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Le désir est-il l’origine du vice ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le problème de la nature humaine met en surface l’impossibilité chez l’homme de faire le bien en tout lieu et en tout temps. Incapable non plus de nier les principes de la morale, il entretient des relations avec ses semblables en se basant sur la distinction du bien et du mal. Toutefois, l’environnement dans lequel il est plongé contribue grandement à modifier les comportements ou à changer les mentalités. Le niveau d’éducation, les moyens financiers, ou encore le poids des religions sont autant de facteurs qui influent sur la destinée d’un individu, ou plus précisément à former des penchants à faire le bien ou à faire le mal. Mais hormis ces facteurs extérieurs, la noirceur du cœur de l’homme lui est également un véritable obstacle pour le rendre meilleur. Comme le disait Pascal dans ses Pensées : « L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres ». En effet, le mal se traduit à la fois par la qualité des rapports sociaux, et par celle de la personne dans chaque individu. Le désir est alors l’une de ses manifestations, surtout si cette inclination tend à se transformer en une passion déréglée. Prenant son origine dans la corporéité, le désir est d’autant amplifié par l’idée que l’on se fait de son objet. Le problème de la nature humaine peut-il se résoudre par la maîtrise des désirs ? Afin d’élucider ce questionnement, nous verrons dans une première partie que le mal tire son origine du constat de la détérioration des rapports entre les individus. Dans une seconde partie, nous analyserons le désir comme le moteur vital qui anime les activités humaines. Et nous terminerons dans une troisième partie l’explication selon laquelle la mutation des règles coutumières et les lois écrites ne peuvent plus freiner les désirs débridés.

I) La morale et la religion sont à l’origine de la définition du vice

La religion inclut une moralité qui pose au préalable sa force sans se référer à son efficacité : il s’agit d’un dogme soumettant ses sujets à son autorité bienveillante. Ainsi, le vice est compris comme une faute, un péché, une transgression face à ce qui devrait se faire devant ses semblables. Devenue un élément vital pour la société, la morale s’est transformée en une législation qui repose sur la voix de la raison. Ce passage de l’ouvrage Orientation philosophique de Marcel Conche illustre l’idée selon laquelle faire le bien à autrui est universellement souhaitable : « Un homme quelque peu humain se reconnaît à sa capacité d’attention à autrui et l’autrui quelconque. C’est son respect des autres qui lui interdit de se faire le complice, par son indifférence, son silence, sa seule attitude intérieure, d’un injuste ordre des choses ». Ainsi, la distinction entre le bien et le mal subsiste toujours, même dans une société laïque. Toutefois, il existe une nette différence entre un peuple religieux et un peuple laïc dans la droiture et la crainte de la punition. D’une part, la liberté de pensée tant prônée par les sociétés modernes ne fait pas avancer d’un pas ses sujets vers la moralité. Mais d’autre part, les dogmes de la religion ont également prouvé que leurs convictions ayant subsisté pendant des siècles ont été appliquées avec un certain maquillage et hypocrisie. D’ailleurs, défendre le bien, en se basant sur les enseignements de la foi, reflète l’attente d’une récompense divine, un argument qui n’est pas toujours persuasif face à certaines urgences du quotidien. C’est pourquoi Kant souligne dans son ouvrage La religion dans les limites de la simple raison : « La religion (considéré subjectivement) est la connaissance de tous nos devoirs comme commandements divins. Grâce à cette définition, on évite mainte interprétation du concept de religion en général ». Pour mieux comprendre le problème du vice, il nous importe alors de scruter les fondements de la religion et de la morale. Seulement, cette tâche revient à étudier la nature humaine, car la religion et la morale ne sont pas fondées sur le principe de l’efficacité, mais par la conscience de certaines valeurs incontournables. Cependant, les faits nous font comprendre qu’il est difficile pour l’homme d’épouser fidèlement ces valeurs, et ce, à travers une grande portée de leurs actions. Autrement dit, ce ne sont pas la morale et la religion dans leur essence qui sont mauvaises en soi, car elles auraient pu connaître une certaine réforme pour s’améliorer. Cependant, une réforme tend nécessairement vers la laïcisation, ce qui est synonyme de leur dissolution. Nous sommes parfaitement d’accord avec Jean-Paul Sartre qui affirmait dans son Plaidoyer pour les intellectuels : « Au fur et à mesure qu’on laïcise un secteur sacré, Dieu est disposé à remonter au ciel : à partir de la fin du XVIIème siècle, c’est le Dieu caché ».

Si la définition du vice est donc connue et reconnue par tout un chacun, la fuir demeure encore une tâche pénible dans le concret. Avec la libération du désir, qui est le fruit de la pensée moderne et capitaliste, nous connaissons de nouveaux besoins qui tendent vers de nouvelles passions.

II) Le désir tend naturellement vers son accomplissement

Le clivage naturel entre le corps et l’esprit passe par la réflexion sur le désir, ce dernier mettant l’individu dans un engouement pour céder ensuite dans ses moindres caprices. Non seulement le corps est compris comme étant une source d’erreurs en matière de connaissance, mais il est également désigné comme le générateur d’un plaisir éphémère et insatiable. Ces attributs propres au corps sont tout ce qui est le contraire de la raison, qui est synonyme de cohérence, de vérité et de stabilité. Se fléchir à la tyrannie du désir implique alors mettre la raison en veille, et tomber dans une illusion de bonheur qui pourrait ruiner toutes les anticipations. « Il semble que les hommes n’ont point envie de voir la Vérité toute nue peut-être parce qu’ils craignent qu’elle ne soit plus désagréable que l’erreur », constate Leibniz. Débutant par des plaisirs corporels très élémentaires, le désir finit par des ambitions plus grandes, à savoir l’honneur, la gloire, et même l’éternité. En effet, le désir d’une chose déterminé cesse une fois que son objet abonde, pour passer à autre chose plus intéressante et nouvelle. En compressant les élans du désir, l’homme devient frustré dans son agir et ne trouve aucun goût à son quotidien, de sorte qu’il marche dans la monotonie et la lassitude. C’est pourquoi Jean Hyppolite affirme dans Genèse et structure de la Phénoménologie : « L’objet individuel du désir, ce fruit que je vais cueillir, n’est pas un objet posé dans son indépendance, on peut aussi bien dire qu’en tant qu’objet du désir, il est et il n’est pas ; il est, mais bientôt il ne sera plus ». Ainsi, le désir nous submerge et nous enveloppe pour devenir ainsi le centre même de notre existence. La création de nouveaux désirs accompagnée d’une idée de liberté dicte désormais la vie en société, ce qui transforme en même temps le rythme de production de la richesse. A travers ces nouvelles échelles de valeur, basées sur la propriété, la liberté et l’égalité, l’individu se juge et juge les autres en fonction de l’ascension sociale, sans prendre conscience de la dégénérescence de la société elle-même, qui est enfermée dans une spirale interminable. Créer des besoins, produire puis consommer abondamment, pour créer ensuite de nouveaux besoins. C’est dans cet angle de vue que Jean Jaurès dénonce le système capitaliste dans son livre L’armée nouvelle : l’organisation socialiste de la France : « Le capitalisme, au contraire, occupe presque sans combat tout le vaste terrain des démocraties ».

Le changement opéré par la révolution capitaliste dévoile un soubassement idéologique qui prône le désir de richesse et toutes les autres ambitions comme étant le symbole de la liberté. Le désir est un vice parmi tant d’autres, mais qui a été légalisé en douceur par la négation de la morale et de la religion.

III) L’émancipation des désirs donne une ouverture vers d’autres vices

Selon son acception naturelle, le désir participe à l’équilibre du corps et de l’esprit, c’est-à-dire dans notre mouvement vital. Il n’y a rien de plus plaisant que de manger à sa faim et boire à sa soif, qui sont d’ailleurs les fonctions primordiales auxquelles notre corps est destiné. Même pour le plaisir sexuel, l’homme a créé l’institution du mariage pour pouvoir profiter de ce droit naturel sans nuire à personne, tout en se souciant de l’avenir de nos descendances. Notons d’ailleurs que ces nouveaux types de désirs sont contre-nature, et ne peuvent subsister même avec le recours à divers artifices. Le Livre De l’amour de Stendhal énonce ce passage : « Comme le coup de foudre vient d’une secrète lassitude de ce que le catéchisme appelle la vertu, et de l’ennui que donne l’uniformité de la perfection, je croirai assez qu’il doit tomber le plus souvent sur ce qu’on appelle dans le monde de mauvais sujets ». Le désir n’est pas précisément l’origine du vice, car le vice est déjà concevable en pensée selon les préceptes de la morale et de la religion. Le désir, quant à lui, prend naturellement sa source dans le corps, puis nourri par quelques idées de l’esprit. Pris dans son essence, il n’a rien de fâcheux, sauf lorsqu’il est accompli à travers de mauvaises circonstances qui nuisent à autrui. Avec l’aide de la raison, nous pouvons très bien canaliser l’accomplissement du désir, qui plus est les principes de la morale nous sont d’une grande aide. C’est en effet la détérioration de la morale et l’abolition de la crainte des divinités qui fait émerger de nouvelles idéologies, et dans la même foulée le désir placé au centre de nos préoccupations. Les propos de Hobbes dans le Léviathan sont tout à fait clairs là-dessus : « Les désirs et les autres passions de l’homme ne sont pas en eux-mêmes des péchés. Pas davantage ne le sont les actions qui procèdent de ces passions, tant que les hommes ne connaissent pas de loi qui les interdise ». Selon la nature humaine, la définition du vice change avec les mœurs, les époques et les contrées, tandis que les désirs sont, croyons-le, autant les mêmes en tout lieu et en tout temps. L’origine du vice serait alors la volonté de l’homme pour enfreindre la moralité, puis accentuée par les réformes législatives qui font reculer de plus en plus les limites de la liberté. Le désir devient alors une issue qui permet à l’homme de parvenir à ses desseins. Le recours au concubinage, le droit à l’avortement et à l’homosexualité et bien d’autres encore en sont les preuves les plus tangibles. Malinowski rappelle dans son livre La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives : « La morale est une force sans laquelle l’homme est incapable de lutter contre ses instincts, ou même de dépasser la vie purement instinctive ».

Conclusion

Il est difficile de délimiter dans le temps ce qui était formé en premier entre l’ordre social et la morale. En effet, les comportements déviants dans une société n’ont de sens que parce qu’il existe des lois morales qui les en empêchent, mais aussi le constat a postériori que certains actes nuisent véritablement à autrui et qu’il faut les interdire en érigeant une moralité bien solide. Toutefois, il est des cas où la raison peut défendre le mal selon une logique tout à fait naturelle, et considère alors un acte vicieux comme étant nécessaire. C’est ainsi que notre société actuelle donne libre cours à la poursuite de nos désirs, sous prétexte que l’abondance, la liberté et le luxe sont à la source du bonheur. Tout doit être acquis ici et maintenant, telle est la course qui mène désormais l’homme vers une consommation de masse, la recherche de nouveauté et la soumission à des phénomènes de mode. Et lorsqu’il se transforme en passion, c’est-à-dire ajouté d’un sentiment positif qui le projette continuellement dans le temps, l’homme devient de plus en plus complice de son désir, de sorte qu’il ne pèse plus la moralité de ses actes. Peut-on créer des désirs qui soient utiles ?

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Toute La Philo

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