Dissertations

Le temps est-il l’ennemi du désir ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’humanité se développe à travers une accumulation de savoir-faire, de connaissance et d’héritage culturel. Vu selon un angle individuel, les étapes de la croissance de l’homme requièrent des besoins différents, et dont la continuité offre un ensemble homogène qui constitue toute son existence. Cette évolution implique également des changements, de sorte que l’homme sera évalué en fonction de nouveaux critères selon les étapes de sa vie. Cela dit, la société lui demande de jouer des rôles, mais il reste lui-même derrière ce personnage qu’il joue. Se manifestant le plus souvent par les devoirs, ces rôles façonnent en même temps le comportement et la mentalité de l’individu, afin qu’ils deviennent une seconde nature et que celui-ci puisse intérioriser les valeurs qui s’y rapportent. Ce passage de l’ouvrage Pensées de Pascal dit : « La vie de l’homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée au monde ; pour moi je ne la voudrais la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis que l’on commence à être ébranlé par la raison, ce qui n’arrive pas ordinairement avant vingt ans ». Le désir est une force non négligeable qui agit sur l’homme, existant en parallèle avec ses capacités de faire des comparaisons, de réfléchir et de choisir. Mais selon la nature instable et passagère du désir, nous formons l’idée selon laquelle cette inclination est facile à s’en débarrasser. L’homme a-t-il le devoir de combattre le désir ou suffit-il d’attendre pour qu’il se dissipe par lui-même ? La réponse à cette problématique se développe en trois parties : premièrement, nous verrons comment le désir se présente dans l’intervalle temporel ; deuxièmement, nous analyserons le ce qui est et son écoulement dans le temps ; et troisièmement, nous conclurons que le temps ne tue pas le désir, mais fait beaucoup réfléchir.

I) Le désir se meut vers ce qui paraît être le meilleur

Il n’y aurait pas d’objet qui soit désirable si rien chez lui ne séduisait nos sens. Nous riposterons peut-être par le fait que l’apparence est déjà le signe par lequel son être se dévoile, certes. Cependant l’être aussi bien que son apparence ne se porte pas à l’homme comme une connaissance, mais plutôt comme un désir. Ce dont je suis conscient lorsque je désire, c’est que mon désir est réel, je sais ce que je désire. C’est cette certitude qui me pousse à maintenir la voie vers son accomplissement. Cette citation issue de L’Ethique de Spinoza l’atteste clairement : « Il n’y a nulle différence entre l’appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le Désir est l’Appétit avec conscience de lui-même ». Quant au fait de savoir si cet objet est le meilleur, ce sera confirmé au moment où je suis en train de le posséder. Néanmoins, rares sont les cas où l’on se trompe sur l’objet de son désir, mais il n’est pas impossible non plus que l’on se fasse méprendre. Le regret d’avoir choisi un objet qui a été intensément convoité provient en effet des autres facettes qui demeurent cachées, mais qui ne concernent point les caractères qui ont suscité le désir. Par conséquent, le regret repose sur le fait qu’il faut affronter les vices de cet objet, qui sont essentiellement d’un aspect le plus souvent utilitaire. Or, l’utilité n’est pas véritablement le caractère de ce qui est désirable ; que nous le désirions ou pas, ce qui est utile est vital. « Dans l’activité des sens, au contraire, je suis libéral ; je permets à l’objet d’être ce que je suis moi-même : un sujet, un être réel qui se manifeste. Seuls les sens, seule l’intuition me donnent quelque chose comme sujet », disait Feuerbach dans Principes de la philosophie de l’avenir. En usant uniquement de sa raison, l’homme peut se trouver dans une situation neutre, car le fait de connaître un objet n’implique pas nécessairement qu’il faudrait le transformer ou le destiner à telle ou telle application. Et puisque le libre-arbitre n’est pas toujours neutre, il a besoin d’une volonté pour mouvoir, et cette volonté est elle-même mue par le désir. Le désir est donc un argument supplémentaire en faveur de l’objet, tel qu’il est stipulé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Anti-Œdipe : « En vérité, la production sociale est uniquement la production désirante elle-même dans des conditions déterminées. Nous disons que le champ social est immédiatement parcouru par le désir, qu’il en est le produit historiquement déterminé ».

La formation du désir se base notamment sur l’apparence, mais il se pare ensuite d’une force agissante qui fait mouvoir notre volonté. Face à l’homme qui agit, il y a également le monde dont la compréhension est soumise dans un cadre spatio-temporel.

II) Le temps se comprend à travers le changement observé dans le monde

Désigné comme un être mathématique, le temps s’opère dans la conscience comme une mesure, et se représente par une ligne droite s’étendant sur les deux côtés à l’infini. Si l’espace est tout à fait observable à travers les objets qui le peuplent, il en est de même pour le temps : seulement, il faut l’intervention de la mémoire pour désigner le passé, et un acte de l’imagination pour dire qu’il y aura un futur. En plaçant individuellement chaque événement sur la ligne chronologique, nous avons un repère sûr à travers les dates, mais surtout parce que ces événements ne sont pas du tout les mêmes. La différence entre les choses nous fait alors dire qu’il y a une évolution, et ce n’est pas véritablement la chose en elle-même qui nous intéresse, mais le rôle qu’elle a joué pour témoigner le temps passé. Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la perception, avoue : « Il y a plus de vérité dans les personnifications mythiques du temps que dans la notion de temps considéré, à la manière scientifique, comme une variable de la nature en soi ou, à la manière kantienne, comme une forme idéalement séparable de sa matière ». Ce vestige datant de plusieurs siècles demeure pourtant muet si ma conscience ne le situe pas dans son passé. L’objet exposé vers le musée peut être considéré comme le présent, parce qu’il est là devant mes yeux. Or, c’est la tension vers le passé, qui n’est possible que par la conscience du temps, que nous pouvons signifier ce monument en exposition. Par conséquent, la conscience du temps précède tout témoignage issu des recueils historiques, et au moment où ces derniers devraient disparaître, l’effort de la mémoire qui est l’œuvre de la conscience demeure toujours. D’après les propos de Bergson tirés de Matière et mémoire, « Pour évoquer le passé sous forme d’image, il faut pouvoir s’abstraire de l’action présente, il faut savoir attacher du prix à l’inutile, il faut vouloir rêver. L’homme seul est peut-être capable d’un effort de ce genre ». Dans toutes les cultures, il n’en est pas une qui ne connaît pas le concept de temps, ce qui signifie qu’il est de nature intelligible et universellement conçu par la raison. Le changement dans le monde humain est donc observé à l’intérieur du temps, et il est dans la nature même des choses de changer tout en restant le même. Autrement dit, c’est l’apparence qui change, à savoir les modalités par lesquelles le monde se présente à nos sens. Même pour les objets inertes, ils accusent également d’un mouvement, même imperceptible, qui souligne son interaction avec son environnement. Si le mouvement extérieur implique un changement de place, le mouvement intérieur connu sous la dénomination vie offre elle aussi une variété impressionnante de couleurs, de formes et de sensations qui nous fait penser que le monde n’est pas figé dans le temps. Nietzsche explique dans son ouvrage Considérations inactuelles : « Le sentiment de profond bien-être que l’arbre sent monter de ses racines, le plaisir de savoir qu’on n’est pas un être purement arbitraire et fortuit, mais qu’on est issu de tout un passé dont on est l’héritier, la fleur et le fruit, et qu’on est de ce fait excusé, voire justifié d’être celui qu’on est ».

La conscience du temps se met en parallèle avec l’observation du perpétuel écoulement dans ce monde, ce qui fait partie de l’ordre des choses mais également découle de la nature de la pensée. Le désir, de ce fait, est également soumis aux épreuves du temps, pour se métamorphoser en un autre désir.

III) Seul le souvenir du désir peut rester indéfiniment dans le temps

En parlant de désir, nous avons affaire à des choses strictement humaines. L’on a vu qu’une personne éprouvant du désir tend à s’approprier de cet objet, et une fois ce but atteint, il passe à convoiter autre chose. Ce mécanisme semble parfaitement anodin à première vue, pourtant ce qui dérange l’esprit est ce caractère égocentrique qui ramène tout sur soi, pour l’oublier facilement par la suite. Ce désir si vif nous est à présent indifférent, alors que son objet est toujours le même. Avec le temps les priorités de l’homme ne sont plus les mêmes en avançant avec l’âge. C’est en ce sens que Kant, dans son Essai pour introduire en Philosophie le concept de grandeur négative, déclare : « On comprend facilement pourquoi une chose n’est pas, pour autant que la raison positive de son existence fait défaut, mais il est moins aisé de comprendre comment ce qui existe cesse d’être ». A proprement parler, nous ne pouvons pas reculer dans le passé pour effacer ce qui a été fait, l’oubli fera excellemment cette tâche à notre place. Et pourtant, le désir peut très bien subsister chez l’homme, et l’objet de son désir peut également demeurer intact, sauf qu’il n’a plus la force et la volonté de poursuivre. Dans ce cas, nous admettrons que le temps est l’ennemi du désir, car un désir bafoué n’en est plus un. Dans ses Considérations inactuelles, Freud écrit : « On peut dire que nous sommes redevables des plus beaux épanouissements de notre vie amoureuse à la réaction contre l’impulsion hostile que nous ressentons dans notre for intérieur ». Le rôle de la mémoire est donc de mettre en lumière ce qui mérite d’être raconté et, pourquoi pas, revivre en quelques instants les émotions qui ont fait chavirer notre être. Ceci est en vue de marquer que ces moments passés ne sont pas des faits banals, mais méritent de constituer notre histoire personnelle. Le désir, qui est à l’origine de plusieurs actions courageuses ou même téméraires, offre des conséquences heureuses ou se termine par une triste fin. Autrement, si l’homme décide d’oublier, c’est que l’objet est effacé par le temps. Alain disait d’ailleurs dans ses Eléments de philosophie : « L’expérience ne corrige que les plus grosses erreurs, et bien mal. Dès que les choses ne peuvent plus nuire ni servir, il est bien aisé de les ignorer ».

Conclusion

Le désir, cette affection qui est tantôt adulée, tantôt méprisée, se présente à nous d’une manière presque évidente. Son objet est alors d’une évidence telle que nous ne prenons pas la peine de le connaître véritablement, et nous nous suffisons à son apparence séduisante. Ainsi, l’apparence de l’objet désirable est un caractère des plus essentiels, ce qui signifie que le désir devient alors le seul juge de ce qui est meilleur, d’après ses propres attentes. Du coup, on ne peut blâmer le désir pris dans sa nature propre, qui plus est, il nous pousse vers l’action. En réfléchissant au temps, nous en déduisons qu’il s’agit d’un concept spéculatif qui est également d’une grande utilité dans le domaine scientifique. Le sens de l’histoire se rattache donc intimement avec la conscience : l’histoire est la conscience selon laquelle des phénomènes importants ont existé auparavant, et qu’il est indispensable que les générations à venir s’en souviennent. Avec le temps, l’homme se lasse facilement, mais il n’oublie pas. Cependant, l’oubli ne signifie pas que ce qui est n’est plus, il est mis en veille dans une durée indéterminée pour ne pas occuper la pensée actuelle. Notre finitude est-elle à l’origine de notre désir d’éternité ?

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