Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
L’histoire est une matière enseignée dans les classes primaires, et les enfants n’ont aucune difficulté à comprendre son contenu, même si les faits évoqués sont notamment l’action des monarques et des chefs d’Etat. Présentée comme une sorte de divertissement, mais pourtant différente des contes et des fictions, l’histoire constitue tout un patrimoine et l’intérêt pour cette discipline si particulière est le signe d’un esprit cultivé. Nombreux sont ceux qui se méprennent quant à sa valeur et son utilité, puisque connaître le passé serait peu onéreux dans le monde du travail, et qu’elle ne serait pas aussi efficace que les autres disciplines sœurs pour apporter quelques changements dans le monde. Voici un extrait du livre Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet : « C’est ce qui s’appelle époque, d’un mot grec qui signifie s’arrêter, parce qu’on s’arrête là pour considérer comme d’un lieu de repos tout ce qui est arrivé devant ou après, et éviter par ce moyen les anachronismes, c’est-à-dire, cette sorte d’erreur qui fait confondre les temps ». En réfléchissant sur l’histoire, nous sommes emportés par une sorte de nostalgie, sans jamais pouvoir revivre ces moments grandioses ici et aujourd’hui. Et pourtant, elle n’a de sens que parce qu’elle fait désormais partie du passé et que les faits racontés sont irréversibles. Peut-on actualiser l’histoire et s’en servir en guise de modèle pour l’avenir ? Cette problématique sera traitée à travers trois paragraphes, où le premier analysera l’histoire en tant que témoignage du passé ; le deuxième expliquera que le présent puise sa signification à travers les éléments constitutifs de la mémoire ; et le troisième conclura que l’histoire ne peut servir de loi pour guider les actions de l’homme.
I) L’histoire est une sorte de mémoire collective
Les animaux sont capables de conserver leur espèce en s’adaptant au cycle des saisons et à son milieu naturel ; les hommes, pour leur part, font des prévisions grâce à la conscience du temps, c’est-à-dire en pensant à des éléments probables de survenir dans le futur. Or, cette anticipation est également fonction des évènements du passé, offrant ainsi un avant-goût sur les choses incertaines. Et même si notre mémoire présente parfois quelques défaillances, les éléments que nous avons retenus sont ceux qui nous ont véritablement marqués et qui méritent d’être mémorisés. L’histoire a donc été créée pour inaugurer officiellement cette mémoire, qui touche le passé commun d’un groupement d’individus. Dans le livre La mémoire collective de Maurice Halbwachs, il est écrit : « Quand elle se disperse dans quelques esprits individuels, perdus dans des sociétés nouvelles que ces faits n’intéressent plus parce qu’ils leur sont décidément extérieurs, alors le seul moyen de sauver de tels souvenirs, c’est de les fixer par écrit en une narration suivie puisque, tandis que les paroles et les pensées meurent, les écrits restent ». Il existe un réel avantage de conserver les vestiges du passé, non seulement pour marquer la continuité du temps, mais aussi pour maintenir la permanence du moi à travers le devenir du corps. Un simple objet ne peut en effet avoir un intérêt particulier que s’il est rattaché à ma vie, c’est-à-dire que s’il contribue à mon histoire personnelle. Un objet ou un être de la nature ne possède pas d’histoire, d’une part parce qu’ils ne disposent pas de la conscience du temps, et d’autre part parce qu’ils n’ont pas une volonté pour dévier leur devenir, et se résignent à subir des forces extérieures. « La science décrit la succession des éclipses, la propagation d’une onde sonore, le cours d’une maladie qui passe par des phases régulières, et le nom d’histoire ne peut s’appliquer qu’abusivement à de semblables descriptions », affirme Cournot dans son ouvrage Essai sur les fondements de la connaissance et sur les caractères de la critique philosophique. Cependant, il importe de souligner que le souvenir du passé n’est pas une réincarnation : on fait rejaillir le contenu de notre mémoire justement pour dire que c’est du passé. L’illusion qui consiste à dire que le passé a encore une certaine réalité dans le présent est une sorte de divagation de l’esprit, car elle fait confondre ce qui est et ce qui n’est plus. Il suffit de penser au marquage temporel dans les suites historiques pour réaliser qu’il est impossible de faire un retour en arrière lorsqu’on raisonne dans un cadre temporel. Cette idée est inspirée de ce passage des Confessions de Saint Augustin : « Comment donc, ces deux temps, le passé et l’avenir, sont-ils, puisque le passé et l’avenir, sont-ils, puisque le passé n’est plus et le futur n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l’éternité ».
Le passé a besoin d’être retenu en mémoire pour marquer le caractère temporel de l’homme, mais aussi pour montrer qu’il est un être en devenir. Or, l’on constate que le temps présent est toujours et déjà rempli par les éléments du passé et les projets du futur.
II) L’histoire témoigne de la nature temporelle de l’homme
A bien y réfléchir, nous sommes en interaction avec le monde extérieur grâce à l’activité de notre conscience. Et bien que cette modalité de notre esprit agisse dans le temps présent, sa visée se concentre plutôt sur les éléments du passé. En effet, les impressions issues des organes de sens, et avec l’intervention de la conscience, se transforment aussitôt en souvenir. Ainsi, notre souvenir est constitué par des faits très récents, c’est-à-dire ce qui s’est passé il y a quelques secondes, ou bien un vécu très lointain. Lorsque notre esprit est en train de penser à un fait concret qui s’est déroulé dans le monde, c’est toujours un fait appartenant au passé. Dans son livre L’énergie spirituelle, Bergson décrit le fonctionnement de la mémoire comme suit : « La mémoire peut manquer d’ampleur ; elle peut n’embrasser qu’une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est pas ». Concrètement, lorsque nous réfléchissons dans le temps présent, c’est-à-dire lorsque nous nous préoccupons de l’immédiat, nous avons en tête le passé récent et l’avenir proche. Dans ce raisonnement, nous désignons une fonction similaire à la conscience et à la mémoire, de sorte que par la continuité du temps, tout se ramène au présent, et il n’existe rien que le présent. Le cœur du problème réside donc dans l’être du passé, qui a été mais qui n’est plus, et dont la pensée est toujours possible. En effet, c’est la mémoire qui le rend possible, et la mémoire n’est ni le temps, ni les faits du passé. Cette thèse rejoint ce passage de L’évolution de la mémoire et de la notion du temps écrit par Pierret Janet : « La mémoire a pour but de triompher de l’absence et c’est cette lutte contre l’absence qui caractérise la mémoire ». Ainsi, les faits historiques ne sont plus, ils font partie du passé, mais nous avons l’obligation de les rappeler par des écrits ou par la conservation des éléments matériels qui témoignent du passé. L’histoire est donc ce qui mérite d’être dans le présent, bien que cette pensée ne soit pas rattachée directement à notre quotidien. En d’autres termes, elle demeure en permanence dans le présent, même si nous ne le visons pas volontairement à travers notre conscience. Ainsi, les faits historiques détiennent un statut exceptionnel par rapport aux autres faits du passé, à savoir le droit de guider préalablement la mémoire. Raymond Aron, dans son livre Dimensions de la conscience historique, disait : « L’histoire est la reconstitution par et pour les vivants, de la vie des morts ».
Le passé n’est plus, mais nous avons le droit d’y penser parce que je fais l’effort de m’en souvenir, soit par ma mémoire, soit en se référant à l’histoire. Et l’action de se souvenir se déroule dans le présent, mais son sens ne peut pas être appliqué au présent ou au futur.
III) L’histoire ne conditionne pas le temps présent
Soulignons que l’histoire est le fruit d’une méthode de recherche objective, en se basant sur la cohérence des éléments du passé. Cela dit, un fait du passé n’est pas forcément de l’histoire, mais tout simplement une donnée de la mémoire ou tombée dans l’oubli. Que l’histoire aie une certaine liaison avec mon passé personnel ou non, elle reste une effigie, un monument à travers lequel les regards se font un repère : l’histoire devient alors une mémoire provoquée dans le temps présent. Dans ce cas de figure, nous ne pensons pas l’histoire, nous avons conscience de la vérité et de la concrétude de ce qu’elle raconte. C’est pourquoi Nietzsche, dans son ouvrage Considération inactuelles, affirme : « Comment l’histoire servirait-elle mieux la vie qu’en attachant fortement à leur pays natal et à leurs coutumes locales des populations moins favorisées que d’autres, en les fixant et en les détournant d’aller errer à l’étranger en quête du mieux qu’il leur faudra disputer à d’autres ? » Par conséquent, penser l’histoire au temps présent signifie reprendre ses éléments et les considérer comme un canevas dans lequel les événements futurs vont se produire. Autrement dit, c’est transformer les faits de l’histoire comme une loi gouvernant le monde des hommes. Or, il n’y a rien de plus imprévisible que les projets humains, qui recèlent des intentions toujours nouvelles et défiant parfois les interdits. D’ailleurs, le sens de l’histoire est de mettre en exergue cette particularité des actions des grands hommes, ce qui surprend par le courage et par la réussite inattendue de ses œuvres. Certes, les politiciens de l’époque contemporaine peuvent très bien s’en inspirer pour constituer son parcours, mais rien n’est certain que le résultat soit identique à celui des héros du passé. Ce passage de La Raison dans l’histoire de Hegel met en exergue cette nature spécifique de l’histoire : « Ce point de vue implique d’ailleurs que les milieux moralisants n’ont aucun droit de poser des exigences à l’encontre des grandes actions historiques et de leurs auteurs, car ceux-ci n’y appartiennent pas ». D’une manière objective, l’histoire est située dans le passé, tel que la mémoire les ordonne dans le repère chronologique. Seulement, raconter l’histoire n’est pas le même que penser l’histoire, le premier le désigne comme une narration alors que le deuxième considère le sens de la continuité de ces évènements. Il est vrai que les faits de l’instant présent offrent une certaine liaison avec ceux du passé, mais cela s’est produit par une sorte de nécessité, étant donné que l’homme n’a pas tout le contrôle des phénomènes. Toutefois, elle a un sens, tel qu’il est stipulé dans Humanisme et terreur de Merleau-Ponty : « Le marxisme est pour l’essentiel cette idée que l’histoire a un sens en d’autres termes qu’elle est intelligible et orientée ».
Conclusion
En considérant le passé et le futur, nous dirions que le passé a plus de consistance, car ce sont des événements qui se sont réellement produits. Ainsi, avoir une histoire est la marque de mon existence en tant qu’homme, c’est-à-dire que je constitue moi-même mon propre devenir grâce à ma volonté, puis à l’acte de la mémoire. Pourtant, nous pouvons affirmer que la mémoire n’a de sens que parce que nous sommes désormais dans le présent, et que le passé est désigné comme tel car il se distingue, grâce à ma conscience, du présent. Le présent a besoin de l’histoire, sinon nous serions obligés de tout recommencer à zéro, et ce qui se passera par la suite serait alors le fruit de la contingence, destinée également à disparaître à jamais. Ainsi, ce n’est plus la conscience qui intervient pour que l’histoire soit, mais plutôt le choix de l’historien à figer en écrits un fait qu’il considère comme important pour un peuple ou toute l’humanité. Néanmoins, l’histoire ne peut pas servir de guide pour les prévisions du futur, et aucune loi sur la conduite de l’humanité ne peut découler de la narration historique. Un événement historique peut-il perdre de sa valeur ?