Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Juger consiste à peser une action ou une situation dans un discernement de valeur. Ainsi, le jugement moral est l’ordre d’une conscience qui sait faire la distinction entre le bien et le mal. En ce qui concerne ces deux notions, elles couvrent souvent l’intuition dite universelle de la justice et de l’injustice. Ce qui laisse à penser que le bien et le mal sont une affaire de jugement. Or, la proposition devient complexe quand on remarque que l’acte du jugement est aussi un acte d’interprétation. C’est un acte d’interprétation, car le juste et l’injuste se définissent aussi dans les cas particuliers. Si par exemple les règles de notre société veulent incarner le caractère universel et impartial du bien par le devoir social ou le respect des lois, et celui du mal par le manquement à ce devoir, le tabou ou l’interdit, dès lors on est amené à penser qu’il ne s’agit aucunement de « peser », mais d’être conforme ou non aux règles. On peut ainsi vite comprendre que le souci de l’universel produit des règles de nature générale et peut donc manquer de justice dans les cas particuliers. Le principe de contradictoire apparaît ; comment la considération du bien et du mal a-t-elle besoin de jugement soit d’être interprétée alors que les deux notions prétendent à la distinction universelle ?
Partie I : Le bien et le mal se respectent par leur universalité
1. L’universalité du sentiment du bien et du mal
D’abord, partons de ce qui nous apparaît généralement comme évident. De prime abord, on reconnaît intuitivement le bien et le mal et que cette intuition serait partagée par tous les hommes. De là, s’érigent des philosophies qui veulent déterminer les fondements universels de la moralité. Nous avons par exemple des pensées comme celles d’Epicure qui proposent que le bien « c’est le plaisir que nous avons reconnu comme le bien premier et congénital, et c’est à partir de lui que nous commençons à choisir et à refuser ». En effet, il semble que nul ne peut nier le désir de son corps qui tend vers le plaisir ni sa rétractation à la douleur. Ces deux sensations semblent être les fondations primitives de la moralité, elles fondent l’empathie, qui est cette reconnaissance de l’autre comme un être semblable à soi dans le plaisir et la douleur. On peut critiquer la théorie d’Épicure par l’argument que malgré tout, certains trouvent du plaisir dans la douleur des autres et que les masochistes en trouvent même dans leur automutilation. Toutefois, on ne peut négliger l’effort de fonder l’impartialité du jugement moral par des fondations universelles.
2. L’objectivité des lois
Cet effort importe, puisqu’il fonde une société morale ou plus exactement une politique morale. La politique a toujours eu ce souci de la légitimité morale des pouvoirs de la souveraineté. Qu’importe les fondements du pouvoir politique, qu’il soit divin, naturel ou rationnel, ils ont toujours un caractère transcendant avec la nécessité d’instaurer des règles de conduite pour assurer la paix et la sécurité d’une société. Le caractère est transcendant, car le fondement veut se poser comme impartial. Le principe divin institue la sagesse absolue d’un saint ou d’un dieu, celui du naturel impose les causalités nécessaires et celui du rationnel ordonne par la seule autorité de la raison. On imprime formellement les lois pour d’une part établir des références de sorte que tous puissent les mémoriser et les reconnaître d’une manière objective et pour que nul ne puisse les ignorer. Puis, d’autre part, la formalité des lois normalise les lois, elle forme les lois à devenir une conscience collective de la justice. Même si l’intuition morale est innée, elle ne se développe pleinement que dans l’environnement social qui met à l’épreuve l’articulation de notre liberté à celle d’autrui. La réglementation de cette articulation par une ancienne génération prend la forme du Droit et celui-ci en retour, forme la conception de la justice d’une nouvelle génération. De cette manière, la reconnaissance objective du bien et du mal est pérennisée.
Le bien et le mal doivent être fondés comme étant universels en vue de l’impartialité. Si cette proposition a une efficacité politique, en a-t-elle pour autant dans la réalisation d’une justice qui rend compte de la situation dans laquelle la conscience est sommée d’interpréter ?
Partie II : Le particularisme de la justice
1. L’injustice de ce qui applique la justice
Il faut considérer que ceux qui sont à la charge de l’application des lois sont des hommes pareils à tout le monde qui ne sont pas toujours à l’abri de leurs sensibilités subjectives. Ces fonctionnaires sont mus par des inclinations intéressées, passionnées ou idéologiques. Ce qui peut embrouiller l’objectivité d’un effort de jugement dans l’exercice de leur fonction. Voltaire suppute ironiquement que « Si les lois pouvaient parler, elles se plaindraient d’abord des gens de loi ». On demande à ces hommes l’effort presque surhumain de la perfection morale dans l’obéissance inconditionnelle à leur devoir. Il est de notre devoir de désobéir à toute forme de corruption de la loi. D’un, il nous faut savoir nous-même interpréter les lois. La loi est certainement sacrée et nul n’est censé l’ignorer, mais si on a besoin de professionnels juridiques, c’est qu’il faut bien savoir examiner de quoi il est question dans leur prescription, de quelles situations sont encadrées dans un tel ou tel article du code civil. De deux, la désobéissance aux lois est nécessaire lorsqu’elles ne répondent plus à l’exigence morale qu’elles s’étaient auparavant tenues de défendre. Les lois pensent le « bien » dans l’intérêt général. Or, les législateurs sont des personnes moralement faillibles qui ont leur préférence comme toutes autres personnes. Ces préférences s’inscrivent culturellement dans leur propre classe sociale, à travers des cultes et des idéologies. Le penseur Karl Marx le rappelle justement, les lois sont encadrées par les classes dominantes qui ont eu accès à la souveraineté. La prospérité de ces classes est garantie en excluant celle des minorités.
2. Le problème concret de l’idée d’une universalité du bien et du mal
Ensuite, l’idée d’une universalité recèle un problème d’application concrète. L’universalité est dans son dépassement de la particularité qui est un détachement des conditions de cette dernière. Elle a pour raison l’idée d’impartialité soit, le fait d’éviter les erreurs d’un parti pris corrompu par la subjectivité intéressée. Cependant, l’abstraction formelle perd son rapport avec le concret qui se présente toujours dans les conditions particulières d’une situation. Une situation a des conditions particulières dans ses circonstances. Si par exemple l’universalité traite les hommes comme égaux, ils ne le sont pas dans les faits. Il faut considérer les handicaps naturels ou accidentels. Mais encore, les hommes ne sont pas égaux dans les situations qui les disposent différemment à un moment donné. Certains sont plus avantagés ou en désavantage que d’autres. Dès lors, il est insensé de traiter tous les hommes et leur situation de la même manière sous peine de ne pas être équitable. Kant nous dira que le fait de ne pas mentir énonce la motivation d’un devoir universelle, car il est rationnel. Il semble aussi que le bon sens nous dit généralement de ne pas mentir, ce serait ne pas donner aux gens, l’autonomie de décider par eux-mêmes de ce qui les concerne. Par conséquent, y aurait-il de l’empathie envers une personne dans un état physique et mentale critique à lui révéler une nouvelle qui pourrait l’achever ? La vraie justice en tant qu’elle doit-elle être ou ne pas être proportionnelle à la particularité des cas ?
L’équité est importante au même titre que l’impartialité. D’où l’importance de considérer que la conscience morale en tant qu’elle est le signe de notre autonomie pour dépasser la contradiction entre la considération de la morale universelle et celle de morale subjective.
Partie III : L’autonomie du jugement moral
1. L’observation des droits de l’homme
Les règles sociales ne représentent pas toujours la vision humaniste du bien. Les règles sociales en tant qu’elles qui sont de nature politique, et par analogie de la préservation de la société, répondent à des conditions historiques. Ces conditions historiques peuvent être des raisons économiques, militaires ou idéologiques. Or, ce qui en découle comme normes sociales, ne respecte pas toujours les aspirations humanistes comme la liberté fondamentale de l’expression. L’esclavagisme et l’Apartheid n’ont pas été condamnés d’une façon presque unanime. Les réformes communistes étaient formidablement propices à l’économie chinoise, au détriment de la liberté individuelle. Mais plus fondamentalement, quand on ne discute plus des fondements de la légitimité des règles, celles-ci vont au fur et à mesure former des structures performantes à l’instar du langage juridique courant et qui établiront d’une manière culturellement durable des conceptions de la justice.
2. L’autonomie morale rationnelle
Que le bien et le mal soient subjectifs d’une manière équitable par la considération de la particularité et la proportionnalité de la justice, ou universels par le respect de la dignité humaine dans la liberté de l’homme, on a un devoir moral à les poser comme indépendants à la seule obligation extérieure, mais seulement de répondre à la rationalité. Le jugement moral doit partir de notre réflexion rationnelle et non de la contrainte extérieure produite par la peur des sanctions ou par le souci d’une équité qui risque en fin de compte de discriminer. Cette disposition morale est importante, elle met à l’œuvre cette faculté propre de l’homme qu’est l’autonomie rationnelle. Les hommes ne sont pas des animaux asservis à coup de fouet ou par la menace de leur vie. Les hommes ne sont pas des automates programmés de sorte qu’ils agissent seulement et nécessairement par des fonctions internes et non par des règles. Les règles ont été érigées comme des prescriptions. Elles sont à observer dans le sens d’être à penser. C’est pourquoi leur généralité dans leur application concrète doit être mesurée équitablement en fonction de la particularité des cas par l’interprétation du juge. Le souci d’équité doit également respecter sa rationalité afin de ne pas se verser dans la discrimination. L’équité est un mot facile tel les minorités oppressées tentant de renverser la situation dans une surcompensation de leur oubli. Il y a un risque de surcompensation quand les réclamations deviennent invasives et veulent déterminer une nouvelle culture oppressive. Dans ce cas, l’idée d’équité renforce accidentellement la division. La rationalité exige que l’équité respecte l’intérêt général d’une société certainement hétéronome, mais harmonieuse.
Conclusion
Nous avons établi comme problématique principale la nature intuitive de la considération universelle du bien et du mal nécessitant le besoin d’être interprétée par le jugement. Dans la résolution de cette contradiction, nous avons cheminé à travers les propositions suivantes. On a remarqué avec une certaine évidence que le bien et le mal se respectent par leur universalité. La nécessité de l’universalité et de l’impartialité, est la référence objective que la formalité des lois sera incarnée efficacement. Cependant, si les lois sont le perfectionnement d’un idéal, elles ne sont pas à l’abri des particularités concrètes de la faiblesse humaine et des conditions d’une situation. Ce sont des particularités qui peuvent omettre notre capacité de discernement et donc de l’application équitable de la justice. Si les lois veulent fonder un bien et un mal universel, c’est qu’elles ont des priorités politiques. Or, les conditions historiques d’une société conditionnent moralement la politique de la législation de sorte qu’on peut s’indigner du non-respect de la dignité humaine. La surestimation d’une équité qui ne mesure pas l’intérêt général est tout aussi dangereuse. Par conséquent, il faut observer ce qu’il y a de plus important dans le jugement moral et qui n’est autre que la faculté de l’autonomie rationnelle. Il s’agit simplement de penser par soi-même.