Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Chacun peut émettre une théorie simpliste concernant la beauté, à travers l’expérience qu’il a pu faire au quotidien face aux objets jugés beaux. Sans être un artiste, l’homme du commun connaît par intuition le concept de la beauté, et prétend même évaluer les œuvres d’art de manière impartiale. L’artiste, de son côté, vit toujours et déjà à travers ses œuvres, tandis que son esprit est plongé constamment dans le monde de la beauté. L’artiste s’investit essentiellement dans sa production telle qu’il se laisse emporter par son inspiration, sans nécessairement en déduire une théorie sur ce qu’est le beau. Et pourtant, « l’homme ne peut décider que par une appréciation de valeur, d’une valeur particulière qu’il appelle le beau », disait Huyghe dans son ouvrage Dialogue avec le visible. L’on constate que le beau intervient dans le quotidien des mortels, et particulièrement chez les personnes non-initiés à l’art. Cela implique que le concept de beauté peut également être compris en dehors du domaine artistique, tel qu’il est suggéré par la nature par exemple. Étant une réalité indubitable, ce concept se présente donc en permanence à l’esprit humain, ce qui amène le philosophe à se questionner sur le beau. En se posant cette problématique, l’art peut avancer de nombreuses réponses à ce sujet, sans pour autant négliger les apports du public quant à l’appréciation des œuvres d’art. Ceci étant, peut-on penser le beau en dehors de l’art ? La résolution de ce questionnement se fait alors en trois parties : premièrement, nous expliquerons l’art en tant qu’activité productrice d’œuvres belles ; deuxièmement, nous nous référerons sur l’idée du beau, qui peut être compris en dehors d’une référence artistique ; et troisièmement, nous en déduirons sur la relation intrinsèque entre le beau et l’art.
Partie 1 – L’art est un substrat essentiel de la beauté
Parmi les choses créées par l’homme, l’art est celui qui vise principalement la production de la beauté. Se déployant à travers une matière tangible et sensible, les œuvres de l’artiste sont jugées par leur capacité à plaire à l’esprit, c’est-à-dire par la procuration d’une satisfaction sans qu’elles soient destinées à un usage précis. À la différence d’un outil, l’œuvre d’art doit son existence par la simple beauté, une beauté dont la perception commence par la sensibilité. Comme le disait Kant dans la Critique de la Raison pure : « La capacité de recevoir des représentations grâce à la manière dont nous sommes affectés par les objets, se nomme sensibilité ». Ainsi, l’œuvre affecte les sens de celui qui l’apprécie, et sa satisfaction est liée à cette matérialité. Force est de constater que l’art est une création humaine, création nourrie par une imagination et une certaine représentation du monde. La beauté de l’œuvre qui en découle n’est pas ce schéma de l’esprit en lui-même, mais la manière selon laquelle l’artiste a pu imprimer cette forme dans une matière. C’est ce qui distingue cette activité des autres manifestations de la raison, où ces derniers se limitent en des représentations symboliques. Bergson précise dans Le Rire : « L’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité ». Mais quelle est cette réalité que l’art voudrait nous faire découvrir, si ce n’est autre qu’il y a une beauté non dite dans le monde ? Un objet beau est donc ce qui plaît par lui-même, sans attendre une validation extérieure provenant des autres disciplines productrices de sens. Cette beauté est en effet masquée par la nécessité du quotidien, qui se préoccupe de toutes les formes de conservation de la vie. Ainsi, le beau se prête à une certaine liberté d’expression, c’est-à-dire dépourvue de lois nécessaires. En effet, l’art n’invente pas le réel, il le dit et le fait découvrir à travers une représentation matérielle. Le réel n’est pas beau en soi, c’est l’art qui lui inculque cette beauté à travers la représentation qu’il fait de lui. Nietzsche emprunte ces termes pour décrire l’art dans son ouvrage La Volonté de puissance : « L’art est par essence affirmation, bénédiction, divinisation de l’existence ».
Le précédent paragraphe nous a expliqué que l’idée de beau provient de l’activité artistique, notamment à travers l’existence matérielle de l’œuvre. Cependant, le sens du mot « beau » peut s’attribuer à des objets qui ne sont pas artistiques. Le paragraphe suivant sera alors une argumentation sur le concept transcendantal du beau.
Partie 2 – Le concept de beauté est issu d’un jugement de l’esprit
S’il est admis que la beauté caractérise l’œuvre d’un artiste, il importe de préciser certaines situations où l’on nomme des objets beaux, comme par exemple, la structure symétrique d’une chaîne de montagnes, ou encore les lumières d’une ville vue de loin pendant la nuit. Ces situations montrent que des réalités non fournies par les mains de l’artiste affectent également notre sensibilité. La nature ou encore l’harmonie visuelle dans un espace réveillent en nous ce concept de beauté, qui est cette fois-ci le monde lui-même, et non pas la représentation du monde. Cela dit, référons-nous au propos de Saint Thomas tiré de l’ouvrage Somme théologique : « La beauté consiste en un certain éclat et en une juste proportion. Ces deux éléments ont leur racine dans la raison, et dont la fonction est d’apporter la lumière et d’établir entre les choses une juste proportion ». En étudiant de près la formation de ce concept, on peut établir un fondement rationnel et universel sur le jugement des choses qui se prêtent à notre sensibilité. En d’autres termes, il existe des similitudes entre les jugements de différentes réalités, c’est-à-dire une faculté de la raison qui réunit ces multiplicités pour avoir une clarté sur le concept de beau. Il s’agit donc d’une unité de concept, qui peut s’appliquer sur une grande diversité d’objets. Par conséquent, l’esprit a la faculté de juger les objets comme étant beaux, et chaque individu est en droit d’apporter sa propre appréciation esthétique, qui peut par la suite être soumis à des critiques raisonnables. Car « est laid tout ce qui n’est pas dominé par une forme et une raison », disait Plotin dans ses Ennéades. Ce passage embrasse donc les jugements multiples concernant le beau, pour les soumettre à un canevas sûr dans le domaine de l’esthétique. Soulignons cependant que l’œuvre d’art n’est pas de même nature que le monde naturel ou artificiel conçu par l’homme, bien que le langage et l’esprit humain aient le pouvoir de désigner ces réalités comme étant beau. L’art diffère des autres choses matérielles selon leur cause finale, ce qui n’altère en rien le concept transcendantal, c’est-à-dire a priori, du beau. Leur différence repose également dans le fait que l’art est une représentation, alors que le monde réel est déjà ce qu’il est. Pour désigner en des termes justes cette activité qui consiste à penser le beau, employons cette définition émise par Hegel selon laquelle « L’esthétique a pour objet le vaste empire du beau ». En somme, bien que le beau puisse s’attribuer à diverses réalités, notre jugement esthétique a besoin de cette directive de la raison.
La beauté est un mot utilisé dans le langage courant et est attribué à des réalités auxquelles nous avons affaire au quotidien. Derrière cette acceptation habituelle se cache un sens profond qui relève du domaine de l’esthétique. L’art est le substrat du beau, et le beau lui-même est le domaine d’investigation du philosophe de l’art.
Partie 3 – Le beau est le produit d’un jugement esthétique et non d’une activité matérielle
Créer une œuvre d’art est une chose, la juger sur le plan esthétique en est une autre. Affirmer que le beau est un produit de l’art, c’est poser au préalable que l’art, en tant que création de l’artiste, est la seule forme de beauté qui se présente à notre sensibilité. Rappelons cependant que le beau est une idée qui maintient son sens conceptuel même si nous ne sommes pas en présence d’une chose matérielle. Platon disait d’ailleurs dans le Phèdre : « Une intelligence d’homme doit s’exercer selon ce qu’on appelle Idée, en allant d’une multiplicité de sensations vers une unité, dont l’assemblage est acte de réflexion ». Ainsi, une œuvre d’art donnée dans sa matérialité, est une représentation particulière du beau, un exemple parmi tant d’autres de ce qu’est le concept de beauté. Pour se faire valoir en tant qu’art, l’œuvre de l’artiste doit donc être belle, c’est-à-dire affecter notre sensibilité. Nous serions alors tentés de penser que l’art produit le beau, car toutes les œuvres sont nécessairement belles. Cependant, rappelons que l’art est une expression de manière esthétique, c’est-à-dire une forme de langage, mais n’a pas pour objet le beau. Et en tant que langage, « l’œuvre d’art est déterminée par un ensemble qui est l’état général de l’esprit et des mœurs environnantes », disait Hippolyte Taine. Pour des personnes étrangères à une forme particulière d’art, elles restent insensibles face à cette expression et n’y trouveront aucunement une certaine forme de beauté. Tant que le sens qui accompagne cette sensibilité n’est pas encore dévoilé à un esprit éclairé, l’œuvre demeure muette devant ce public. Pourtant, cette création parle bel et bien aux yeux de l’artiste, selon le langage qu’il s’est proposé d’émettre. Le produit de l’art est donc cette matérialité enveloppée d’une forme de beauté, mais n’est pas le beau lui-même. Pour une meilleure compréhension, prenons les propos de Sartre dans Critique de la raison dialectique : « Par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement : les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire ». Tel est également le cas des œuvres d’art : l’artiste a la liberté de créer selon les formes que son imagination lui laisse prétendre, sans que le résultat soit une nécessité. Il a également le pouvoir de supprimer une œuvre, tout en conservant l’idée qui l’ a inspirée pour en créer d’autres.
Conclusion
En somme, une œuvre d’art se constitue à travers un support matériel, ce qui se distingue par la beauté et la représentation qu’il véhicule. Cela signifie que l’art n’est pas une activité purement spéculative, mais nécessite une création tangible par laquelle on reconnaît l’artiste. Le produit de l’art est donc cette œuvre qui se donne à saisir à travers notre sensibilité. Or, si la beauté est le propre de l’art, l’on constate que nombreuses sont les réalités qui s’attribuent le qualificatif de beau. Il ne s’agit pas d’une hiérarchie de beauté, mais plutôt le signe que le beau est une notion applicable dans la vie quotidienne, et qui a un sens dans le langage courant, et ce, même en dehors de la philosophie de l’art. En nous posant la question sur les fondements de ce concept, nous en déduirons que le beau est une idée obtenue par une synthèse de l’esprit face aux diverses représentations. Devant une belle œuvre d’art, nous ne pouvons saisir cette beauté si nous n’avons pas en nous cette capacité de réflexion pour saisir l’unité de ce concept. Le beau ne demeure pas dans la matière fugace qu’est l’œuvre d’art, mais plutôt dans la forme de la représentation. Tout compte fait, l’art n’est pas une activité qui produit le beau, mais qui tend vers la représentation du beau. Le beau n’est pas le produit de l’art, c’est plutôt cette idée qui éclaire intérieurement l’artiste lors de ses créations, et qu’il révèle par conséquent à travers ses œuvres. L’art n’est pas une forme pure, il a besoin de la matérialité pour s’exprimer. Notre esprit, par contre, a le pouvoir de conserver en lui l’idée du beau même si le monde se transforme en un désastre apocalyptique. Ainsi, le génie de l’artiste est conditionné par divers facteurs sociaux et culturels, et il en est de même pour les amateurs et les critiques de l’art. Etant donné que les œuvres d’art diffèrent autant qu’il y a d’artistes, peut-on alors parler d’universalité dans le domaine de la beauté ?