Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La société contemporaine réclame toujours davantage de droits, parce que les citoyens pensent que la liberté est fonction croissante du droit. Cependant, nul ne songe à repenser à la source ce que le droit signifie réellement, comme si toutes les aspirations communes sont d’une évidence telle qu’il faudrait les réaliser immédiatement. Sachant que le droit n’a de sens qu’au sein d’un groupement d’hommes, cela signifie qu’un individu ne peut pas faire prévaloir son droit par lui-même. Nécessitant une reconnaissance et une concrétisation, le droit est certes quelque chose de fictif mais peut être évalué en fonction de plusieurs critères observables. En réfléchissant sur le droit, son fondement est donc bien plus important que ses conséquences. C’est pourquoi Walter Benjamin, dans son livre Pour une critique de la violence, déclare ceci : « Toute violence est, en tant que moyen, soit fondatrice, soit conservatrice de droit. Lorsqu’elle ne prétend à aucun de ces deux attributs, elle renonce d’elle-même à toute validité ». Il est donc possible que le droit puise son autorité d’une situation injuste, mais on le légitime quand même. En reconnaissant un droit, devenons-nous complice des injustices sur lesquels il se fonde ? La réponse à cette problématique sera donnée à travers les trois paragraphes qui suivent : d’une part, les hommes réclament naturellement leur droit ; d’autre part, les moyens en vigueur pour faire valoir le droit n’ont aucune limite ; et pour conclure, l’injustice n’est pas incompatible avec l’exercice du droit.
I) Les lois puisent leur légitimité de par le droit
On suppose au préalable que tout le monde connaît ses droits, mais souvent, et surtout dans un Etat bien institué, les litiges se font nombreux pour des questions faciles à remédier. Il est donc des spécialistes dans le domaine juridique, maîtrisant en chaque circonstance l’usage de la loi en faveur des partis concernés. La plèbe fait alors confiance à l’expertise des juristes parce qu’elle réalise que les contenus de la loi sont conformes à l’équité et aux avantages de tous. Ceux qui dénigrent la loi sont en effet des personnes anticonformistes, qui renient la structure établie dans la société. Mais ceux qui reconnaissent les prescriptions de la loi acceptent que cette dernière soit une version améliorée du droit. En d’autres termes, ils veulent que le droit soit universalisé sous forme de loi. Le Contrat social de Jean Jacques Rousseau offre une illustration précise à cette idée : « On pourrait, sur ce qui précède, ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». L’application du droit sera plus efficace une fois que les expériences multiples auxquelles nous avons affaire seront synthétisées officiellement selon une version écrite. C’est la raison pour laquelle on a créé les lois, qui sont des dérivés du droit érigé sous forme de convention. S’il est naturel à chaque individu de réclamer son droit, au même titre qu’il tend automatiquement vers sa conservation, il n’est pas toujours avantageux pour la communauté de laisser libre cours à ces instincts. En faisant intervenir la raison, le droit se transforme en loi qui est reconnue par tous comme le seul droit valable et en exercice. L’existence de la loi précède alors l’organisation politique, c’est-à-dire que la loi s’étend sur l’ensemble de la communauté et a été créée pour cet effet. C’est en ce sens que John Locke écrit ceci dans son Traité du gouvernement civil : « Et certaines lois étant établies, et certains hommes autorisés par la communauté pour les faire exécuter, ils terminent tous les différends qui peuvent arriver entre les membres de cette société-là ». La société ne dispose pas naturellement d’une loi pour régir ses membres, il faut donc la créer, et ce, en se souciant du profit de l’assemblée. Cela dit, la société est une création artificielle, dont le gouvernement est présidé par l’Etat, et le mécanisme basé sur des lois écrites. Le décalage entre le droit et la loi s’observe alors dans l’introduction de justice à l’intérieur de la loi, une notion qui requiert l’ajustement de la théorie et de la pratique. Mais pour déterminer le juste et l’injuste au sein de l’Etat, la raison est la seule instance compétente, décidant ce qui est utile à la fois pour l’individu et pour la société. Cette remarque faite par Montesquieu dans L’Esprit des lois appuie cette idée : « Les lois, dans sa signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses : et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses loi, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs loi, les bêtes ont leurs loi, l’homme a ses lois ».
La création d’un Etat n’est possible que si les citoyens ont conscience de la loi comme la concrétisation du droit de chacun, c’est-à-dire de la justice. Toutefois, la loi la plus parfaite n’ôte pas les imperfections des hommes, sujets à la corruption et aux divers caprices.
II) On rencontre plusieurs défaillances du droit dans la république
La connaissance des droits s’acquiert de manière intuitive, notamment en réalisant par soi-même quels sont les besoins auxquels je ne puis me soustraire. Afin de les concrétiser, même si je peux le faire moi-même, je veux que les autres reconnaissent ce que je fais. Cependant, autrui conçoit également des droits qui lui sont personnels et tournant uniquement à son avantage. Et pourtant, la loi qui condense ces divers profits vers un objectif commun laisse de côté ces aspirations particulières. Il faut donc une valeur commune très solide entre les membres de la communauté, sur lauelle devrait s’appuyer le contrat. C’est le sens même de cet extrait des Considérations sur le pouvoir spirituel écrit par Auguste Comte : « Quant à la corruption érigée en moyen permanent de gouvernement, cette déplorable conséquence résulte plus clairement encore que la précédente de l’anéantissement du pouvoir spirituel ». Les dirigeants et les citoyens sont tout d’abord des individus, détenant des croyances et des convictions qui sont aussi importants que les devoirs envers la patrie. Force est de constater que l’instauration de la loi a été principalement discutée sur des valeurs communes, pour donner un résultat artificiel. En effet, l’unité du corps social est une fiction nécessaire afin de rendre compte de la validité de l’Etat. Qui plus est, la qualité de peuple, qui est associé habituellement et à tort à l’Etat, n’est valide que si ses membres présentent effectivement des valeurs et des visions communes. C’est pourquoi Alain, dans ses Propos sur les pouvoirs, fait la déclaration suivante : « Et donc le moteur du progrès a dû être dans quelque révolte de l’individu, dans quelque libre penseur qui fut sans doute brûlé. Or la société est toujours puissante et toujours aveugle ». Il est vrai que la mission de la loi ainsi que des moyens coercitifs pour la faire appliquer est de corriger les méchants vers le droit chemin. Toutefois, la définition même du méchant selon le contexte juridique suppose en vérité la non-conformité des valeurs prônées par l’individu avec celles édictées par la société. Sans entrer en détail sur la moralité universelle des actions, nous constatons finalement qu’il existe toujours un décalage entre la théorie de la loi et sa validité dans la réalité des hommes. La raison en est que les citoyens présentent une forte hétérogénéité en matière de principe, donc l’effort pour instituer un Etat uni tombe dans l’échec. Spinoza dans son Traité politique, affirme d’ailleurs ceci : « Il est certain en effet que les séditions, les guerres et le mépris ou la violation des lois sont imputables non tant à la malice des sujets qu’à un vice du régime institué ».
L’individu ne se réduit pas à son rôle de citoyen, et ses croyances ne suivent pas forcément celles qui sont plébiscitées au sein de la république. Face à cette différence fondamentale, la loi n’est pas pour autant injuste puisqu’elle applique uniquement ce qui a été préalablement convenu.
III) Le droit est incapable de viser le bien commun avec justesse
On désigne comme juste une action qui vise l’équilibre des avantages entre tous les partis concernés, et ce, en tenant compte de la place de chacun dans le système. Si la loi se présente comme une déclaration officielle de ce qui doit être au sein de l’Etat, elle ne sera jugée comme juste ou injuste qu’à travers son application concrète. Mais puisque les faits sont aussi nombreux que disparates, c’est justement dans ces conditions que le juge et les représentants de l’Etat peuvent faire preuve de justice. Si le droit consistait à réfléchir par soi-même ce qui me revient, sans qu’aucun autre parti ne soit concerné, alors il n’y aurait jamais d’injustice. Le rôle de l’Etat consiste alors dans la référence au droit pour les décisions à prendre, afin qu’il soit le modèle parfait dans l’obéissance à la loi. « Car le droit consiste dans la liberté de faire une chose ou de s’en abstenir, alors que la loi vous détermine, et vous lie à l’un ou à l’autre », souligne Hobbes dans le Léviathan. Ainsi, la résolution prise par l’Etat n’est pas toujours bénéfique pour un individu particulier, bien que ce dernier consente de son plein gré aux prescriptions de la loi. A y voir de plus près, il y aura toujours quelques partis lésés dans l’application de la volonté générale, qui se présente derrière la législation. Même si l’Etat n’est pas despotique, le citoyen peut toujours ressentir des frustrations dans la gestion des choses publiques, en revendiquant la justice via les grèves. Dans les faits, le droit peut être injuste, mais puisque cette dénonciation provient d’un particulier et ne touche pas le fondement de la Constitution, cela n’ébranle pas la fondation de l’Etat. Comme l’atteste Hegel dans La Raison dans l’histoire : « L’intérêt particulier de la passion est donc inséparable de l’activité de l’universel. Car l’universel résulte du particulier et du déterminé, et de la négation de celui-ci ». En tout cas, les législateurs doivent faire un choix prioritaire entre ces différentes possibilités, mais il ne songe aucunement à faire du monde à quiconque. Si nous obéissons à la loi et que nous savons pertinemment qu’elle n’est pas convenable aux autres concitoyens, nous ne sommes pas pour autant injustes envers autrui. La loi est sujette à des rectifications au fil du temps, selon la demande du peuple et suite au constat de son obsolescence. C’est la preuve tangible qu’elle contient quelques injustices, et qu’il tend progressivement vers un équilibre où tout le monde jouira des faveurs de l’Etat de manière équitable. Tocqueville illustre cette idée dans cet extrait de De la Démocratie en Amérique : « Ne demandez point quel charme singulier trouvent les hommes des âges démocratiques à vivre égaux, ni les raisons particulières qu’ils peuvent avoir de s’attacher si obstinément à l’égalité plutôt qu’aux autres biens que la société leur présente ».
Conclusion
Afin qu’on puisse le transformer en loi et qu’il reflète la nature humaine, il est impératif que le droit contienne la justice. Une compréhension individuelle du droit n’a donc de validité que sauf si elle correspond à la loi promulguée. Nous n’adhérons pas à l’hypothèse selon laquelle l’homme serait naturellement mauvais : si ses ambitions personnelles ne coïncident pas avec le bien commun, il ne le fait pas par pure méchanceté. Ainsi, le consensus sur lequel se fonde le corps social ne supprime pas l’individualité des citoyens, et ce caractère fondamental tend à apparaître publiquement à chaque occasion. Remarquons que le fondement du droit n’est en aucun cas l’injustice, même s’il reflète indirectement le profit des personnes influentes. En profondeur, le bien commun présente un certain décalage avec le véritable profit de l’individu, mais on ne peut pas accuser la loi pour cela. Peut-on supprimer l’injustice par la violence ?