Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La société, avec ses normes bien instituées, a tendance à encadrer ses membres dans une idéologie commune, que ce soit de manière directe ou tacite. Et pourtant, les crises sociétales sont en général engendrées par des conflits d’intérêt entre différents partis antagonistes, que les dirigeants n’ont pas pu résoudre de manière pacifique ou par la voie de légalité. Jean-Jacques Rousseau en fait le constat dans son ouvrage L’état de guerre naît de l’état social selon ces termes : « Le genre humain écrasé par une poignée d’oppresseurs, une foule affamée, accablée de peine et de faim, dont le riche boit en paix le sang et les larmes, et partout le fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois ». Si une forme de violence surgit et persiste dans le long terme, l’individu répliquera par une consolation intérieure en vue d’assurer sa survie dans la société, en recourant notamment à des activités artistiques. La place de l’art a en effet été controversée au sein de la société, notamment pour ses formes d’expression qui frappent l’esprit, ou bien pour les thèmes délicats auxquels il a affaire. S’inspirant de son vécu, l’artiste peut très bien traiter de la violence tout en reflétant les émotions qui y sont rattachées. Taxé à son tour d’être violent, l’art n’est pas toujours accepté à sa vraie valeur en tant que symbole de l’esthétique et moyen d’expression. L’existence des œuvres d’art sera-t-elle légitimée au sein d’une société conflictuelle pour pouvoir la changer ? Cette problématique sera traitée dans une première partie qui stipule de la manifestation de la violence dans une société ; puis, dans une deuxième partie, de l’expression symbolique de l’art, à travers sa forme et son contenu ; et, dans une troisième partie, du rôle de l’œuvre d’art pour la prise de conscience de l’individu face à sa destinée.
I) La violence provient du conflit interne entre l’individu et la société
Loin d’être un long fleuve tranquille, la vie en société est parsemée de conflits qui prennent peu à peu la forme d’une violence. En effet, la diversité au sein de deux cultures différentes ou les divergences de pensée peuvent subsister à l’intérieur d’une communauté, même si cette dernière est légalement instaurée. Rappelons que l’Etat de droit est le modèle d’institution la mieux élaborée pour penser et réaliser l’intérêt général, y compris à combattre la violence. Cependant, la violence prend source dans un mode d’être et de pensée individuelle qui tend à se généraliser, et se déployant de manière physique ou psychologique. Il s’agit en effet de la non-acceptation de l’autre comme différence, ou encore l’incompréhension de cette différence. Mais comme disait Montaigne : « Se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes que de nous à autrui ». Cette affirmation souligne en effet que la négation de l’autre, de par sa culture ou sa particularité, est le fait d’ériger son ego comme un absolu, sans tenir compte des imperfections que contient notre propre vécu. Cela engendre par la suite le refus de l’équité que la société établit entre ses membres, ce qui se traduit par la mise en surface de certaines différences qui requerraient des différences de traitement. En effet, la manifestation de la violence se fait indirectement à travers des gestes et paroles qui sont insignifiantes en apparence. Certaines législations restent silencieuses face à ces actes, car les textes ne se prononcent pas ouvertement sur ces faits. Et pourtant, il est des cas où la violence prend une ampleur collective, lorsque l’Etat usurpe de son droit de répression ou devient totalitaire. Dans ce cas, « la violence ne peut se définir sans relation à des lois qu’elle viole (lois humaines ou naturelles). Elle représente la mise en suspens de ces lois, la vacance de la légalité », disait Sartre dans Cahiers pour une morale. La violence est donc ce refus de la coexistence de la différence dans une même société, ou encore le droit que l’Etat se prétend pour bafouer la liberté individuelle. Elle se comprend également comme une expérience personnelle qui laisse des traces sur les émotions et l’estime de soi. Selon la voix de la conscience, les hommes ne nient pas que la violence est en soi mauvaise, cependant elle persiste aussi longtemps qu’existe le rapport entre différentes classes et catégories sociales. Et si elle a été permise, elle a été déguisée en législation, et ce, sur la base d’une discrimination expresse entre les couches de la société. C’est la raison pour laquelle la violence demeure et se déploie en des formes les plus variées. Comme disait Pascal dans ses Pensées : « Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience ».
La violence est un vice inhérent à toute société, ce qui se manifeste de manière latente entre les individus, ou par l’usurpation du droit de répression via l’appareil étatique. Les œuvres d’art, quant à elles, sont une sorte de langage qui reflète la vie intérieure de l’artiste, servant également à mettre en surface le vécu de la société.
II) L’art permet à l’individu de s’épanouir et de s’exprimer librement
Né de plusieurs circonstances individuelles et culturelles, l’inspiration de l’artiste offre des créations authentiques qui se laissent admirer par les amateurs. Il s’agit d’un mouvement libre de la pensée qui voudrait se concrétiser dans la matière, non pas dans la recherche d’un but pratique, mais plutôt esthétique. Le langage de l’art se fait généralement de manière implicite, et se focalise plutôt à mettre en évidence la beauté de cet assemblage de la forme et de la matière. Alain a fait cette remarque dans son ouvrage Vingt leçons sur les Beaux-Arts : « les Beaux-Arts s’expliquent par ceci que l’exécution ne cesse de surpasser la conception, surtout quand un long travail d’artisan a établi la libre communication des sentiments aux mouvements ». En effet, l’art n’est pas destiné originellement pour une fonction d’outil, de sorte que l’artiste en ferait un moyen d’influence à travers son entourage. Il incarne essentiellement un génie qui se traduit par son inspiration et la réalisation unique de l’œuvre, et dont la finalité est d’exprimer le réel autrement que ce que la nature en a fait. Étant une représentation du monde, les œuvres de l’artiste ne s’imposent pas à la société, mais ouvrent d’autres perspectives et d’autres visions du monde, ou encore rendent visibles ce qui est occulté dans le monde. Notons cependant que l’art ne prétend aucunement à vouloir changer le monde à travers cette perception propre à l’artiste : en effet, ce dernier va dans la profondeur des choses, pour en saisir le sens et lui donner une nouvelle apparence. Référons-nous à ce passage de l’Esthétique écrit par Hegel : « Mais, au fond qu’est-ce que l’apparence ? Quels sont ses rapports avec l’essence ? N’oublions pas que toute essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître ». Pour comprendre une œuvre d’art, l’amateur doit donc interpréter ce qui apparaît, et la beauté de l’œuvre se dévoile également à travers la saisie de ce sens au second degré. Ce qui importe dans l’art, c’est l’atteinte de ce niveau de transcendance, c’est-à-dire le dépassement de ce qui est immédiatement visible. Une œuvre d’art peut donc recéler divers contenus cachés, qui se comprennent en se référant au vécu de l’artiste ou au cadre historique dans lequel l’œuvre a été créée. En s’identifiant à cette représentation, l’individu ou la société est en parfaite communion avec les émotions de l’artiste, et jugera l’œuvre comme étant belle. C’est en ce sens que Schopenhauer a formulé ces propos dans Le monde comme volonté et comme représentation : « la contemplation, qui s’abstrait du principe de raison, est le propre du génie ; elle n’a de valeur et d’utilité que dans l’art ».
S’exprimant avec authenticité, l’artiste véhicule une vision du monde qu’il tire de ses émotions propres, une vision qui laisse apparaître une réalité qui a été ignorée. Cependant, les œuvres d’art deviennent problématiques pour la société car elles ouvrent au grand jour des idées à l’encontre des courants de pensée dominants. Étant le dénonciateur des différentes formes de violence, l’art est le plus souvent pointé du doigt par la société.
III) L’art n’a pas de force pour changer ni l’individu ni le monde
Le rôle de l’homme politique et de l’artiste sont diamétralement opposés, même s’ils laissent respectivement leurs marques dans la société. Si l’art est l’expression du Beau par excellence, il ne peut se comparer à la volonté des forces politiques qui s’érigent expressément pour diriger le monde. Pour lutter contre la violence, il faudrait faire appel soit à la raison, donc par une voie pacifique, soit en faisant preuve d’une violence plus intense qui prend la forme d’une guerre. Les Etats puissants préfèrent la seconde méthode, ce qui a été dépeint par Alain dans son ouvrage Le citoyen contre les pouvoirs : « Et l’ensemble de la guerre est ordonnée selon l’obéissance, et non selon la violence ; sans haine, sans colère, sans esprit de vengeance ». En effet, la guerre est une chose purement humaine, une situation pour montrer les rapports de force entre deux groupes antagonistes, et qui fait usage de violence pour faire savoir leur supériorité et leur pouvoir. Cela signifie que la guerre est une forme de lutte contre la violence, et elle s’arrête une fois que l’un des partis se proclame vaincu, une sorte de reconnaissance à la force de l’adversaire. La lutte contre la violence est une mission réservée à l’appareil étatique, qui s’érige en tant que défenseur de la personne et des biens de l’individu. Les chocs culturels peuvent également se transformer en différentes manifestations de violence, ce qui est cette fois-ci plus délicat à résoudre par les institutions. Pour ce dernier cas, nous pouvons nous référer aux propos de Jankélévitch tiré de son ouvrage Le pur et l’impur : « Il ne serait pas exagéré de définir la violence : une force faible ». Rappelons que l’art n’a pas pour objet de réveiller en nous des instincts de révolte, et encore moins de préparer la guerre. Cependant, il n’est pas impossible qu’une création artistique ait été le précurseur d’une idéologie nouvelle, présentée originellement dans le cadre de la neutralité, mais qui, par la suite, a suscité la conscience collective à tourner le dos aux institutions mises en place. Autrement dit, l’art n’est nullement une force, il ne peut même pas se faire valoir comme force de persuasion. Les amateurs d’art se laissent consoler par la beauté et les émotions véhiculées par ces créations, et tout au plus, ils auront conscience de la condition dans laquelle ils sont plongés. Si l’art possède quelque puissance dans l’esprit des hommes ce serait dans cette optique de Paul Valéry : « L’homme a inventé le pouvoir des choses absentes _ par quoi il s’est rendu « puissant et misérable » ; mais enfin ce n’est que par elles qu’il est homme ».
Conclusion
Il est très délicat de traiter des cas de violence au sein d’une communauté, car cela implique à penser et à instaurer la dignité humaine, mais également à changer la mentalité et à gérer les intérêts de chaque parti concerné. Même dans un Etat de droit, ce combat est difficile à mener. L’art, face à un tel phénomène, s’exprime indirectement à travers diverses créations, essentiellement pour se faire valoir en tant que langage dans le domaine esthétique. Ce support matériel peut prêter main forte aux individus victimes de la violence, en vue de faire comprendre à leur entourage leur vécu psychologique et émotionnel. Quant à la volonté de faire cesser ou de lutter contre la violence, l’artiste ne dispose que de sa liberté de création pour dénoncer en silence ces injustices. En effet, les créations artistiques ne sont pas toujours légitimées dans la société à cause de sa représentation jugée marginale, donc taxée de violente. L’homme du commun a-t-il son mot à dire pour modeler l’art selon sa propre vision des choses ?