Dissertations

L’art peut-il manifester la vérité ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La société et l’artiste ne sont pas toujours en phase dans leur manière de voir les choses, alors qu’ils sont obligés de se côtoyer. C’est pourquoi la censure devient une réalité incontournable dans le monde médiatique et artistique, ce qui est en partie légitime de la part de la société. En réfléchissant véritablement sur le produit de l’artiste, sa liberté de création change notre perception, de sorte que tout ce qui provient de son imagination est nécessairement légitime. « Car s’il est certain que celui qui se contredit a tort, il n’est nullement prouvé que celui qui l’a convaincu de ce seul crime contre la loi du discours ne soit pas également fautif, avec ce seul avantage, tout temporaire, qu’il n’en a pas encore été convaincu », affirme Eric Weil dans Logique de la philosophie. Rappelons qu’une œuvre d’art est un discours sur le réel, quant à sa vérité, chacun a son mot à dire. Peut-on exiger de l’art qu’il modifie son discours afin qu’il se rapproche de la définition de la vérité ? Cette problématique mérite d’être traitée à travers trois paragraphes : le premier décrira le caractère libre de l’art pour réaliser la beauté ; le second expliquera les critères de la vérité à l’intérieur de la science et de la philosophie ; et le troisième conclura que l’art n’a pas pour rôle de manifester la vérité, mais n’est non plus une illusion.

I) L’essence de l’art est de créer le Beau

Parmi toutes sortes de langages que l’homme a créé, c’est l’art qui présente une particularité frappante, par le fait qu’il ne suit pas une formule dictée par la raison. Et pourtant, il est tout à fait compréhensible pour ceux qui se laissent emporter par les sensations et les sentiments qu’il procure. Il est donc tout à fait possible de définir le beau en synthétisant certains critères, sans pour autant certifier que nous rencontrerons ces mêmes notions dans les prochaines œuvres qui seront créées. Cela dit, cet essai de compréhension n’est pas véritablement utile dans la création proprement dite, mais seulement une manière de satisfaire la pensée. L’imaginaire, écrit par Sartre, contient ce passage : « Mais à son tour, l’imagination devenue une fonction psychologique et empirique est la condition nécessaire de la liberté de l’homme empirique au milieu du monde ». Et c’est d’ailleurs le propre de la création artistique, non pas de fournir une définition du Beau et de s’y conformer, mais plutôt de faire jaillir la beauté en des formes les plus authentiques sans se référer préalablement à des concepts. Il est vrai que l’artiste doit acquérir quelques techniques de base pour réaliser son œuvre, or ce savoir-faire servira par la suite à améliorer la créativité. Autrement dit, si la technique appliquée dans l’art présente des règles, il n’est pas impossible que ces dernières soient enfreintes, pour donner un résultat qui sera parfaitement légitimé. L’absence de règle dans le domaine artistique, que ce soit pour la technique utilisée ou dans le thème ou l’objet à représenter, aboutit à une forme caractérisée par la beauté. Voici une explication fournie par Theodor Adorno dans Quasi una fantasia : « On nomme « interprétation », en musique, l’exécution qui, globalement, conserve la similitude avec le langage, tout en gommant dans le détail tout ce qui présenterait cette similitude ». Dans cet extrait, le caractère improvisé de l’art est particulièrement souligné, dans le sens où il ne s’agit pas d’une copie toute simple, mais d’une transformation en une forme plus belle. La création ne se fait non plus à partir de rien, au contraire un artiste illustre se réfère toujours à un prédécesseur, à un style qui l’a particulièrement inspiré et à un objet concret en guise de modèle. Cela dit, nous pouvons comprendre une œuvre d’art parce qu’il a déjà existé autre chose qui nous fait rappeler de quoi il s’agit. Nous reconnaissons également le fait qu’elle est d’une beauté remarquable parce que nous avons comparé en quoi la forme artistique diffère des autres représentations ordinaires. La création artistique possède un sens justement pour cette référence à la réalité, mais aussi par sa manière de s’imposer par sa beauté face à la banalité quotidienne. Comme disait Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation : « Et cet objet particulier, qui n’était dans le courant des phénomènes qu’une partie insignifiante et fugitive, devient pour l’art le représentant du tout, l’équivalent de cette pluralité infinie qui remplit le temps et l’espace ».

La beauté des œuvres d’art s’obtient par le mouvement libre de l’artiste face au monde extérieur, et sa capacité à exploiter sa technique par l’invention de ses mains et de ses outils. Les autres disciplines se réfèrent également à la réalité, mais emploient un langage qui voudrait épouser son objet.

II) Le critère de la vérité se reconnaît dans le langage scientifique

C’est un critère primordial qui gouverne également notre expérience au quotidien, puisque la vérité n’est pas seulement applicable sur les propositions que nous émettons, mais aussi un moyen pour désigner le monde avec exactitude. Ainsi, c’est notre faculté de connaître qui pose la vérité comme une règle pour tracer notre démarche intellectuelle : elle intervient donc dans la manière de réfléchir, et valide à la fin le résultat de la recherche. La science a donc créé un langage qui est de même nature que la pensée, ce qui suppose en même temps que l’objet puisse être décrit par celui-ci. En d’autres termes, afin qu’il y ait coïncidence entre le langage et l’objet, il faut accepter l’hypothèse selon laquelle l’objet se présente comme étant rationnel. Comme disait Kant dans sa Critique de la raison pure : « Si la vérité consiste dans l’accord d’une connaissance avec son objet, il faut, par là même, que cet objet soit distingué des autres ; car une connaissance est fausse, quand elle ne concorde pas avec l’objet auquel on la rapporte, alors même qu’elle renfermait des choses valables pour d’autres objets ». Cela signifie qu’une connaissance fait intervenir nécessairement un objet et un concept, et que la relation entre les deux est caractérisée par la vérité. On peut alors dire que la vérité est une notion principale qui conditionne tout discours sur le réel, et pour savoir si nous sommes dans le vrai, il suffit de confronter l’objet et le concept. Mais à l’intérieur du discours, c’est à travers la rationalité que nous pouvons juger par nous-mêmes la pertinence de notre démarche. Etant donné que l’objet ne parle pas, mais c’est notre rôle de le signifier, nous n’avons donc aucune directive préalable pour mettre en parallèle le contenu de l’objet et le langage de notre pensée. C’est ainsi qu’intervient la raison, qui est un guide infaillible pour pouvoir formuler un discours cohérent dans sa forme, et capable de rendre compte de l’objet. Dans La connaissance de la vie, Georges Canguilhem annonce : « Si la connaissance est analysée, ce n’est tout de même pas pour en rester là. Décomposer, réduire, expliquer, identifier, mesurer, mettre en équations, ce doit bien être un bénéfice du côté de l’intelligence puisque, manifestement, c’est une perte pour la jouissance ». Ainsi, la rationalité se dévoile également dans le monde concret, qui sera comprise comme étant la vérité en acte. Sans la vérité, notre existence deviendrait une pure facticité qui chavirera au gré des différents phénomènes, sans que nous puissions avoir le contrôle sur ces derniers et sur nous-mêmes. En effet, la vérité n’a pas été créée tel un outil : au contraire, c’est le canon qui permet de créer tous les autres outils, qu’ils soient matériels ou conceptuels. La vérité nous permet donc d’accéder au cœur des phénomènes, tels qu’ils se manifestent réellement par leur rationalité. « La nature se révèle comme Logos dans le langage de l’homme, et l’esprit qui ne fait qu’apparaître d’une façon contingente dans le visage et la forme humaine trouve seulement son expression parfaite dans le langage », constate Jean Hyppolite dans Logique et existence.

Le langage scientifique est de même nature que la pensée rationnelle, et décrit le monde en laissant apparaître la vérité même de ce langage. Pour l’art, il est tout sauf rationnel, et sa vérité ne repose sur aucun critère universel, mais se rapporte toutefois à un objet réel à travers la sensibilité.

III) L’art décrit le monde à sa manière

L’art est un dédoublement de la réalité, son langage n’est pas du domaine de l’idéal, il est concrétisé dans la matière. L’artiste peut toujours penser son œuvre avant de le réaliser, mais l’imagination n’est pas encore de l’art. Autrement dit, l’artiste et l’amateur d’art souhaitent inconsciemment que l’imaginaire réalisé dans l’œuvre devienne le monde tel qu’il est. En effet, rien ne nous empêche d’adopter cette représentation et de l’ériger comme celle qui nous convient, et nous pouvons légitimer celle-ci en dessus de toute autre représentation. Cette idée est illustrée par cette citation de Sigmund Freud : « L’artiste est originellement un être, qui s’écarte de la réalité, parce qu’il ne peut se familiariser avec le renoncement à la satisfaction des pulsions que la réalité exige avant tout, un être qui dans le domaine de l’imagination laisse libre cours à ses désirs érotiques et ambitieux ». La pensée étant l’entité la plus libre que nous ayons à notre disposition, elle est également apte à donner raison à nos propres visions des choses, comme dans le cas de l’art. Cependant, ce qui a été créé par l’art serait de l’apparence, de l’illusion, une copie frêle du monde pour exhiber davantage de beauté. Toutefois, nous pouvons délimiter à l’avance qu’il s’agit d’un acte intentionnel qui ne vise pas à tromper, et dévoile clairement la distance entre l’objet et son image. Et une fois que l’artiste a achevé une création, celle-ci n’a plus de compte à rendre à son modèle : la création obtient désormais un statut à part entière. « Nous savons que la réalité vraie existe au-delà de la sensation immédiate et des objets que nous percevons directement. C’est donc bien plutôt au monde extérieur qu’à l’apparence de l’art que s’applique le qualificatif d’illusoire », souligne Hegel dans son Esthétique. Nous désignerons l’art comme une apparence ou une illusion aussi longtemps que nous nous référons encore à l’objet original, de sorte que l’œuvre ne lui ressemble pas, ou tout simplement elle n’est pas l’objet original. Quant à la question de la vérité, il est clair que chaque création artistique dévoile son propre langage, ce qui ne répond pas au critère d’universalité caractérisant la science ou la philosophie. Dans le domaine de l’art, la vérité du discours repose donc sur la relation de l’objet avec sa représentation, mais cela ne constitue en rien une connaissance. Cela se traduit par cet extrait de Signes de Merleau-Ponty : « Au contraire la parole vraie, celle qui signifie, qui rend enfin présente l’ « absente de tous bouquets » et délivre le sens captif dans la chose, elle n’est, au regard de l’usage empirique, que silence, puisqu’elle ne va pas jusqu’au nom commun ».

Conclusion

Autrement dit, le Beau se conçoit comme quelque chose de surprenant et d’inattendu, d’abord pour les sens, après pour l’esprit. Les créations de l’artiste précèdent la définition du Beau, c’est parce que les œuvres d’art ont existé que nous pouvons penser cette idée. En effet, il n’y a pas de beauté qui soit une pensée pure : elle doit se manifester dans la matière pour être saisie par les sens. Par contre, la vérité est une notion d’une utilité telle qu’elle conditionne la connaissance du monde, nos relations avec autrui et même la conservation de notre espèce. Une fois la vérité exprimée dans la trame du langage, elle doit également faire ses preuves dans le concret, non plus comme des relations conceptuelles, mais comme un outil au service de mon quotidien. L’art crée donc un monde à part qui est constitué par les œuvres existantes, et ce qui nous influence par la suite à penser le monde réel à travers cette nouvelle perception. Mais c’est un langage qui engendre en même temps l’objet dont il parle ; si nous souhaitons évaluer sa vérité, il se valide par lui-même. La beauté d’une œuvre d’art se démontre-t-elle ?

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Toute La Philo

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