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Le doute est-il l’ennemi de la science ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

À première vue est scientifique ce qui fait preuve de certitude. On estime souvent que la scientificité d’un propos lui donne une certaine autorité dans les débats où il faut faire preuve d’objectivité. Il n’est pas rare que les critères de la science ont toujours le dernier mot sur l’état des faits puisqu’apparemment ils ne peuvent être contredits par la raison elle-même. Pourtant, la science ne s’est pas établie dans cette position par la pure conviction de ses théories. Les hypothèses au cœur de ces dernières sont passées au crible de nombreuses interrogations qui tentent de voir en elles des faiblesses afin d’éventuellement les invalider. Ces interrogations semblent manifester l’esprit de ce que Descartes appelait un doute méthodique, soit le fait de ne rien prendre comme vrai ce qui ne fut pas examiné avec soin par la raison. On est donc face à deux directions contradictoires qui font pourtant partie  de l’esprit scientifique. Comment la science qui se donne à être comme le modèle de certitude peut inviter le doute pour arriver à la scientificité ? Pour résoudre ce problème, nous allons considérer le plan suivant. Premièrement, revoyons avec plus de détails pourquoi la science se veut être le signe de la certitude. Deuxièmement, observons pourquoi le doute fait partie de la recherche scientifique. Puis finalement, considérons de dépasser la contradiction en proposant que l’esprit d’antithèse fait partie des critères de la scientificité.

I) La science et la certitude

A. La science et la certitude théorique

Premièrement, il est important de considérer la nature indubitable de la seule théorie scientifique en termes de logique. La formulation d’une théorie en science manifeste une procédure si rationnelle qu’elle semble être à l’épreuve du doute. D’abord, une théorie scientifique n’est pas une donnée intuitive. Certes, elle est tributaire de la perspicacité de l’esprit, mais celle-ci n’en est qu’un point de départ. Une théorie scientifique est une conclusion rationnelle à la suite d’une démonstration rigoureusement développée par la seule observation de la raison. Aristote définit la démonstration comme :« un discours par lequel, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre en résulte nécessairement du seul fait de ces données ». En effet, elle est le produit de l’enchaînement logique de propos dont les fondements sont rigoureusement examinés sous la lumière de la raison. Il y a ici un esprit d’objectivité, la science veut aller vers les choses en neutralisant le plus possible les affectivités subjectives. Chaque propos se doit de ne contenir aucun sentiment car la perspective subjective s’y cache souvent, étant donné que la nature de celui-ci est d’être vague. Il s’agit d’exprimer nos idées de la manière la plus claire possible par l’usage d’une précision verbale pertinente qui ne laisse place à aucune équivocité ni ambigüité. Le principe est d’établir le plus de formalités possibles dans les propos afin qu’ils soient efficacement opérés par l’esprit de la logique.

B. La science et la certitude expérimentale

Toutefois, une théorie n’est pas une connaissance scientifique si elle n’a pas été confrontée à la concrétude des faits. Plus précisément, la connaissance n’est dite scientifique que si elle est conforme aux faits et que cette conformité soit définie par la réussite expérimentale. Le procédé est la suivante : la science fait d’abord preuve d’une observation inductive temporaire. Le scientifique remarque des régularités dans les phénomènes et formule une hypothèse générale qui donne un ordre à ces derniers. Puis, il revoit les faits pour vérifier son hypothèse mais cette fois dans un cadre théorique bien précis. On n’observe plus ici le phénomène, mais plutôt d’une manière active, l’hypothèse qui tient à expliquer sa nature. On n’attend pas l’apparition du phénomène, on la somme d’apparaître sous des conditions bien définies. Pour vérifier l’hypothèse, l’observation expérimentale met en jeu des théories qui ont déjà fait leur preuve face à l’expérience. Par exemple, les outils d’observation comme le thermomètre et le baromètre sont les matérialisations de théories considérées comme suffisamment vérifiées face à leurs objets d’études respectives que sont la température et la pression atmosphérique. Il est dès lors difficile de contester les connaissances que la science produit, car celle-ci avance par une série de pas suffisamment confiants d’eux même vis-à-vis des faits explorés.

Il semble que la science ni dans la théorisation ni dans l’expérimentation ne laisse place au doute. Pourtant, comment alors expliquer que les théories scientifiques peuvent changer au cours de l’histoire de la science sans qu’il y ait des remises en question ?

II) Le doute est au cœur du progrès scientifique

A. Le doute dénonce le manque de rationalité de la doxa

La science est l’œuvre de l’esprit rationnel. Elle veut examiner tout propos à travers la lumière de la raison. La science dès lors fait preuve de suspicion à l’égard de ce qui manque de transparence vis-à-vis de la raison. Au cours de son histoire, la science a toujours pris le risque d’aller à l’encontre de la doxa, ou entre autres, de l’opinion commune ambiante. La science suspecte tout jugement qui considère comme seule autorité le « bon sens » partagé par la majorité. Elle a raison dans le sens où on peut vite remarquer que l’opinion est l’œuvre de l’habitude d’une perspective. L’opinion ne se questionne pas, ni sur ses origines ni sur son raisonnement, elle exprime juste du vraisemblable, elle ne se demande pas pourquoi telle où telle idée paraît évidente dans le sens où pourquoi celui qui l’exprime en fait plus preuve de certitude par un fort sentiment que d’une indubitable logique. C’est pourquoi les découvertes scientifiques se font parfois ressentir comme douloureuses. On est arraché à ce qui nous est jusque là confortable, rassurant et unifiant. La découverte de la révolution Copernicienne est une déchirure avec l’idée d’un monde d’homme au centre de l’univers. La théorie de l’évolution de l’espèce est ressentie comme une agression contre la grandeur du sentiment de la dignité humaine. Enfin, l’idée de que le sujet n’est pas le maître chez lui du fait d’un mécanisme psychique qui échappe à sa conscience démoralise l’idée d’une volonté libre et responsable.

B. Le scientifique fait autant preuve de doute que de foi vis-à-vis de ses théories.

Mais il ne s’agit pas seulement de questionner la doxa populaire. La science fait aussi preuve d’une suspicion méthodique à l’encontre de ses précédentes théories aussi solides soient celles-ci. La science doit mettre à jour les méthodes d’observation d’une ancienne théorie pour voir si l’expérimentation d’une époque est n’est plus actuellement pertinente, soit devenue obsolète. On peut ici d’abord remarquer la condition des technologies prises en charge par l’observation. Le progrès technique semble ne cesser d’offrir des technologies plus performantes et plus précises que la science ne peut ignorer l’usage. Puis, on peut aussi remarquer les nouveaux faits qui se manifestent en dehors des registres habituels. L’esprit de l’induction a ses limites car à défaut de ne pas pouvoir observer les faits dans tous les lieux et tous les moments qu’on peut considérer comme pertinents, on ne peut qu’attendre leur signalement. Enfin, remarquons que de nouvelles théories peuvent voir le jour grâce à de brillantes nouvelles intuitions. Les esprits ont à chaque progrès scientifique accumulé une si grande richesse intellectuelle tant en méthode qu’en connaissance que l’ingéniosité de notre entendement ne peut que s’y épanouir avec joie. Il faut finalement noter que ces trois conditions s’articulent souvent entre elles d’une manière interdépendante. De nouveaux moyens et phénomènes peuvent amener de nouvelles théories, de nouvelles théories peuvent amener à de nouveaux moyens et à l’observation de phénomènes. Ce n’est que par cette revue de ses fondations que la science peut progresser. Chaque nouvelle théorie est tributaire d’une revue des anciennes.

Le doute ici ne s’oppose donc pas à la science tant celui-ci est ce qui lui permet d’avancer. Pourtant ne faut-il pas dès lors préciser quelques remarques au sujet de la nature scientifique de ce doute pour éviter toute ambigüité avec le scepticisme absolu ?

III) Le doute fait partie des critères de la science

A. Le doute scientifique n’est pas le doute sceptique

On parle bien trop souvent de cette caricature du scientifique par l’image du sceptique invétéré. Les scientifiques, dit-on souvent, ne croient en rien, car ils veulent absolument avoir les preuves des faits sous leurs yeux. Le grand public est d’ailleurs souvent frustré par l’idée que ses idées n’ont aucune autorité sans l’accord de la communauté scientifique qu’il traite finalement celle-ci de manquer d’ouverture d’esprit. Pourtant, l’esprit scientifique n’a pas une telle tendance de fermeture. En fait, s’il a en droit la réflexion du doute, c’est que douter pour lui, signifie ne pas tenir pour vrai ce qui apparaît obscur et incohérent. Les observations précédentes sur le progrès de la science grâce au doute, nous amènent à préciser que pour la science, le doute renvoie à l’idée de prudence ou de précautions et non à la fermeture totale. La science ne peut faire l’économie du doute puisque la certitude est vitale pour la connaissance. Elle a la responsabilité de faire preuve d’un scrupule rigoureux pour éviter de fonder une structure de savoirs instable. Imaginons les dégâts que la moindre erreur de la part d’une théorie pourrait occasionner. La validité d’une théorie est la conclusion d’autres théories valides de sorte qu’une théorie scientifique soit en fait une structure conceptuelle basée sur la confiance de ses fondations.

B. La possibilité d’une antithèse vérifiable fait qu’une théorie soit scientifique

Enfin, remarquons avec l’épistémologue Karl Popper que « le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester ». L’image semble être paradoxale, voire pessimiste, pourtant il faut comprendre par là que le critère de réfutation nous permet exactement de distinguer l’explication scientifique de la pure interprétation. La pure interprétation n’offre pas la possibilité de l’observation d’une réfutation. Par exemple, l’interprétation marxiste des rapports de forces sociales de la lutte de classe pourra toujours se prêter à l’explication de n’importe quel phénomène social et on ne peut en toute rigueur en faire l’observation expérimentale d’une manière suffisamment contrôlable. Les faits sociaux sont difficilement contrôlables par l’observation d’une théorie déterministe, on parle d’observer des esprits qui peuvent faire preuve d’une autonomie insoupçonnée. Le problème des théories irréfutables est qu’elles ne s’appuient que sur l’ingéniosité théorique. Il s’ensuit qu’avec un peu de sophistique, elles sont les moyens les plus efficaces à véhiculer du vraisemblable. L’interprétation scientifique reconnaît que la remise en question n’est jamais loin d’elle parce qu’elle se démarque des autres théories par le fait que la possibilité de confirmer expérimentalement ses doutes fait sa légitimité.

Conclusion

Notre problématique était de se demander comment la science qui se donne à être comme le modèle de certitude peut inviter le doute pour arriver à la scientificité.  La science nous a montré le souci d’une certitude absolue dans ses procédures. Les théories scientifiques font la preuve d’une démonstration si rationnelle qu’elles sont logiquement implacables. Mais encore, la science veut quand même les confirmer en les confrontant aux faits. Une confrontation qui exige d’être observée par des théories dont la validité est déjà certifiée par l’expérience même. Néanmoins, cela n’empêche pas que le doute puisse faire partie de la recherche scientifique. L’esprit du doute est nécessaire à la science pour faire face aux préjugés des opinions. Il s’agit de ne pas tenir pour vrai ce qui manque de transparence rationnelle. La science doit aussi revoir les conditions de ces anciennes théories à l’égard de nouvelles pertinences technologiques, théoriques et factuelles. L’enjeu est toujours la certitude, mais une certitude qui n’est pas aveugle de ses conditions. Ce qui nous a amenés à faire remarquer que le doute scientifique n’est pas le doute sceptique. Il ne s’agit pas d’être enfermé sur ses principes, mais seulement de faire preuve de prudence. La science qui paraît de nature scrupuleuse fait preuve de confiance envers ses théories. Finalement, ce qui démarque la science des simples interprétations c’est la possibilité de douter de ses théories par la formulation d’antithèses expérimentalement vérifiables. Le doute n’est ainsi ni l’ennemi ni l’ami de la science, mais une condition inséparable.

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