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La société peut-elle contraindre l’homme à travailler ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Il n’est pas besoin d’illustrer par un cas vécu pour se convaincre que vivre seul n’est point agréable pour l’homme ; même les sectes religieuses qui prônent l’ascèse choisissent encore de vivre en communauté. La raison est simple : il serait difficile de combler les besoins de l’homme, même les plus élémentaires, s’il le faisait par lui-même. Ainsi, le désir de vivre avec mes semblables suppose indirectement vouloir profiter des fruits du travail d’autrui, ce qu’il m’a été impossible de réaliser. Il s’agit alors d’une relation gagnant-gagnant, et il paraît que personne ne se ferait prier pour produire plus afin de pouvoir vendre davantage. Comme disait Hobbes dans le citoyen ou les fondements de la politique : « Il en faut donc en venir là, que nous ne cherchons pas de compagnons par quelque instinct de la nature ; mais bien pour l’honneur et l’utilité qu’ils nous apportent ; nous ne désirons des personnes avec qui nous conversions, qu’à cause de ces deux avantages qui nous en reviennent ». Mais il est des cas où certaines initiatives individuelles prônent l’idée de se complaire dans l’oisiveté, un choix de vie qui est favorisé par un statut particulier. Le fait de bénéficier d’une même qualité de vie qu’un travailleur, mais en ne travaillant pas, serait alors un luxe auquel l’homme aspire. Est-il légitime de réclamer le droit de ne pas travailler sans nuire à la vie d’autrui ? Afin de répondre à ce questionnement, nous établirons une analyse en trois paragraphes : premièrement, la vie économique d’une communauté est conditionnée par les différentes ressources disponibles ; deuxièmement, il est moralement inacceptable de vivre aux dépens des efforts d’autrui ; et troisièmement, il est tout à fait légal que la société fasse travailler ses membres actifs.

I) Une société détient un potentiel économique déterminé

Un individu exerce généralement un métier qui est favorisé par l’abondance des ressources sur le territoire, ou via un savoir-faire issu d’un héritage ancestral. Il en est de même pour les questions de rentabilité : dans un village ou un pays, un secteur particulier est nettement plus onéreux que les autres, ce qui fait migrer les opérateurs vers ce commerce florissant. Plus un individu ou une communauté est particulièrement doué pour un métier, plus ils voudront s’y spécialiser : leurs produits seront alors plus compétitifs, avec un rapport qualité prix des plus concurrentiels. David Ricardo, dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, explique : « Les choses, une fois qu’elles sont reconnues utiles par elles-mêmes, tirent leur valeur échangeable de deux sources, de leur rareté, et de la quantité de travail nécessaire pour les acquérir ». Le travail, la création d’entreprises et surtout la distribution des richesses s’exercent alors dans le cadre de lois et de décrets les régissant. Notons qu’il existe des pays où la libre entreprise n’est pas permise, ce qui est substitué par une gestion via l’appareil d’Etat. Il est également des métiers qui sont formellement interdits sur un territoire, alors qu’ils rapportent énormément de revenus pour toute la communauté. Ces différentes conditions sont en effet stipulées sur la base d’impératifs moraux, ou tout simplement de la marge de liberté octroyée aux individus. Ainsi, certains pays demeurent pauvres tout en possédant des ressources intarissables dans leur espace géographique, et d’autres qui s’en sortent avec très peu de moyens. Cette thèse rejoint ce passage de L’avenir d’une illusion de Sigmund Freud : « On acquiert ainsi l’impression que la civilisation est quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition ». Ainsi, un individu choisit librement de travailler compte tenu des avantages personnels que cela engendre, notamment en termes de gain, de prestige et de sécurité. Il s’agit alors d’un choix conditionné, mais les conditions elles-mêmes présentent plusieurs atouts pour l’ascension économique de la communauté, si elles sont sagement exploitées. Travailler devient alors une seconde nature pour l’homme, et pour preuve il crée lui-même des institutions dédiées ainsi que des lois pour gouverner ces échanges. Et surtout, il en fait également une science, afin de comprendre et donner du sens à ce mécanisme, et d’anticiper l’évolution des échanges dans tous les territoires concernés. Cela signifie que le travail se meut principalement à l’intérieur de l’économie, où nous allons emprunter cette définition de John Stuart Mill issu du Système de logique déductive et inductive : « L’économie politique étudie les faits sociaux qui se produisent en vue de l’acquisition de de la richesse et a intérêt à considérer le genre humain comme occupé uniquement de l’acquisition et de la consommation de la richesse ».

Les préférences personnelles en termes de métier sont donc influencées par certains modèles largement véhiculés dans une communauté ou dans une famille. Cependant, la société n’est pas un simple observateur : elle fait intervenir les règles de la morale pour réguler la sphère économique, et dans la même foulée le monde du travail.

II) Les mœurs réprimandent fortement l’oisiveté

Il est vrai que le système économique s’est formé à travers le concours des divers intérêts particuliers, souhaitant acquérir un gain par le travail. Mais puisque les caprices humains sont tellement imprévisibles, nombreux sont ceux qui choisissent, par pure conviction, de ne pas travailler et de vivre aux dépens d’autrui. L’interprétation en est que cet individu n’aurait pas la bonne volonté de contribuer au bon fonctionnement de la société, en faisant un apport ne serait-ce que minime pour le bien de tous. En effet, un chômeur n’est pas capable de subvenir à ses besoins par lui-même, donc incapable non plus de fonder une famille et de l’entretenir. Et pourtant, voici un passage du Catéchisme positif d’Auguste Comte, stipulant les exigences pour un vivre en commun harmonieux : « Ces êtres dégradés, qui n’aspirent aujourd’hui qu’à vivre, seraient tentés de renoncer à leur brutal égoïsme s’ils avaient une fois goûté suffisamment ce que vous appelez si bien les plaisirs du dévouement ». Dans le cas étudié ici présent, nous excluons les personnes qui reçoivent de l’argent facile via des activités frauduleuses ou immorales : nous les considérerons tout simplement comme des travailleurs illégaux. Néanmoins, le problème que nous traitons repose essentiellement sur le chômage, qui est involontaire la plupart du temps. Sur le plan économique, on rencontre très souvent des chômeurs déguisés qui sont ignorés par les autorités, ou plutôt appréciés car fournissant une main d’œuvre bon marché. Pourtant, le jugement que la société porte sur ces personnes sans emploi se termine aussitôt en une marginalisation. En effet, l’appréciation de la société se base d’une part sur le cadre professionnel, et d’autre part sur le gain réel apporté par ce travail. Mettons cette affirmation en parallèle avec celle d’Alain, tiré de son livre Eléments de philosophie : « Le jugement est cette décision prompte qui n’attend point que les preuves la forcent, qui achève et ferme un contour par une décision hardi, tenant compte aussi de ce qu’on devine, de ce qui est ignoré, de ce que l’homme doit à l’homme ». Et même pour le cas des femmes au foyer, où elle est reconnue officiellement et respectée pour sa situation, il n’empêche qu’elle ne sera pas toujours à l’abri des besoins. On la conseille de faire des économies, de pratiquer quelques travaux manuels pour prévoir le budget familial. C’est une façon de dire que subvenir à la famille est un rôle masculin, mais la femme doit toujours paraître forte et active afin qu’elle ne soit pas pointée du doigt d’être entièrement entretenue. C’est pourquoi Kant, dans son Anthropologie du point de vue pragmatique, souligne : « Nous sommes le jouet de représentations obscures, et notre entendement ne parvient pas à se protéger des absurdités dans lesquelles leur influence le fait tomber, quand bien même il les reconnaît comme illusions ».

Les hommes s’investissent librement dans le monde du travail, mais se résigner à ne pas travailler est une pratique que la société désapprouve. Cela dit, le rôle de l’Etat est de faire en sorte que l’environnement économique soit favorable à l’emploi.

III) Le monde du travail doit être appuyé par des politiques de l’emploi

Dans les sociétés les plus archaïques, où le modèle économique en vigueur repose largement sur la position hiérarchique de chaque individu dans le groupe, le travail est organisé de sorte à faire vivre l’ensemble de la communauté. Étendue dans un espace géographique plus large et dans un contexte plus moderne, cette vision nécessite un plan d’action bien précis, tel qu’il est établi à l’intérieur des politiques économiques. L’Etat incarne en effet la volonté des individus à vivre dans la sécurité sur tous les plans, une situation qui ne s’obtient pas naturellement au sein d’une société. Ainsi, la régulation du travail devient alors capitale dans le sens où il active toutes les ressources économiques. Cette idée est illustrée par cette citation de Bergson : « Humaine ou animale, une Société est une organisation : elle implique une coordination et généralement aussi une subordination d’éléments les uns aux autres : elle offre donc, ou simplement vécu, ou de plus, représenté, un ensemble de règles et de lois ». Considérée comme une mission ordinaire de la part de l’Etat, la politique de l’emploi reflète en effet une vision selon laquelle il est souhaitable pour tout individu de posséder un emploi. Cela relève de la dignité humaine, et la société elle-même est tout à fait consciente de cette valeur qu’elle essaie à tout prix d’inculquer à ses membres. En dehors des politiques étatiques, elle véhicule indirectement des idéologies qui prônent la responsabilité et le dévouement envers les autres, ce qui passe par l’exercice d’un emploi décent et onéreux. Dans un Etat démocratique, la contrainte s’opère d’une manière plus subtile et élégante : il n’est nul besoin de déployer la force physique pour inciter les hommes à travailler. Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Jean Jacques Rousseau affirme : « C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants ». Force est de constater qu’une Nation devient malade une fois que l’emploi n’est pas réparti équitablement entre la population. Il est vrai que ce mal économique peut toucher temporairement une Nation puissante aussi bien qu’un pays pauvre, et lorsque le chômage devient généralisé, il est difficile de rejeter la faute sur l’individu. Mais dans un environnement économique sain, la société exige que ses membres participent à l’accroissement des richesses. L’honneur et le prestige qui découlent de la richesse proviennent également du jugement de la société, et ces attributs servent également de contrainte pour obliger les hommes à travailler. En tout cas, ces pressions indirectes sont tout à fait acceptées, comme disait d’ailleurs Aristote dans La politique : « Quiconque est incapable de vivre dans la société des hommes ou n’en éprouve nullement le besoin est une bête ou un Dieu ».

Conclusion

En considérant une profession qui est nettement plus rémunératrice que les autres, il n’est pas toujours possible pour un individu de l’exercer en fonction de diverses conditions géographiques ou institutionnelles. Parallèlement, l’Etat construit le modèle économique qui lui semble adéquat, tel qu’il est compatible avec le régime politique en place. Cependant, il existe des cas de chômage volontaire, peu fréquent certes et n’engendrant pas de véritables bouleversements sur l’économie du pays, or cela est très mal vu du point de vue des mœurs. Les conséquences de l’oisiveté sur le plan personnel sont non négligeables, de sorte que cet individu qui ne travaille pas devrait vivre aux côtés des autres mais qui devient par la suite une charge permanente pour aboutir à une situation intenable. Par conséquent, la société a tout à fait le devoir d’orienter ses membres dans la bonne voie, principalement à leur inculquer le goût du travail. L’individu a-t-il le droit de faire passer son travail au détriment des mœurs ?

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