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Les choses parlent-elles mieux que les mots ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les choses parlent-elles mieux que les mots ? La question semble étrange puisque par définition il n’y a pas de parole sans l’articulation des mots. Toutefois, si dans un sens général, parler signifie s’exprimer, alors on peut imaginer l’idée que les choses puissent mieux traduire nos pensées à défaut de vocabulaire précis. Par chose, on entend ce qui est concret, soit les gestes, les images, les sons, les objets, etc. Ce qui traduirait mieux nos pensées est donc le sens que ces dernières peuvent manifester et que les mots ne peuvent définir. Mais le fait de manifester un sens n’est-il pas tributaire de l’interprétation de la chose ? Soit de mettre au clair ce qui est obscur et qui demande donc l’appui d’un langage articulé ? Si on n’a pas trouvé les mots, n’a-t-on pas quand même cherché avant de faire d’une chose un signe ? Et que sont les mots finalement si ce ne sont que des signes ? Le vrai problème est donc de concevoir les choses comme à priori signifiant au-delà de la construction linguistique des mots. Si les choses étaient déjà suffisamment signifiantes sans qu’on les ait posées comme signe, alors il n’y a aucun besoin de la médiation du mot. Pour résoudre ce problème, nous allons développer dans une première partie en quoi les choses traduisent mieux ce que l’on veut signifier à défaut des mots. Toutefois, dans une seconde partie, il nous faut aussi considérer que les mots peuvent être supérieurs du fait qu’ils sont précis et peuvent éclaircir l’ambiguïté de ce que l’on entend par les choses. Enfin, dans une dernière partie, nous allons proposer un dépassement par la fonction symbolique du langage.

Partie I : Si l’essentiel est d’exprimer l’ineffable, les choses paraissent avoir plus de succès que les mots

1. Car les mots nous échappent dans l’expression du vécu

Il apparaît effectivement qu’on ne trouve pas les mots pour exprimer un vécu. De prime abord, on peut penser qu’il s’agit d’un manque de vocabulaire. Pourtant, il faut aussi se demander pourquoi on préfère l’œuvre d’art aux discours des critiques d’art qui ne manquent certainement pas de termes très spécifiques ? Ici, il semble évident que l’expérience des choses soit plus riche en signification de leur traduction verbale. En effet, le fait que les  choses soient éprouvées par l’expérience sensible nous donne une totalité non dénaturée. L’explication est en fait phénoménologique. Les choses s’imposent spontanément dans leurs particularités. Or, la pensée qui cherche les mots interprète ce qui est imposé par ce qu’elle a de familier. La pensée cherche les mots qui évoquent dés sentiments qu’on a déjà vécu, on risque alors de traduire ce qui est original par des impressions mémorisées dont les plus vieilles ont même déjà perdu la saveur. Il s’ensuit qu’il est préférable de montrer plutôt que de décrire.

2. Et que l’expérience des choses est plus authentique que la traduction rationnelle du langage

En fait, fondamentalement, si l’expérience des choses est originale et la traduction verbale réductrice, c’est que le langage comme intention de définir définitivement peine à saisir la réalité mouvante. Cela s’explique par le fait que l’exploration consciente du vécu, soit le fait de vouloir saisir ses pensées, suspend le flux intuitif de l’expérience originale. Si cette exploration  arrive à dire quelque chose de l’expérience, ce ne serait qu’une traduction discontinue et simplifiée  du vécu. C’est la thèse d’Henri Bergson. Le philosophe nous explique que les mots dans leur dénomination des faits, généralisent la complexité concrète de ces derniers. Par exemple, l’idée du goût sucré ne peut renvoyer à son appréciation subjective, car il y a tant d’éléments relatifs qui organisent conjecturalement la particularité de cette expérience subjective du goût qu’on ne pourra jamais la décrire aux détails près.  On peut considérer les affects émotionnels d’un événement, la condition optimale de la faculté gustative ou encore les facteurs de l’environnement ambiant, etc. En bref, entre les mots et les choses, il y a l’écart infini de la variabilité de la circonstance du vécu subjectif. Il nous faut alors la considération d’une expérience épurée de toute préconception de la chose afin de l’accueillir authentiquement. C’est pourquoi Bergson préfère l’intuition qui perce la réalité du phénomène en elle-même plutôt que sa simplification rationnelle.

Il nous a donc semblé évident que les choses nous connectent à leur présence particulière d’une manière plus affective que les mots. Toutefois, peut-on pour autant garantir que cette expérience peut toujours faire l’accord des esprits ? Ne faut-il pas la préférer à la précision des mots qui au moins se soucie de l’objectivité ?

Partie II : Les mots explicitent nos pensées plus que les choses

1. Le fait que les mots renvoient à des sens précis élimine ou prévient les confusions de l’expérience sensible des choses.

Un mot est un signe conventionnel destiné à définir un sens précis. Pour comprendre cette précision, il nous faut voir sa constitution. Plus exactement, le mot est constitué par ce que la linguistique appelle le « signifiant » et le « signifié ». Prenons comme exemple le mot « table ». Son signifiant est le support sensible qui est la combinaison graphique et phonétique des lettres qui forment l’ensemble « table ». Quant à son signifié, il est le concept de la table dont le signifiant est censé indiquer le représenté, soit l’objet concret de table. On voit ici que par une indication claire de ce que l’on entend par nos propos, on ne peut échouer à la communication. À contrario de l’impression d’une chose que les interlocuteurs n’ont pas toujours en commun du fait de leurs sensibilités particulières. Sans la structure définitive de la dénotation d’un mot et par ailleurs de sa connotation mise en contexte, le sens d’un geste, d’une image, d’un son ou d’un objet est déterminé par la compréhension intuitive de la circonstance de sa présentation. En effet dans l’expérience des choses il faut que les sujets qui communiquent aient un certain accord objectif de ce qu’ils entendent par cette expérience selon les circonstances de la communication or l’expérience n’est qu’un sentiment, une impression.

2. Si les mots sont objectifs dans leur convention, le symbolique des choses n’est pas fermé

On peut reprocher à l’idée de l’universalité du langage verbal qu’elle soit limitée par la variation conventionnelle des signes de la langue. À contrario de la force symbolique des choses qui renvoie à des sentiments dont la profondeur semble universelle comme celle du hochement de la tête pour signifier un accord. Après tout, rien ne laisse à sentir dans le son et le graphique du « oui » ou du « yes », le sentiment d’un accord sans avoir été informé de leur concept. Par ailleurs, s’il y a une reconnaissance dans le symbole, le signe n’est pas fondamentalement le sens. Dans le hochement de la tête, le signifiant serait le geste et le signifié son sentiment, qui est ici le sentiment de l’accord. Ce sentiment ne peut épuiser toutes les interprétations possibles du hochement. Ce que l’on reconnaît comme sentiment d’un accord dans le geste n’est qu’une coïncidence intuitive. Une coïncidence née par l’impression d’une profondeur instinctive de la tête baissée comme soumission. Le danger est alors de prendre tout signe symbolique comme garant d’un sens précis. On sait que l’habitude forme les impressions et que le symbole peut aussi impliquer un système conceptuel culturel. Qui sans la connaissance d’une culture religieuse indienne ou du bouddhisme peut comprendre le symbolique des positions des mains de la « mudra » ? À cet égard, le sens du symbole des choses est tendu dans une ambiguïté entre le sentiment et la culture. À contrario du signifiant arbitraire du mot qui n’a aucun autre signifié que ce qu’on lui a défini.

Ainsi, dans le besoin d’une communication claire et précise, les mots priment sur l’ambiguïté des choses. Si les mots suffisent, signifierait-ce que les sentiments des choses soient obsolètes en communication ? Ne faut-il pas plutôt comprendre que la nature symbolique du langage permet d’articuler les sentiments des choses et le vœu de la précision conceptuelle des mots comme condition de l’évolution du langage ?

Partie III : La dialectique de l’impression des choses et le concept des mots est la condition du langage

1. La supériorité de la traduction par l’expérience de la chose ou du concept du mot ne dépend pas de leur différence de nature, mais de l’ingéniosité linguistique du traducteur

Si la chose est concrète et sensible, le mot renvoie aussi à l’évocation d’une chose concrète. De ce fait, s’exprimer par une chose ou un mot signifie pareillement de disposer la chose ou le mot comme signe à interpréter. La chose qui renvoie à un sens devient nécessairement un signe comme le mot qui utilise un son et une graphie arbitraire pour indiquer un concept. Pour mettre à l’évidence à quoi renvoie le signe de la chose, il faut une certaine ingéniosité pareille à l’articulation des mots qui se référent entre eux pour trouver une expression. Le langage des signes du sourd-muet atteste que la pensée ne peut se passer de signifiants et de signifiés mais l’essentiel du langage est de bien déterminer la composition et l’enchaînement des signes. En ce sens, la chose à quoi on veut évoquer un sens est pareille au mot arbitraire qui contient un sens. La seule différence est que le mot répond à d’autres mots dans un ensemble conventionnel, alors que la chose dans sa saisie instinctive peut facultativement faire preuve de symbole comme le geste du doigt qui pointe vers quelque chose.  Mais en fin de compte, si l’expression des choses joue sur l’analogie des sentiments imprimés sur notre mémoire sensorielle, telle est aussi la puissance de la poésie à jouer sur la résonance sentimentale des mots pour décrire nos vécus intérieurs.

2. Les mots et les choses s’articulent dialectiquement pour faire évoluer le langage

Mais alors si l’expression par les choses et par les mots est de même teneur tant qu’on sache bien les manipuler dans leur communication, car en soi le langage est langage, cela signifierait-il que par l’existence de l’un on peut se passer de l’autre ? Sûrement pas, car ce serait ignorer l’enrichissement du langage que procure la dialectique du vécu du fait et de son concept signifié.  Le fait comme nous l’avons remarqué avec Bergson est toujours donné comme le flux du vécu qui a pour seule nature la créativité. Les mots vont donc s’inspirer de cette créativité en se cherchant entre leurs résonances pour donner les meilleures appréciations de nos intuitions. Les mots tâtonnent, se plaisent et se déplaisent dans les impressions, puis finalement coïncident comme d’une manière presque mystique aux sentiments intuitifs des choses. Ce dialogue s’atteste brillamment dans le progrès linguistique qu’offre la poésie. La poésie n’est pas une simple expression qu’une exploration profonde de nos sentiments, la poésie se met en œuvre comme le symbole qui présente une figure renvoyant à l’inexprimable invisible de nos intuitions.

Conclusion

Si la question d’une chose qui parle nous avait paru étrange, elle nous a finalement éveillés à un problème relevant de la linguistique. Celui de concevoir la chose comme un messager indépendant de l’articulation des mots. On a effectivement constaté que les choses peuvent autant exprimer que les mots et plus même dans la richesse de leur expérience. Or, on peut aussi rencontrer le souci du langage des mots comme volonté de précision pour une communication claire et objective. En fait, l’observation que les choses et les mots peuvent en même temps être des signes implique que les deux sont aptes à être des langages efficaces. L’idée d’une supériorité de l’un à l’autre ne dépend en fait que du génie de celui qui en fait l’usage. Toutefois, cela n’implique pas pour autant que l’un peut se définir sans l’autre. S’il y a une hétérogénéité de modalités, tant la chose pouvant être symbolique et le signifiant du mot pure conventionalité, il y a une dialectique synthétique dans le vœu d’explorer toutes les qualités affectives de nos sentiments.

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