Dissertation Philosophie (corrigé)
Introduction
D’après une évaluation objective, les conditions de vie étaient toujours pénibles quel que soit l’époque où l’homme était placé. Dans l’Antiquité et le Moyen Age, il n’y avait pas de grève des syndicats ni de manifestation pour les droits de la femme, et les hommes ne se plaignaient pas d’être au service des seigneurs et dépourvus de tout confort. Avec l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit, les citoyens ne craignaient pas d’être attaqués par les pays voisins, mais ils trouvent normal de travailler sans répit pour enrichir des multinationales. Si le bonheur individuel se définit par des éléments éphémères mais mémorables, le bonheur de l’humanité est un effort perpétuel vers un horizon à perte de vue. « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données par le passé », constate Karl Marx dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte. D’une part, l’homme a le pouvoir de bâtir un monde artificiel afin de mettre en œuvre son génie, mais il devient aussitôt aliéné par ces nouvelles conditions qu’il a édifiées. Et d’autre part, son existence ne se limite pas dans son aspect matériel, mais dans la conception d’une harmonie sociale, avec les droits et devoirs qui en découlent. Le progrès technique aurait-il un certain lien avec l’épanouissement de la société ? Ce questionnement sera approfondi dans les trois paragraphes suivants : premièrement, l’avancée technique a engendré une transformation notable du mode de production ; deuxièmement, le confort matériel ne résout pas tous les problèmes qui se présentent à l’homme ; et troisièmement, nombreux sont les paramètres mis en jeu pour assurer un avenir serein à l’humanité.
I) La technique assure en grande partie l’aspect matériel de la vie
Les communautés d’homme sont réparties dans des espaces géographiques très diversifiés, ce qui offre des conditions de survie à des degrés différents. La façon de cultiver la terre, de conserver les aliments ou encore de se protéger contre les températures extrêmes requièrent autant de techniques spécifiques qui ne sont pas forcément adaptées dans d’autres contrées. Au début, il n’y avait pas de technique universelle : chaque culture dispose de sa propre façon de survie. C’est à travers la migration que certains savoir-faire se transmettent et se personnalisent, et qui pourrait également s’ériger en une forme théorique pour en fluidifier l’apprentissage. La technique peut alors se développer en science, telle que l’ingénierie et la technologie le prouvent. Heidegger affirme ceci dans ses Essais et conférences : « Le dévoilement qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée ». En effet, la dualité entre sauvage et civilisé s’appuie sur une différence très subtile, car il n’est pas impossible que l’homme sauvage présente une forme d’intelligence nettement supérieure à celle de l’homme dite civilisée. C’est à travers l’intelligence que le critère d’humanité peut être accepté, ce qui met en second rang les représentations culturelles. Et pourtant, l’intelligence s’observe essentiellement dans la capacité à créer des outils, à la différence des animaux qui déploient uniquement leur potentiel naturel. Tant qu’il développe une intelligence, l’homme sauvage est tout à fait capable de défier différents aléas issus de son environnement. Cette idée est appuyée par cet extrait du livre Humain trop humain de Nietzsche : « Toutes ces activités s’expliquent si l’on représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d’observer diligemment leur vie intérieure et celle d’autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens ». Ce n’est pas la complexité de l’outil qui définit sa nature technique, mais la façon par laquelle l’homme le met en connexion avec son milieu pour résoudre un problème. Il est vrai que la technique fait partie des éléments qui constituent une culture, cela uniquement dans le sens où le savoir-faire a pris naissance, donc appartient à une communauté précise. Toutefois, la technique se manifeste non seulement par la création et l’usage d’un outil, mais en autant de manières que l’intelligence puisse guider le corps, ce qui est l’étape la plus importante du savoir-faire. « Avant la technique à instruments, il y a l’ensemble des techniques du corps », souligne Marcel Mauss dans son ouvrage sociologie et anthropologie.
L’homme est en mesure de gouverner le monde physique grâce à la capacité de son intelligence à modeler des outils techniques, et à se servir de son corps avec technicité. Toutefois, le monde des hommes ne se limite pas à sa dimension matérielle, mais se présente surtout dans son aspect social.
II) L’homme a besoin d’une considération sociale pour s’épanouir
Il est plus facile pour l’homme de vaincre les aléas climatiques que de résoudre les différentes pressions que son prochain lui afflige. La société est le foyer principal où se forment les conflits, ce qui suscite des problèmes interminables à cause des différents paramètres mis en jeu. Un individu se querelle avec son voisin parce qu’il pense que celui-ci est plus avantagé que lui dans une circonstance donnée. Il est donc inscrit dans la nature de l’homme d’avoir cette aspiration à la supériorité, et même les principes vertueux qui prêchent l’amour du prochain et l’humilité insinuent en réalité un dépassement de la masse en matière de sainteté. Comme le fait remarquer Alain dans ses propos sur les pouvoirs : « Le mot religion exprime même très mal cette pensée rigoureusement commune, ou mieux cette vie rigoureusement commune, où le citoyen ne se distingue pas plus de la cité que l’enfant ne se distingue de sa mère pendant qu’elle le porte dans ses flancs ». Bien que ce phénomène se présente dans le cadre individuel, il devient un problème social puisque tout un chacun voudrait se distinguer de la plèbe. Le rôle de la société est pourtant de pallier les différences entre ses membres, ce qui engendre une contradiction. Et pourtant, la plèbe se languit en admirant les personnalités qui réussissent et se sent opprimé de ne pas avoir pu accéder à ce niveau. Certes, une ascension sociale est indispensable pour se préserver contre les aléas du futur, car une bonne place dans la société ouvre les portes pour différentes opportunités. Une intention purement matérialiste est tout à fait légitime, sauf que la recherche d’un intérêt pour le plaisir de dépasser le reste du monde froisse la société. C’est pourquoi Cicéron écrit ceci dans son livre Les Tusculanes : « Par instinct en effet on cherche toujours ce qui paraît être un bien et l’on évite le contraire ; c’est pourquoi, dès que se présente l’image de quoi que ce soit qui paraît être un bien, la nature même nous pousse à essayer de l’atteindre ». Vivre dans une société harmonieuse, où règne le respect des droits et des libertés, procure un réel équilibre pour l’individu. Or, cet environnement paisible n’est pas à l’origine de son bonheur, puisque le fait d’être heureux provient également d’une considération positive de soi. La société pourrait bien tirer avantage de mes œuvres et créations, mais si je suis rejeté par les autres au rang d’un être inférieur, je ne trouverai aucun plaisir à exister. C’est pourquoi l’homme désire être reconnu : il a besoin de cette référence de la part de la société pour savoir qui il est. Or, le fait de plaire en même temps à la société et à soi-même est une mission très compliquée. « La possibilité de transférer les composantes narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail professionnel et les relations sociales qu’il implique, donne à ce dernier une valeur qui ne cède en rien à celle que lui confère le fait d’être indispensable à l’individu pour maintenir et justifier son existence au sein de la société », déclare Freud dans Malaise dans la civilisation.
L’homme est un être très complexe, ce qui se dévoile par une nature sociale et une vie individuelle, requérant des conditions et des objectifs très différents. Quels que soient les exploits de son intelligence qui pourraient profiter au reste de l’humanité, l’homme ne connaîtra pas le bonheur parfait.
III) Le progrès technique ne signifie pas absence de problèmes
La généralisation à laquelle se réfère le terme humanité dépasse les limites spatio-temporelles, et cela se traduit par ces progrès qui étaient l’œuvre d’un individu particulier, mais qui devient aussitôt celle de l’humanité. Par conséquent, il serait très délicat de préciser un objectif, un souhait ou encore un sentiment à quelque chose d’impersonnel. Ce sont les grands hommes qui définissent l’avenir de l’humanité en orientant le cours des événements par leurs œuvres et leurs décisions. Mais la plèbe, qui est désignée essentiellement comme l’humanité, subit tout simplement ces actions. Le progrès technique provient des efforts conjoints des scientifiques, qui réalisent leurs recherches dans la matière, et des capitalistes, qui financent massivement ces recherches pour s’abreuver ensuite des profits. Comme disait Merleau-Ponty dans son Eloge de la philosophie : « On n’explique rien par l’homme, puisqu’il n’est pas une force, mais une faiblesse au cœur de l’être, un facteur cosmologique, mais un lieu où tous les facteurs cosmologiques, par une mutation qui n’est jamais finie, changent de sens et deviennent histoire ». Nous vivons actuellement dans l’ère de l’opulence, où les besoins matériels sont assouvis avec une telle simplicité que cela devient une norme à suivre. L’avenir semble être assuré par cette production abondante suscitée par la technologie, mais le bonheur recherché par l’humanité ne repose pas malheureusement dans une assurance future à obtenir tout ce qu’on veut. Chaque civilisation a déjà connu leurs apogées respectives, comme les Egyptiens et les Babyloniens qui ont déjà prouvé leur savoir-faire, bien avant notre ère, en bâtissant des édifices intemporels. Cela dit, il s’agit d’une situation récurrente, mais qui ne soigne pas les frustrations internes vécues par la masse populaire. Ce passage des Cahiers pour une morale de Sartre évoque cette nature complexe de l’homme : « Je suis perpétuellement condamné à vouloir ce que je n’ai pas voulu, à ne plus vouloir ce que j’ai voulu, à me reconstruire dans l’unité d’une vie en présence des destructions que m’inflige l’extérieur ». Notre époque actuelle est particulièrement nourrie par le progrès technique, ce qui a transformé le paysage dans presque tous les pays du monde. Le progrès technique se présente alors comme un outil incontournable pour la survie dans une société moderne, mais il ne contribue pas au bonheur de l’individu, et encore moins de l’humanité. L’homme veut se démarquer de ses semblables, et l’efficacité de la technique en termes de survie ne le réjouit pas pour autant. Il veut une gloire que personne ne puisse arracher et qui ne s’est jamais produite auparavant : le progrès technique serait alors une étape à franchir comme beaucoup d’autres, mais qui demeure insuffisant. Ce passage des Essais de Montaigne nous enseigne pourtant ce que l’homme doit être : « Je propose une vie basse et sans lustre, c’est un tout. On attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée qu’à une vie de plus riche étoffe ».
Conclusion
La technique est la forme par excellence par laquelle l’intelligence humaine se dévoile, et un peuple est d’autant plus nanti que le degré de technicité de ses outils est élevé. La distinction entre la sauvagerie et la civilité, se basant des créations artificielles destinées à des buts représentatifs, est donc une définition incomplète. En vérité, la sécurité matérielle satisfait l’homme à un degré premier, mais il voudrait atteindre une satisfaction plus noble que les autres ne puissent rivaliser. Pour être vraiment heureux, l’homme veut être satisfait de soi-même : qu’importent la beauté et la perfection du monde extérieur, tant que cela n’a pas d’incidence sur ma personne. Les problèmes sociaux seront toujours présents, car la masse populaire ne peut être satisfaite des conditions dans lesquelles elle se situe. Le progrès technique ira toujours croissant, mais il reste à savoir s’il répond aux attentes de la société. Le progrès technique nourrit-il l’illusion de grandeur chez l’homme ?