Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Chaque homme éprouve un désir, puisque derrière toute action humaine il semble qu’il y ait toujours la volonté de satisfaire un désir. On pourrait même dire que vouloir c’est fondamentalement désirer. C’est certainement une tendance inséparable de la conduite humaine.
Or, une vie digne de l’homme en tant qu’être raisonnable ne peut pourtant être une vie à la dérive du désir. La nature raisonnable de l’homme veut que celui-ci ait une vie morale. Être morale signifie savoir distinguer le bien et le mal et agir conformément en vertu du premier et refuser le second. Or, il se trouve que nos désirs ne conviennent pas toujours à la morale. Le désir est susceptible de tendre vers le mal dans le sens où on ne considère que notre satisfaction. Mais encore la nature insistante, voire aveuglante du désir s’oppose à l’esprit raisonnable de la morale. Etre morale c’est faire preuve d’une autonomie dans la réflexion et ne pas se laisser emporter par les tendances. Pourtant n’est-il pas naïf de croire que la seule volonté morale puisse être suffisante à mobiliser tous nos efforts vers l’idéal moral ? Malgré le fait que le désir s’oppose par principe à la morale, sans la motivation qu’il procure, peut-on tendre vers la morale ? Pour résoudre cette aporie, il convient d’en débattre sur un plan dialectique. Premièrement, nous verrons pourquoi exactement il est difficile d’inclure le désir dans l’entreprise morale. Toutefois, nous traiterons deuxièmement pourquoi le désir pourrait indirectement soutenir la morale. Enfin, nous observerons de quelle manière on doit engager le concept du désir pour qu’il ne s’oppose pas par principe à celui de la morale.
I) Les exigences de la morale et le désir présentent des contradictions
1. La morale s’observe avec le sentiment d’obligation
Premièrement, il paraît évident que si la morale est éprouvée comme une obligation, alors elle s’oppose à l’inclination passive que le désir manifeste naturellement. La conscience morale apparaît sous la forme d’une injonction. Elle impose à notre pensée ce qu’on doit ou s’abstenir de faire. Etre morale demande donc de mettre à l’épreuve notre volonté. En connaissance de cause ou en étant simplement ferme, nous sommes face à des obstacles qui sont principalement les tentations du désir. Car parmi les tendances, les désirs sont les plus imposants. La puissance du désir vient de sa nature à embellir un objet d’une qualité qui ne lui est pas intrinsèquement caractéristique. Cette qualité offre à cet objet une valeur supérieure à celle de ses seules vertus propres. Ainsi, pourquoi certains sont prêts à de grands sacrifices pour des objets qu’on considère communément comme ordinaires. Il y a donc une tension entre la volonté morale qui obéit à l’intention et la tendance du désir qui est mobilisée par l’attente. Dans le premier, on agit par devoir en fonction d’un principe et dans le second on agit par attirance, soit celle de la promesse d’une jouissance.
II) La morale exige un bien reconnu universellement alors que le désir ne demande que la satisfaction personnelle
Deuxièmement, être moral, c’est observer des principes qu’on considère universellement souhaitables à guider notre conduite humaine. Le sujet qui se sent être moral a l’intuition de ce que tout homme devrait ou ne devrait pas faire. C’est pourquoi Kant nous prescrit la maxime: « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle ». L’enjeu est qu’un principe qui ne peut être érigé en une loi universelle, ne peut servir l’esprit d’intégrité qui est à la base du devoir moral. On ne peut par exemple inclure la possibilité de mentir dans un principe qui se veut être universel. Tout mensonge qu’on formule reste ambigu dans sa finalité. On croit qu’elle sert une intention supérieure à notre seul intérêt alors qu’au fond elle ne peut servir que ce dernier. En ce qui concerne le désir, celui qui est aveuglé par ce dernier considère tous les moyens dans le seul intérêt de la satisfaction. C’est pourquoi le critère d’universalité de la morale s’oppose ainsi à la nature personnelle du désir. Dans l’attente de notre satisfaction, le désir est tourné vers soi et non vers le principe même. Ainsi, pourquoi il risque de nous faire négliger la moralité des moyens pour atteindre cette satisfaction. La possibilité de mentir ou d’intimider en croyant qu’on veut faire du bien ou le droit d’user d’autrui comme un moyen, ne peut être moralement rendu universel.
Toutefois, on se demandera aussi si la morale ne doit pas quelque chose au désir. Certainement, le désir paraît asservissant et égoïste or n’est-ce pas une vision réductrice qui omet de considérer son atout comme puissance de motivation ? Certes, la réalisation morale exige de la volonté, toutefois cette dernière exige non moins de la motivation.
III) Le désir profite à la morale
1. Le désir sert effectivement de morale
Premièrement, d’un point de vue pragmatique, il semble que le désir sert efficacement la morale si ce dernier considère surtout sa réalisation pratique et non la valeur des moyens. Dans les domaines où on veut faire observer des normes morales, il est difficile même pour le moraliste d’avoir les mains pures de tout pragmatisme machiavélique. Le fait est que pour s’affairer à la réalisation concrète de nos idéaux, il faut considérer les conditions réelles de toute situation et convenir aux moyens les plus efficaces. Il s’agit ici d’être moins rigoureux sur les principes et d’être plus ouverts aux opportunités. À cet effet, savoir jouer avec les passions des hommes est une compétence non négligeable pour tous ceux qui ont pour devoir d’éduquer moralement. Par exemple, dans les situations où les principes moraux sonnent creux à l’enfant qui n’a pas encore assez d’expérience, l’éducateur ne peut travailler sur son développement qu’en usant de ses passions. Qu’il use de l’amitié ou de la peur de l’enfant, ce n’est que par les désirs qui sont stimulés par ces sentiments qu’il amène l’enfant à sortir de sa passivité et à se découvrir et découvrir. Ici, il faut donc moins inscrire le désir dans le registre de la tendance immorale que dans celui du moyen amoral.
2. Le désir développe les conditions morales de l’homme
De plus, sans le désir, on limiterait le déploiement de nos facultés que celles-ci soient intellectuelles ou physiques. Or, le développement de ces facultés est à la base d’un développement humain propice à la réalisation morale. Par exemple, on risquerait de discriminer nos voisins ethniques sans développer nos aptitudes intellectuelles à observer et à définir des connaissances objectives sur nos conditions anthropologiques. Le développement de ces aptitudes est motivé par le désir de connaître, d’explorer et de développer des concepts inédits. Observons aussi que la civilisation actuelle riche en droits et en considérations humaniste est tributaire du désir de sortir de l’obscurantisme, de la misère, des conflits humains et de toute forme de discriminations. Il serait naïf de croire que l’homme est né avec de bonnes intentions sans considérer le développement de ses conditions historiques. Au cours de son histoire tumultueuse et parfois tragique, l’homme a su développer une plus grande empathie et tolérance à travers l’éducation de sa condition humaine. Au fond, en faisant face à chaque fois à l’obscurité de la misère, ceux qui ont aspiré à un monde meilleur ont su dépasser le pessimisme ambiant et léguer une éducation optimiste du développement humain.
Le fait que le désir puisse être à la fois un problème et un atout pour l’entreprise morale, n’amène-t-il pas à considérer que sa condamnation morale est mal placée? Ce qui nous amène à considérer qu’il faut moins s’en débarrasser qu’essayer de vivre avec.
IV) Le désir ne devrait pas être opposé à la morale
1. L’existence humaine est animée par le désir
Premièrement, observons qu’au fond, la recherche du bonheur et par conséquent de la « bonne vie » semblent être essentiellement motivées par le désir. Il est vrai que le désir est perçu comme une condition humaine tragique. Tel est la conception de Pascal et de Schopenhauer qui voient dans le désir la source de la souffrance et de l’ennui à cause de son insatisfaction et de son manque. D’un, l’objet où le désir se projette est embelli de promesses illusoires. On n’en est jamais satisfait, car c’est le fantasme qui nous aspire et non l’objet en lui-même. Le désir est essentiellement une force qui développe une attente et non un attribut propre à l’objet ou il s’étend. En ce sens, il peut tout affecter et reste à jamais inépuisable en créativité. De deux, sans le désir, il n’y a pas de désir de vivre. Sans lui, la vie ne serait que lassitude, voire un fardeau qui nourrit négativement le désir de s’en libérer soit d’en finir. Néanmoins, cette situation nous fait constater que le désir est une condition humaine même où il faut savoir vivre avec. Sans le désir, la vie serait insipide, mécanique et sans sens. Un tel esprit est dit nihiliste soit une négation de l’existence.
2. La vraie morale consiste à moins repousser le désir qu’à la maîtriser
Finalement, il serait donc moins pertinent de neutraliser le désir que d’en avoir une certaine maîtrise. D’abord, parce que pour le salut de notre autonomie on ne peut pas en dépendre totalement. Le désir est aveuglant et une source de souffrance quand on s’illusionne sur les valeurs de ses fantasmes aux dépens de la considération de nos conditions concrètes. Plus, on se fait des illusions, plus l’impact de la réalité est brutal. Cela ne devrait toutefois pas signifier que les rêves qu’ils nourrissent sont vains. Ces rêves sont sources de motivation, d’inspiration et éventuellement d’intuition créatrice, car le désir manifeste surtout le déploiement de l’ingéniosité de notre imagination afin de trouver un certain équilibre entre le désir et l’autonomie. La vraie morale devrait considérer de réfléchir ouvertement sur nos désirs en vue de les comprendre et par conséquent de ne pas se faire d’illusion sur leur teneur. Il n’y a certainement pas d’authentique autonomie sans une connaissance suffisante de ce que l’on maîtrise ou non. C’est pourquoi, l’introspection de nos désirs est une condition de la sagesse plus que leur déni.
Conclusion
Comment concevoir le rapport paradoxal du désir à la morale tant le premier profite au second alors que celui-ci s’y oppose par principe ? Il nous est apparu que ce que demande la morale ne pouvait s’accorder à la nature du désir. Le désir étant d’abord de l’ordre du passif, s’oppose à la volonté active de l’obligation morale. Mais plus fondamentalement, on estime que ce qui est moral, devrait dépasser sa seule personne où le désir n’attend essentiellement que la satisfaction personnelle. Pourtant, à l’égard des conditions concrètes de la vie de l’homme, le désir sert effectivement la réalisation morale. C’est un chemin que le moraliste se voulant être pragmatique ne peut ignorer, car il doit faire avant tout face à l’homme passionné avant de l’accompagner vers la lumière de la raison. De plus, du fait que l’homme développe ses facultés à travers l’effort que la motivation du désir lui procure, ce dernier est le moteur de son dynamisme et éventuellement de sa réalisation morale. Ce qui manifeste au fond le fait que le désir soit autant au cœur de l’action humaine que ne le soit la volonté. Il ne serait donc pas pertinent de vouloir à tout prix s’y opposer. Ce serait aller à l’encontre de la vie même que le désir anime. Le sage devrait en ce sens s’ouvrir à la compréhension de ses désirs et de trouver un certain équilibre entre ce qu’il peut maîtriser ou non. Considérons finalement peut-être comme Rousseau dans son Discours sur les origines de l’inégalité que « Quoiqu’en disent les moralistes, l’ entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’ est par leur activité que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir ; et il n’ est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’ aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner .»