Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Les familles et les communautés traditionnelles possèdent des mœurs qui les distinguent des autres, mais qui ne font pas nécessairement l’unanimité malgré leur efficacité. En effet, une pratique renferme une valeur et un sens, mais qui échappe le plus souvent à la compréhension et qui la fait rejeter comme contraire au bon sens ou à la morale. Et pourtant, même les pratiques les plus modernes véhiculent une signification qui n’est pas toujours respectueuse des bonnes mœurs. A cause de la diversité des coutumes et des croyances dans une société ou à l’intérieur d’une Nation, l’on est obligé de mettre en place un système le plus universel possible pour régir les conflits. Voici le point de vue de Descartes concernant l’origine des querelles entre les hommes, tirée de sa Lettre à Mersenne : « Je ne connais rien de violent dans la nature, sinon au respect de l’entendement humain, qui nomme violent ce qui n’est pas selon sa volonté, ou selon ce qu’il juge devoir être ». Les disputes, qui se transforment aussitôt en déclaration de guerre, sont donc à la source une incapacité à discerner le vrai et le faux, ce qui produit par la suite une confusion entre le juste et l’injuste. Le droit, stipulé sous l’autorité de la raison, est-il capable de rétablir la justice entre la pluralité des phénomènes ? Pour répondre à cette problématique, adoptons un plan à trois parties, où le premier décrira les fondements du droit à partir de la Raison ; le deuxième étudiera les mécanismes de la justice qui se pratique dans la constatation des faits ; et le dernier et troisième offrira la possibilité pour la justice de pallier les lacunes du droit.
I) L’Etat est la forme par excellence où se réalise le droit
Une fois que l’homme vit dans un milieu donné, il a conscience des rapports de force qui s’établissent entre les individus qui y cohabitent. Mais puisqu’il est toujours et déjà instruit dans un état civilisé, il lui est difficile de concevoir son environnement au même titre que la jungle. Les hommes sont d’autant plus polis et respectueux qu’il est plongé dans un cadre où règne le droit. Parallèlement, l’individu est en mesure de réclamer des droits, non pas en comparant sa situation avec celui d’autrui, mais parce que cela lui revient naturellement. En tant qu’homme, il lui est vital de jouir de certaines prérogatives, et c’est à l’Etat auquel il est membre qu’il les exige. Rousseau s’explique dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède ». Si l’homme se limitait à sa propre puissance afin de réclamer son droit, il l’obtiendrait seulement de façon éphémère, car il sera aussitôt dépassé par un autre plus puissant que lui. Mais en cédant à l’Etat son droit de se défendre et de protéger ses biens, il ne risque aucunement de perdre son droit, et bénéficie davantage de protection que s’il était livré à lui-même. Par conséquent, chaque membre doit se soumettre aux règlements établis par les personnes représentant l’Etat. D’ailleurs, l’individu n’a pas d’autre choix que d’adhérer à l’Etat pour pouvoir vivre avec ses semblables. Comme disait Hegel dans son Principe de la philosophie du droit : « Si on confond l’Etat avec la société civile et si on le destine à la sécurité et à la protection de la propriété et de la liberté personnelles, l’intérêt des individus en tant que tels est le but suprême en vue duquel ils sont rassemblés et il en résulte qu’il est facultatif d’être membre de l’Etat ». Refuser l’ordre établi par l’Etat revient à nier le droit civil qui autorise l’Etat à agir au service des citoyens. Cela signifie que nul ne peut abolir l’Etat, les gouvernants peuvent se succéder selon différentes manières, mais cela ne dissout en rien cette institution. Il possède une autorité sur les citoyens puisque nul ne peut se placer en dessus de lui : dissoudre l’Etat signifierait alors trouver une autre base de consensus autre que le droit pour pouvoir vivre ensemble. Or, une révolution conduit seulement à de nouvelles lois, et les révolutionnaires seront toujours amenés à créer une nouvelle forme d’État basée sur le droit. Kant disait d’ailleurs dans son Projet de paix perpétuelle : « Même si la violence d’une révolution produite par une constitution défectueuse, faisait obtenir, d’ailleurs illégitimement, une constitution plus conforme à la loi, il ne faudrait pas cependant considérer comme licite de réintroduire chez le peuple la constitution antérieure ».
Là où il y a Etat, le droit est profondément intériorisé dans chaque individu qui fait que chacun se soumette volontairement à son autorité. En cas de litige entre les particuliers, l’institution juridique intervient pour le régler, cette fois-ci en ralliant le droit avec la justice.
II) La justice est le droit ajouté à l’évaluation des faits
Force est de constater que les hommes ne sont pas toujours gouvernés par la raison, et enfreignent de temps en temps aux règles qu’il s’est donné à obéir. Toutefois, il s’est écarté du droit chemin non pas pour le plaisir d’agacer les autres, mais pour des raisons particulières qui ne sont pas toujours évidentes pour le grand nombre. L’on sait pertinemment que l’infraction entraîne une pénalité, cependant il existe des crimes où le citoyen risquerait d’avoir des sanctions plus sévères. Puisqu’il dispose de ses droits civiques, et que la peine consistera à lui ôter ces droits, le citoyen a alors le droit de se protéger devant le tribunal. La justice en tant qu’institution de l’Etat a donc pour rôle d’évaluer et de sanctionner les crimes tel que le droit la lui permet. Selon le Traité théologico-politique de Spinoza : « La justice est une disposition constante de l’âme à attribuer à chacun ce qui d’après le droit civique lui revient ; l’Injustice, au contraire consiste, sous une apparence de droit, à enlever à quelqu’un ce qui lui appartient suivant l’interprétation véritable des lois ». Nombreux sont les cas où la loi ne se prononce pas sur un cas particulier, c’est-à-dire qu’il ne l’autorise pas et ne le sanctionne non plus. Et pourtant, cette action a causé une lésion grave sur la personne ou les biens d’autrui, ce qui mérite d’être traité en justice. Ainsi, le verdict prononcé par le juge risque toujours de déplaire à l’un des partis, car l’un évoquera une action nuisible mais non condamnée par la loi, et l’autre dénonce sa perte et requiert de façon légitime un dédommagement. Cette situation remet alors en surface l’insuffisance des contenus des lois écrites, mais qui ne lui enlève en rien le pouvoir de trancher avec justice des affaires des citoyens. Cette idée est d’ailleurs une reprise de l’extrait de l’Ethique de Nicomaque d’Aristote : « Ce qui fait difficulté c’est que l’équitable est juste, mais non pas juste selon la loi ; il est plutôt un ajustement de ce qui est légal ». En d’autres termes, la justice consiste à faire valoir les droits fondamentaux des citoyens, et de laisser autant de marge possible que ces droits le lui permettent. En restant extrêmement rigide dans la connaissance du droit, le législateur perd de vue cet objectif, car c’est le droit qui est attribué au citoyen, et non le citoyen qui est fait pour le droit. Néanmoins, ces cas exceptionnels obtiennent gain de cause à l’intérieur d’une procédure légale, c’est-à-dire que l’obscurité de la loi est déjà un moyen de faire justice. Montesquieu évoque ce passage dans son Esprit des Lois : « C’est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l’arbitraire cesse ; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ».
Le magistrat juge les litiges opposant les particuliers en se référant aux textes en vigueur, mais également en faisant preuve de justice face à la difficulté des cas. Le droit et la justice forment donc un pair inséparable, l’un selon une forme légale et l’autre selon une forme légitime.
III) Une société harmonieuse réunit en elle le droit et la justice
Rappelons que le droit a été fondé sur la convention d’individus particuliers, qui aspirent à vivre en commun selon la lumière de la raison. En se fiant uniquement à la raison, les croyances et les coutumes ont été rangées parmi les superstitions, cependant une société moderne possède également ses propres fétiches, mais qui seront par la suite déguisées sous le nom de laïcité, de démocratie ou encore de liberté. Cela pour dire que le droit, aussi positif soit-il, est toujours entaché d’une prise de position sur la nature de la communauté qui l’a conçue. Et c’est d’ailleurs le sens d’une convention : rendre officiel ce qui ne l’était point. Cela se traduit par cet extrait de Raison, vérité et histoire, un ouvrage d’Hilary Putnam : « Nous ne pouvons espérer produire une conception plus rationnelle de la rationalité ou une meilleure conception de la morale que si nous œuvrons dans notre tradition ». Au moment où la justice se prononce dans son jugement, mais que le verdict dépasse les compétences des textes de lois, cela est une extension qui renforce même l’autorité de l’Etat. Autrement dit, quiconque qui s’aventure à exploiter la connaissance du droit pour des fins malveillantes sera toujours rattrapé par le pouvoir de l’Etat. En effet, ce pouvoir est capable de se prononcer au-delà de ce qui est écrit dans les textes, qui est alors un pouvoir de faire asseoir la justice au-dessus de ce que le citoyen aura le droit de faire. C’est en ce sens que Michel Foucault avance cette compréhension du pouvoir de l’Etat comme suit : « Le pouvoir, au fond est moins de l’ordre de l’affrontement entre deux adversaires, ou de l’engagement de l’un à l’égard de l’autre, que de l’ordre du « gouvernement » ». Selon un ordre chronologique, c’est le droit qui fonde la justice, mais le pouvoir qui est propre à l’Etat lui permet également de faire justice au-delà même de ce que propose le droit. Cela à condition que la justice ne contredit point le droit, mais le complète afin de mieux servir les citoyens qui sont les détenteurs originaux du droit. La justice est donc la forme par laquelle le droit se met en œuvre et s’applique concrètement dans les cas particuliers. Par conséquent, le droit ne contredit pas la justice puisque c’est cette dernière qui est à son service. Nietzsche, dans Le voyageur et son ombre, poursuit cette description comme suit : « Un développement de la justice est l’équité, naissant entre ceux qui ne la contreviennent pas à l’égalité de la communauté ».
Conclusion
Le droit positif, qui est à l’origine de la création de l’Etat, concerne aussi bien les forts et les faibles, les riches et les démunis, et tous ceux qui souhaitent vivre en toute sécurité avec leurs semblables. Autrement dit, l’Etat n’est pas une auxiliaire qui dérive du droit, au contraire le droit ne peut se réaliser qu’à l’intérieur de la structure de l’Etat. Sachant que les magistrats sont en parfaite connaissance des textes juridiques, il serait alors aisé de relier chaque alinéa avec un fait en question, mais il n’en est rien. Dans l’évaluation des faits, on peut rencontrer des exceptions qui donnent raison à celui qui l’a commis, et qui l’exempterait des pénalités ou à un allègement des charges de dédommagement. Sachant que le droit est issu du concours de plusieurs volontés particulières, le résultat présentera une certaine limite quant à sa prétention d’embrasser l’universalité. La justice se prononce d’emblée en fonction du droit, et peut étendre son champ d’application si et seulement si la loi l’autorise. Bien que les citoyens soient les vrais détenteurs du droit, et qu’ils se sont convenus pour le déléguer entre les mains du dirigeant de l’Etat, il s’ensuit que c’est l’Etat qui a le pouvoir de faire justice. La justice populaire peut-elle réformer le droit ?