Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Le monde qui apparaît dans sa matérialité est une chose contingente, mais lorsque l’esprit humain lui donne un statut de représentation, là apparaît sa raison d’être. Il n’est de chose aussi abjecte aux yeux de l’homme que d’être insignifiant, essentiellement dans sa propre personne et par la suite dans le monde qu’il se représente. C’est à travers l’existence, c’est-à-dire la subjectivité qu’il expérimente dans le cadre temporel, que l’homme donne sens. Mais ce sens est réellement distinct de la connaissance du monde, et cette connaissance offre également de nouvelles perspectives à exploiter pour que l’existence humaine puisse étoffer son contenu. Voici un passage de L’évolution créatrice de Bergson : « D’une manière générale, le travail humain consiste à créer de l’utilité ; et, tant que le travail n’est pas fait, il n’y a « rien », _ rien de ce qu’on voulait obtenir ». Ainsi, l’homme forge également son humanité dans l’agir, il ne peut pas demeurer comme simple pensée. Qui plus est, l’acte de signifier ne peut pas s’opérer sur le rien, or ce qui fait que quelque chose soit, c’est toujours par la volonté de l’homme. Le problème que l’homme solutionne au cours de son existence est alors celui de l’Être et du Néant, ce qui est posé précisément dans le rapport entre l’esprit et le monde. Le monde peut-il dévoiler son sens indépendamment de l’esprit ? La réponse sera détaillée dans les paragraphes suivants : le premier développe l’idée de la primauté de l’Être qui se reflète à travers l’ordre et la lumière ; le deuxième souligne le rôle de la subjectivité qui est à l’origine du sens ; et le troisième expose le débat concernant la place de la raison dans l’histoire de la philosophie.
I) L’objet recèle une essence que l’esprit tente de découvrir
Le discours ne peut converger dans une direction unique tant que les interlocuteurs ne s’étaient pas convenus au préalable de l’existence d’une vérité unique. C’est à travers ce canevas précis que les premiers philosophes ont pu défier l’opinion, marque du superflu et de l’erreur. Or, cette vérité ne concerne pas uniquement la logique du discours, mais pénètre surtout l’essence des choses. Si la logique est la forme par laquelle la pensée tisse son argumentation, le contenu du discours est l’élément qui permet de désigner exactement la vérité. En d’autres termes, la vérité est la conformité du discours avec son objet, elle entraîne le dévoilement de l’essence par l’activité de la raison. Platon, dans La République, montre la place de la vérité dans le processus de connaissance : « Conçois donc qu’il en est de même à l’égard de l’âme ; quand elle fixe ses regards sur ce que la vérité et l’être illuminent, elle le comprend, le connaît, et montre qu’elle est douée d’intelligence ». La connaissance se distingue en effet de l’évidence, c’est-à-dire ce qui s’impose sans que j’aie effectué une approche par mes propres facultés. Il est vrai que ces propriétés sont les éléments à connaître, mais cela est encore d’un premier niveau. L’essence est ce qui est dissimulé par cette apparence, elle ne peut pas être formulée par une simple description. En effet, le principal caractère de l’apparence est le changement, et cela échappe à la compréhension rationnelle telle qu’elle se présente par l’unité du discours. Ainsi, ce qui est soumis au changement n’a pas véritablement de sens, cela ne peut être assimilé à l’essence, autrement dit ce qui demeure. Cet extrait des Méditations de Descartes prouve cette ligne d’idée : « Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j’y ai remarqué par l’entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l’odorat, ou la vue, ou l’attouchement, ou l’ouïe, se trouvent changées, et cependant la même cire demeure ». Rappelons que la recherche de l’essence ne doit pas faire abstraction du sensible, de sorte que la transcendance des idées serait tellement facile à atteindre en supprimant le corps. Par l’étape de la connaissance s’effectue alors un dévoilement, ce qui signifie entre autres enlever le voile qui cache l’essence. Ainsi, l’essence est toujours là, mais elle nécessite un acte de la volonté humaine pour la découvrir. L’acte de connaître distingue alors ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas, puisque certains attributs de l’objet sont contingents, donc ne le définit pas. Plus précisément, il s’agit de donner sens à la connaissance, c’est-à-dire distinguer le voile et la réalité parmi ces qualités définies par la connaissance. Cela se traduit par cette définition offerte par Spinoza dans son Éthique : « Je dis que cela appartient à l’essence d’une chose qu’il suffit qui soit donné, pour que la chose soit posée nécessairement, et qu’il suffit qui soit ôté, pour que la chose soit ôté nécessairement ».
Connaître le sens de quelque chose renvoie à connaître tout d’abord son essence, qui est toujours et déjà comprise dans la chose et attend à être dévoilée. Mais dans cet acte du dévoilement, l’esprit humain met en avant non seulement la rationalité, mais également la volonté et la liberté.
II) L’acte de signifier provient de la volonté du sujet
Le questionnement sur le sens est intimement corrélé avec le désir de savoir, autrement dit la connaissance est une première étape pour donner satisfaction à cette soif de signification. Mais par la suite, l’interprétation de cette connaissance requiert l’effort du sujet, consistant à relier l’objet avec sa propre représentation du monde. Cette expérience consiste donc en une approche, telle qu’il se présente comme sujet particulier et avant même qu’il connaisse ce monde. Et puisque le monde ne peut se connaître et se signifier par lui-même, cela revient en dernier ressort à l’homme d’agir pour donner un contenu et un sens à ce qu’il est. Voici une illustration offerte par Jean Paul Sartre dans L’existentialisme est un humanisme : « L’homme est constamment hors de lui-même, c’est en se projetant et en se perdant hors de lui qu’il fait exister l’homme, et, d’autre part, c’est poursuivant des buts transcendants qu’il peut exister ». La transcendance dont il s’agit est donc la signification qui s’écarte des buts utilitaristes, afin de proclamer que l’existence n’est pas un grand vide qui tend fatalement vers le dépérissement. Cela dit, le sens ne réside pas dans la connaissance, lorsqu’on l’enlève comme un voile, il faut que quelque chose subsiste à part cette connaissance, or il ne demeure que le rien. C’est pourquoi l’homme crée un sens à la place de ce rien, et ce, par la transcendance en dehors de ce qu’il peut expérimenter avec le monde. Dans son ouvrage intitulé La reprise, Kierkegaard énonce ce passage : « On enfonce le doigt dans la terre pour sentir à l’odeur dans quel pays on est ; j’enfonce le doigt dans l’existence – elle n’a odeur de rien. Où suis-je ? Que veut dire : le monde ? Que signifie ce mot ? Qui m’a joué le tour de me plonger dans le grand tout et de m’y laisser maintenant ? ». Ce que l’homme peut alors insérer dans la conscience de ce vide, c’est l’autre de l’existant, le rien qui advient à l’existence par la transcendance de la pensée. Cela inclut tous les préceptes moraux et religieux, ainsi que les valeurs assignées aux choses surtout pour celles qui sont les moins utiles. Effectivement, l’homme se réjouit d’avoir un but à atteindre selon l’enseignement proféré par la sagesse des anciens, mais aussi par la crainte d’une puissance éternelle et bienveillante auprès des mortels. Le sens créé par l’homme permet alors de vivre avec plus d’allégresse, et de donner davantage de force pour exploiter la connaissance du monde. Nietzsche développe cette ligne d’idée dans son livre La généalogie de la morale : « « Pourquoi souffrir ? » L’homme, le plus vaillant, le plus apte à la souffrance de tous les animaux, ne rejette pas la souffrance en soi ; il la cherche même, pourvu qu’on lui montre la raison d’être, le pourquoi de cette souffrance ».
Le sens n’est donné comme tel que parce que l’homme qui en a décidé ainsi, en vue de l’adapter à son existence. En se plaçant sur un terrain neutre, le philosophe peut très bien émettre une critique sur ce processus de signification, en se focalisant notamment sur la nature de l’homme.
III) La philosophie voudrait donner un sens à la méthode de signification
Que l’homme s’arrête à l’acquisition de la connaissance, pour pouvoir proclamer que le monde a un sens, cela est une chose fort louable. Effectivement, l’individu est constamment environné de signification qui se cache derrière divers signes, mais qu’il n’est pas toujours prêt d’interpréter. En ce qui concerne la science par exemple, il serait naïf de notre part d’affirmer qu’elle a été créée en guise de serviteur pour l’humanité. Au contraire, la science reflète différentes intentions, que ce soit pour les inventeurs scientifiques ou pour la masse de consommateurs. Ces objets artificiels véhiculent donc un sens, ce qui joue un rôle essentiel pour remplir le vide de l’existence. Et même pour les idéologies que la science transmet à ceux qui la pratiquent, cela révèle déjà un sens créé avec beaucoup de subtilité. Alexandre Kojève écrit cette citation dans son Introduction à la lecture de Hegel : « L’homme qui n’a pas éprouvé l’angoisse de la mort ne sait pas que le Monde naturel donné lui est hostile, qu’il tend à le tuer, à l’anéantir, qu’il est essentiellement inapte à le satisfaire réellement. Cet homme reste donc au fond solidaire avec le Monde donné ». Mais cette interprétation du monde qui prône l’utilité et l’efficacité ne diffère pas du tout de celle qui met en exergue le dépassement de soi et de la matérialité. En faisant usage de la raison, l’homme croit dévoiler un sens inhérent de l’objet et qui est de même nature à la structure de sa pensée. En se libérant de celle-ci, il se prétend créateur de valeur, donc de sens, mais se heurte aussitôt à une contradiction face à la possibilité infinie de l’interprétation. Tout compte fait, il existe une frontière très délicate séparant le sens et le non-sens, ce qui se manifeste même par l’impossibilité de trancher sur la meilleure façon de signifier. Merleau-Ponty fait cette remarque dans son livre Eloge de la philosophie : « Le philosophe ne dit pas qu’un dépassement final des contradictions humaines soit possible et que l’homme total nous attende dans l’avenir : comme tout le monde, il n’en sait rien ». En tout cas, le monde se présente tel qu’il est, ou bien se transforme à travers le changement que l’homme effectue. Quant à sa signification, cela est un domaine propre à l’esprit humain et qui évoluera dans le courant des pensées dominantes et des mœurs. L’intervention de la raison ou d’une autre entité qui gouverne l’esprit humain n’est donc pas un défaut. Au contraire, les éléments du monde sont considérés comme des signes parce que c’est la pensée signifiante qui l’a désignée comme telle. Cela est prouvé par cette citation de Michel Foucault tiré de Nietzsche, Freud, Marx : « Les signes sont des interprétations qui essayent de se justifier, et non pas l’inverse ».
Conclusion
La connaissance est ce contenu offert par l’intermédiaire de la raison, et cette médiatisation se révèle également par les propriétés de l’objet. Le fait de donner sens consiste alors à se focaliser dans le concret, puisque c’est à travers l’existence du monde que le questionnement du sens surgit. Soulignons cependant que cette représentation provient de ce que l’homme ressent personnellement à travers son expérience dans le monde. Certes, la connaissance assouvit la curiosité, elle offre une sensation de domination sur ce qui nous entoure. Mais cette plénitude se conjugue également avec une absence de sens, que cette connaissance me soit utile ou non, que le monde et moi-même soit tendu vers l’infini du temps. Que le sens ait été dévoilé ou créé, cela importe peu tant que l’homme se donne comme un être libre. La subjectivité n’exclut aucunement l’intervention de la raison, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la différence entre le dévoilement et la création est d’ordre méthodologique. Le sens signifie-t-il en fin de compte une absence de sens ?