termes : « L’irréel est produit hors du monde par une conscience qui reste dans le monde et c’est parce qu’il est transcendentalement libre que l’homme imagine ».
Dans la conception du temps, il existe une part de fiction et de réalité, et ces deux applications sont contemporaines et insérées ensemble dans la conscience du monde. Comme toute fonction de la pensée, il nous incombe d’activer notre conscience ou de la mettre en veille, comme le cas de l’oubli.
III) L’oubli est une modalité particulière de la pensée
La mémoire se met en œuvre pour marquer la capacité de la pensée à situer ce qui n’est plus ou ce qui pourrait advenir. L’oubli, quant à lui, est la négation de la mémoire, c’est-à-dire une négation volontaire qui met en veille cette fonction, et peut être à son tour nié par la mémoire. Même dans les cas de troubles psychologiques les plus aigus ou d’une inconscience prolongée, l’homme peut toujours retrouver totalement ou partiellement ses facultés au cours d’une thérapie. Une fois que nous serons en contact avec certains éléments reliés à un événement donné, notre mémoire reprend en même temps ses fonctions. Effectivement, il nous est impossible de retenir intégralement notre passé, mais nous présentons toutefois quelques états défectueux dans l’acte de la mémoire. Nietzsche décrit clairement cette situation dans Considérations inactuelles : « Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est impossible de vivre sans oublier ». Outre les capacités limitées de notre mémoire, l’homme possède également cette volonté de réguler son état psychologique en optant pour l’oubli. Ce qu’il tire de ce processus de pouvoir recommencer un nouveau départ, après avoir écarté les effets négatifs produits par une expérience malheureuse. L’homme qui voudrait oublier aspire donc à vivre le présent avec beaucoup d’espérance dans ce qui viendra, c’est-à-dire expérimenter le temps en se concentrant sur l’attente. L’acte de l’oubli est le plus souvent nécessaire après un échec douloureux, et cela se manifeste d’ailleurs par différents comportements, notamment par le changement d’apparence ou de comportement. En effet, l’oubli ne se fait pas avec le temps, mais plutôt avec de la volonté d’oublier et de défier la pression du temps. L’ouvrage L’évolution de la mémoire et de la notion de temps écrit par Pierre Janet l’exprime en ces termes : « Par conséquent, se souvenir, pour un homme isolé, est inutile, et Robinson, dans son île, n’a pas besoin de faire un journal. S’il faut un journal, c’est parce qu’il s’attend à retourner parmi les hommes ». Cela signifie que celui qui voudrait oublier a l’intention de se retirer de la foule, ou plus exactement de retirer de sa conscience ce que la société lui offre comme souvenir. L’oubli signifie donc isolement, rupture avec le monde ici présent pour vivre le temps sans relation avec le passé, donc un temps purement métaphysique. Cela dit, l’oubli n’efface pas les trois phases du temps, mais altère seulement la conscience. En d’autres termes, même si nous sommes plongés dans une inconscience, le temps continue son écoulement selon sa conception scientifique. Et cela est également vrai sur le plan métaphysique, car ce n’est pas la pensée du temps qui crée l’être du temps. Voici une citation de William James qui illustre l’état de la conscience lorsque nous oublions volontairement : « Cependant, les impressions physiques qui ne comptent pas nous sont aussi présentes que celles qui comptent ; elles affectent nos sens avec une égale énergie. Pourquoi ne percent-elles pas jusqu’à la conscience ? »
Conclusion
La mémoire est une sorte d’actualisation qui fait revivre au temps présent les expériences du passé, tout en situant précisément le repère chronologique de cet évènement. Et même pour le cas de l’imagination, qui est également une fonction non négligeable de la pensée, la mémoire occupe une place essentielle dans cette démarche. Le temps étant une notion antérieure à la mémoire, il est très rare que nous le considérions en tant qu’objet de pensée, sauf dans le cadre de la réflexion philosophique. Toutefois, la pensée ne saisit les choses qu’en fonction de certaines similarités avec d’autres objets, ce qui lui est impossible lorsqu’elle prend le temps pour objet, d’où sa dimension métaphysique. Ainsi, l’oubli est la mise en suspens de la mémoire, mais qui n’affecte en rien la conception et la réalité du temps. Peut-on avoir la conscience du monde sans avoir être conscient du temps ?