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Les vérités scientifiques sont-elles définitives ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les vérités scientifiques sont des propositions dites vraies du fait de leur objectivité. Cette objectivité est fondée sur une méthode de recherche qui allie la rigueur rationnelle et la maîtrise expérimentale. Cependant, ces fondations permettent-t-elles de s’assurer que ce qu’on estime de la science comme vérités soient incontestable soit ne nécessitant aucune révision car rendant compte infailliblement de la réalité ? Il n’est pas rare de penser que la recherche scientifique formule des propositions qui semblent identifier des lois propres à la nature. Ainsi on peut penser qu’il n’y a rien à ajouter quand la science s’exprime. C’est un phénomène culturel d’affirmer que quand une proposition est scientifique elle décrit les faits tels qu’ils sont. Pourtant, l’histoire de la science aura développé ce qui semble être des réformes théoriques ou même des impasses qu’il fallait abandonner. Faut-il alors penser que les théories obsolètes pourtant soutenues par la communauté scientifique d’une époque n’étaient pas, au fond, scientifiques ou faut-il voir en cela le signe de problèmes épistémologiques propre à l’approche scientifique ? Si le second cas est valide quelle valeur donner donc à la vérité scientifique si elle ne peut offrir l’objectivité absolue qu’on attend généralement d’elle ? Pour répondre à cette question nous allons premièrement voir quelles pertinences épistémologiques offrent véritablement la recherche scientifique pour considérer qu’elle puisse formuler des vérités ultimes. Deuxièmement, nous allons aussi observer pourquoi les théories scientifiques connaissent des réformes, voire des révolutions majeures. Finalement nous développerons en quoi la vérité scientifique garde une valeur estimable dans la quête de connaissance précisément grâce à sa faillibilité à offrir une vérité définitive.

I) la puissance des vérités scientifiques

a. Une puissance d’universalité

La puissance d’une vérité scientifique réside premièrement par l’estimation de sa pertinence universelle. L’universalité d’une vérité renvoie à une validité qui devrait être partagée en tout temps et en tous lieux quand ses conditions d’observations sont proprement définies selon ce qu’elle dit rendre compte. L’universalité d’un propos est donc empiriquement impossible à vérifier du fait de l’envergure exponentielle de la variété des situations. Toutefois l’universalité d’une vérité scientifique est au moins validée par son objectivité rationnelle. L’idée est que cette  objectivité désigne le fait que les théories scientifiques se veulent être capables de déterminer les caractères propres des phénomènes par l’observation scrupuleuse de la raison. Le problème à dépasser est que la perception d’un phénomène est contingente à son sujet. C’est-à-dire qu’elle n’est pas stable car elle change selon le jugement qui est produit les différentes circonstances de l’observation du sujet ; d’où la difficulté d’atteindre l’universelle. C’est pourquoi l’observation scientifique donne à penser qu’elle peut résoudre ce problème en accordant méthodiquement l’ingéniosité et la rigueur rationnelle et l’expérience empirique. Cette opération consiste à déterminer la cohérence interne des propositions qui suivent l’expérience. Premièrement, l’ingéniosité a pour part de déduire, le plus souvent intuitivement, des problèmes ou des solutions inédites. Deuxièmement, la rigueur rationnelle, appuyée par la précision et la cohérence mathématique, développe formellement l’opération de la démonstration déductive pour que la théorie qui en découle soit reconnue et validée par tout être capable d’user rigoureusement leur esprit rationnel. Enfin, l’expérience sert à tester concrètement la théorie. Une telle méthode élimine alors les jugements contingents qui sont impliqués dans l’observation car ces derniers sont manifestés par les points obscurs ou contradictoires que leur présence produit.

 

b. Une puissance prédictive

Deuxièmement, si une vérité n’a pas de sens si elle n’offre rien de constant dans une circonstance donnée, la force d’une vérité scientifique réside dans ce qui semble être justement une capacité à prédire les phénomènes. En effet, la théorie scientifique ne fait pas seulement un rapport précis et rationnellement acceptable des faits. C’est aussi une théorie féconde et pratique impliquant un système déductif capable de produire de nouvelles théories rationnellement pertinentes et par ailleurs de déterminer avec une probabilité considérable la course des actions des phénomènes. C’est pourquoi on a l’impression que les vérités scientifiques dévoilent des lois inhérentes à la nature même. Comment la science est-elle capable de produire de telles théories. Premièrement par son ambition d’objectivité soit de rapporter les faits tels qu’ils sont, la science postule l’existence de propriétés identifiables pour chaque phénomène. L’observation de ces propriétés passe par des expériences répétées rigoureusement vérifiées et contrôlées par des mesures mathématiques et leur opération formelle. Ce postulat est appuyé par une réussite considérable en pratique par exemple par les différentes techniques et technologies produites par les théories admises.  Deuxièmement, la vérité scientifique a une puissance prédictive grâce à sa souplesse heuristique.  Les vérités scientifiques par leur cohérence générale dans un système donné permettent de déduire des hypothèses scientifiques qui en toute rationalité ne peuvent être que vraies. Le fait est que la fertilité de l’ingéniosité déductive est favorablement stimulée par le système des relations opérables entre les lois scientifiques déjà admises.

Les vérités scientifiques paraissent donc être définitives grâce à la puissance rationnelle de leur objectivité et leur puissance de prédiction. Néanmoins, force est de constater qu’une vérité dite scientifique considérée comme définitive d’une époque ne l’est plus à une autre. Comment expliquer ce phénomène ?

II) Il y a moins une vérité scientifique qu’une théorie scientifique

a. La science n’offre que des modèles théoriques

Premièrement, il faut revoir la pensée commune que la science offre des vérités conformes à la réalité. Il faut en fait savoir que ce qu’offre la science sont à proprement parler des modèles théoriques. Ceci s’explique en deux points. Le premier point est qu’une vérité scientifique est moins une représentation fidèle de la réalité qu’une interprétation valide selon les circonstances en jeu dans son expérimentation. En effet, si elle dépend de l’expérience et d’un corpus qui encadre cette dernière, cela veut dire que ce qu’elle offre comme perspective est déterminé par les technologies d’observations et par les systèmes théoriques accessibles d’une époque.  Entre l’observation et le fait que le scientifique travaille effectivement avec les théories les plus pertinentes de son époque car il n’est pas culturellement isolé. A rappeler ici justement cette métaphore célébrée par Newton qui dit : « J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de  géants. » Newton est redevable ici à tout un pan de l’histoire de la physique mécanique qui le précède. Bien qu’elle soit pertinente, cette attitude peut pourtant faire aussi défaut à de nouvelles observations. En ayant une confiance aveugle aux systèmes antérieurs, le scientifique risque de manquer des perspectives totalement inédites.  Ainsi Ptolémée, engagé dans la même perspective réduite, reprendra une grande partie du géocentrisme d’Aristote en pensant que sa contribution mathématique définirait définitivement la théorie.

b.La vérité scientifique est partielle

Le second point est que si le scientifique préfère le mot « théorie scientifique » à celle de « vérité » c’est dans une certaine humilité en vertu de l’approche épistémologique de la recherche scientifique. Une théorie est une proposition attachée à un système conceptuel dont l’ambition est certes d’expliquer les phénomènes. Toutefois donc une théorie rend compte d’une partie d’un phénomène dans un cadre proprement défini. Elle ne prétend pas expliquer l’ensemble absolu d’une réalité. A remarquer par exemple que la théorie de la relativité d’Albert Einstein trouve sa pertinence à l’échelle macroscopique de la réalité physique et la théorie quantique, à l’échelle élémentaire de cette dernière alors que les deux théories sont incompatibles. En fait cette humilité consiste à comprendre qu’il n’est pas certain que la totalité du réel soit accessible à nos appareils d’observation tant théorique que technologique. La réalité est ce qui est permis par son phénomène soit ce qui est vécu par son expérience sensible. Or, rien ne garantit qu’elle ne puisse pas fondamentalement dépasser notre entendement et les facultés de cette dernière. Ce qui est certain est le fait qu’on puisse inventer des concepts qui sont expérimentalement pertinents et donner des sens rationnels à ce que la réalité manifeste comme possible à expérimenter. Les scientifiques Einstein et Infeld nous traduisent cette perspective par la métaphore de la montre fermée.  Le réel nous disent-ils est comme une montre fermée dont le mécanisme nous est caché. Pour découvrir le fonctionnement de ce mécanisme, il nous faut formuler des théories ingénieuses à partir des phénomènes de la montre. On peut par exemple observer la rotation des aiguilles et proposer qu’il y ait une sorte de rouage interne qui met en jeu différentes forces. Cette perspective interprétative permet d’engager l’exploration progressive du réel à partir de la dialectique théorie-expérience. Le scientifique formule des théories à partir du phénomène et vérifie la pertinence de celle-ci avec l’observation expérimentale.  Le résultat ne peut être qu’enrichissant d’une manière ou d’une autre car on gagne toujours un certain terrain sur l’ignorance. Si l’expérience réfute l’hypothèse on affine l’observation et si l’expérience est concluante, on gagne en pertinence.

En somme, il est donc plus prudent de parler de modèles théoriques dont les propositions restent rationnellement et expérimentalement pertinentes aux vues des faits manifestes que de vérités définitives du fait de leur correspondance absolue à la réalité. Ceci étant, il n’y a pas lieu d’être sceptique mais de considérer les véritables valeurs de l’approche scientifique vis-à-vis de la quête de vérité.

III) La valeur d’une théorie scientifique réside dans la possibilité de son propre dépassement.

a. La réfutabilité d’une théorie scientifique fait sa force.

Une autre limite des théories scientifiques est qu’on ne peut pas dire qu’elles soient vraies dans l’absolu puisqu’on ne pourrait définitivement les vérifier. Pour ce faire il faudrait effectivement produire toutes les expériences possibles avec leurs circonstances variables à l’infinie. De cette impossibilité, une théorie en science est plutôt dite corroborée plutôt que vérifiée. Il s’agit ici de considérer qu’elle est fiable en vertu des statistiques des marges d’erreurs de son observation expérimentale. Ainsi on peut toujours « réfuter » une théorie scientifique tant qu’on peut penser à une circonstance expérimentale qui pourrait la contredire. Cependant c’est en sens qu’une théorie scientifique se démarque des autres théories et prend toute pertinence. L’épistémologue Karl Popper nous explique que le critère de réfutation nous permet exactement de distinguer l’explication scientifique de la pure interprétation, ce qui est un terrain gagné sur les propositions subjectives. La pure interprétation n’offre pas la possibilité de l’observation d’une réfutation. Par exemple, l’interprétation astrologique qui  prétend donner des indices de l’avenir ne pourra avoir ni une vérification ni une réfutation concluante car elle a un caractère trop abstrait qui conviendrait mieux à la rhétorique. Les théories irréfutables jouent souvent avec l’herméneutique soit l’art de l’interprétation pure qui peut toujours trouver des preuves dans les sens qu’elle donne aux phénomènes. Au contraire, l’interprétation scientifique traverse à tout moment une corde raide car le scientifique reconnaît que des faits inédits peuvent toujours se manifester lors de la reproduction volontaire ou naturelle de l’expérience.

b. La science évolue non avec la prétention de l’absolu mais avec l’esprit critique

Enfin la valeur des théories scientifiques se trouve moins dans leur certitude mais surtout dans leurs audaces à proposer de nouvelles perspectives. Une théorie scientifique n’est pas née dans le vide. Ceux qui en sont à l’origine retiennent de l’esprit philosophique le sens de la curiosité, de l’esprit critique et par conséquent le sens de la problématique. Le génie d’une théorie scientifique ne vient pas de compatibilité avec les théories d’autorités mais avec l’observation critique qu’elle implique et l’intuition ingénieuse qui  est née de cette dernière. C’est ainsi que la science découvre de nouveaux horizons comme de la théorie de la gravitation à la relativité générale. Une théorie scientifique qui se veut être définitive revient au dogme. Elle refuse la réalité des nouvelles observations et l’évolution des réalités même dont elle veut rendre compte.

Conclusion

Quelles valeurs a une vérité scientifique si elle ne peut prétendre être incontestable ? Une théorie scientifique paraît être une vérité définitive quand on croit que son objectivité rationnelle manifeste une universalité. De plus, elle offre une puissance prédictive fonctionnelle tant en faveur du pragmatisme qu’en faveur de la fertilité théorique. Pourtant ce que propose la science prétend moins être une vérité que justement un modèle théorique. Un modèle théorique peut-être obsolète car il est réductible au potentiel scientifique de son époque, soit aux systèmes conceptuels et aux technologies de recherches propres à cette dernière. Mais encore, un modèle théorique ne prétend pas d’ailleurs rendre compte de la totalité d’une réalité, il est dit « fiable » dans le cadre où il est censé s’appliquer et n’est considéré en aucun cas comme absolument correspondant à la réalité. De ce fait, il est considéré comme partiel et définit une ouverture progressive. Ces limites impliquent toutefois la véritable valeur de la théorie scientifique. Elles impliquent qu’on peut expérimentalement la réfuter et ainsi la démarquer des interprétations qui valent pour tout et finalement rien. Mais surtout leur réfutation implique qu’elles sont nées d’un esprit critique qui défie et fait évoluer la connaissance plutôt que de la figer dans l’illusion de l’absolutisme.

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