Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Dans son sens commun, la responsabilité désigne le fait d’assumer ses décisions et ses actes. Quant à l’idée de bien, elle définit ce qui est moralement juste ; soit ce qui respecte le droit de chacun au nom de la justice. Il apparaît donc que la reconnaissance de ce qui est imputable à soi rend grâce à la justice et que la nature même de la responsabilité est de viser cette dernière. Toutefois, la responsabilité dans son sens juridique, n’est rien d’autre que l’obligation de répondre de ce qui est reconnu comme nos faits. Elle s’identifie alors au droit qui est un fait qui peut n’être que d’ordre normatif. Dès lors, rien n’est encore clairement décidé lorsque la responsabilité au sens juridique comme étant une obligation normative, peut n’être qu’un souci de formalité ou n’être que le produit de la peur des sanctions. Ainsi, nous avons une problématique complexe, celle de comprendre comment la responsabilité en tant que devoir de répondre de ses actes et qui place soi-même comme priorité, peut-elle avoir essentiellement à l’esprit la justice qui transcende le souci de soi ? Pour résoudre cette contradiction, il nous faut d’abord clairement développer les deux thèses opposées. Dans une première partie, nous essaierons de voir en quoi la responsabilité répondra essentiellement au souci de la justice. Dans une seconde partie, nous examinerons pourquoi la responsabilité peut n’avoir rien de moral. Enfin, dans une dernière partie, nous proposerons un dépassement à partir de ce qu’est véritablement le sens de la responsabilité.
Partie 1 : La nature morale de la responsabilité
1. La responsabilité comme conscience morale
À l’évidence, être responsable c’est admettre des faits qui se présentent à notre conscience morale. La conscience morale est la conscience de soi dans ses relations sociales. Cet éveil de l’esprit serait de nature intuitive en ce qu’il discerne d’une manière innée ou divine, le bien et le mal dans nos actes. Ce qui est intéressant est le fait qu’elle se présente souvent à nous sous le sentiment de la culpabilité. La « voix de la conscience » met ce que l’on considère comme immoral dans nos actes sous les projecteurs de notre réflexion. Ainsi, comme Kant le dit si bien : « ce tribunal que l’homme sent en lui est la conscience ». C’est cette faculté de reconnaissance de soi comme imputable à nos erreurs et le discernement du bien et du mal qui donne à la responsabilité toute sa dimension morale. Par ailleurs, cette faculté nous conjure à la réparation des torts ou à l’accomplissement de nos devoirs. Le sentiment de culpabilité est un puissant motivateur pour agir moralement. C’est un sentiment qui s’oublie difficilement et qui est couramment convoqué dans les cas qui rappellent les événements qu’on a regrettés. En effet, la conscience morale est intimement liée à notre liberté, une liberté dont la situation semble contradictoire dans le fait qu’elle nous oblige à choisir. Et qui, finalement, dans les mauvais choix nous martèle de manière impulsive ce qu’on aurait pu faire autrement, soit choisir la bonne voie.
2. La responsabilité comme le support de la justice de la réciprocité
Si la responsabilité sous-tend le devoir, elle est donc la base de cet idéal de justice où on doit rendre à chacun ce qui lui est dû et par conséquent l’intérêt général. Par exemple, un employeur doit à son employé un salaire conforme au travail de ce dernier et l’employé, un travail qui satisfait le montant de ce salaire. L’employeur est le responsable de la valeur de la rémunération et l’employé, de la qualité du service qu’il propose. Dans cet exemple, le souci de justice est le souci de l’objectivité du commerce équitable des échanges économiques. Plus généralement, la responsabilité maintient l’intérêt d’une société contractuelle harmonieuse par le respect du devoir et des droits. Les individus peuvent comprendre qu’un environnement de liberté absolue serait insupportable à cause de la nature égoïste des hommes qui n’hésitent pas à faire la guerre pour satisfaire leurs désirs et leurs besoins de survie. Ainsi, ils renoncent à l’idée de cette liberté naturelle qui serait en soi absolue et acceptent de se soumettre à une politique de rétributions équitables.
Si ce qui est bien est défini par la bonne conduite de la morale sociale, la responsabilité en est le support du fait de sa puissance motivatrice à réfléchir sur le bien et aussi de son sens de la justice sociale. Toutefois, on remarquera alors un problème, car si la responsabilité dans sa réciprocité est une condition sociale, ne peut-elle aussi n’avoir qu’un aspect normatif ?
Partie 2 : La nature normative de la responsabilité
1. La responsabilité comme un simple état de droit normatif
Tout d’abord, l’aspect du droit que revêt l’idée de responsabilité peut ne pas être essentiellement d’origine morale dans le sens où la morale exige de représenter l’universalité du bien qui en découle. Il faut savoir que la responsabilité a aussi un aspect normatif qui désigne simplement le droit de chacun. Le danger est en ceci que la responsabilité sous la forme du droit normatif n’est qu’une régulation sociale qui n’a aucune valeur morale. Sous cette forme normative, la responsabilité peut n’être qu’une répartition arbitraire des droits selon les législateurs et leurs motifs intéressés soit le cheval de Troie d’un agenda politique particulier. Par exemple, derrière les règles du Droit se cache la possibilité de principes coutumiers qui n’ont aucune valeur morale humaniste. Les droits qui régissent le statut et la condition des esclaves ; une situation qui semble être dans tous les cas de figures immorales du fait du non-respect de l’autonomie de la personne humaine. En ce sens, dans la perspective de la personne civile, le sentiment de responsabilité peut n’être qu’une accoutumance politique amorale.
2. Le souci de ses actes comme une contrainte
Mais encore, ceci nous amène à une autre interrogation. Du fait de son statut normatif, celui qui se soucie de sa responsabilité ne pourrait-il pas simplement avoir peur des sanctions qui découlent juridiquement du manquement au respect des règles de droit ? En effet, le contexte droit-responsabilité renferme un aspect coercitif. On rappelle que juridiquement le droit est une obligation. Cependant, on ne se demande pas toujours en raison de quoi certains droits sont légitimes ou non du fait de la sévérité des sanctions qui inhibent les envies de révoltes. Il arrive effectivement que la crainte de ces sanctions prenne le dessus sur leur doute, soit de la remise en question de leur validité morale en tant que politique de régulation d’une société rationnelle. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être rationnel, l’homme est avant tout un être vivant sensible à la douleur et à tout ce qui peut mettre en danger sa vie. D’où la puissance motivatrice des sanctions qui peuvent nourrir des sentiments de responsabilité , que cela soit explicitement par des raisons claires dans l’ordre de l’intérêt égoïste de sa personne ou implicitement par des pulsions inconscientes de survie.
L’aspect moral de la responsabilité est donc remis en question par son caractère normatif et contraignant. Parle-t-on dans cette perspective d’une véritable responsabilité dont les véritables enjeux dépassent les seules normes et le souci de soi ?
Partie 3 : Les enjeux éthiques de la responsabilité
1. La responsabilité comme dépassement des contraintes sociales
Revenons à cette origine de la responsabilité qu’est la conscience morale. Il est vrai que la moralité de cette conscience peut-être compromise par le sentiment de crainte ou faussée par des principes arbitraires. Néanmoins, on ne peut ignorer le fait que la conscience morale est le point de départ d’une réflexion autonome sur la moralité elle-même. La conscience morale est d’abord une prise de conscience de sorte qu’elle peut amener à la remise en question de la moralité de ses actes. Cette remise en question présente le sujet pensant à la réalisation de sa liberté. Une réalisation qui est une condition nécessaire à la morale, car elle ouvre sur l’autonomie d’une pensée qui, actuellement, pose ses droits et ses devoirs au lieu de simplement les respecter aveuglément. À cet égard, dans les fondements de la métaphysique des mœurs, la thèse kantienne de l’idée de postuler qu’« il n’y a qu’une qu’une seule chose qu’on puisse tenir pour bon sans restriction, c’est la bonne volonté ». Par la bonne volonté, Kant ne met pas l’accent du bien sur ce que l’on considère généralement comme les bonnes vertus, à l’instar de la générosité par exemple, car ces derniers ne sont avantageux que relativement à leur usage. Plutôt, Kant insiste particulièrement sur l’autonomie de l’action, soit de l’accomplissement de son devoir, car il est essentiel de comprendre qu’une responsabilité sans liberté n’a rien d’une responsabilité. L’ignorance des lois ou leur crainte ne respecte pas notre faculté de rationalité et on ne peut donc pas nous amputer de force ce dont on n’a pas totalement conscience. La véritable responsabilité a donc la puissance de dépasser le simple souci de soi dans la conscience de faire d’un acte juste sa propre fin.
2. La responsabilité comme une conscience altruiste
Enfin, il faut savoir que l’altruisme est la base de la moralité, car il reconnaît l’autre comme un être qui existe comme soi dans la même condition humaine et donc qui est partout la négation de son solipsisme, soit d’une vision du monde qui ne tournerait qu’autour de soi. De ce fait, la responsabilité est cette injonction qui demande incessamment de considérer autrui. Tel est le postulat d’Emmanuel Levinas dans son ouvrage Ethique et Infini. Cette injonction s’impose de manière intersubjective par la rencontre d’autrui. Selon Levinas, dans sa métaphore du « visage », autrui m’interpelle incessamment dans la révélation de sa fragilité. Une fragilité qui révèle donc aussi la mienne. Non seulement l’événement de la rencontre du visage impose la reconnaissance d’un autre sujet mais de là, sa responsabilité me serait incombée avant même l’expérience de ma liberté, d’où l’obligation morale de répondre d’abord de lui avant soi-même. Il ne s’agit pas ici de la simple réciprocité du devoir et des droits sous la forme d’un contrat social pour le bien-être général, mais bien d’un pur altruisme qui déborde dans la considération de l’autre comme la priorité. La position de Levinas est néanmoins à discuter sur la générosité de ce primat d’autrui sur soi, car elle risque de compromettre l’idée de la juste rétribution des droits et des devoirs soit de la réciprocité équitable. Cependant, il faut reconnaître que la conscience responsable pose bien l’autre comme un autre sujet, et non comme un objet à titre de moyen, qui mérite les mêmes considérations humaines que soi. C’est ainsi que la responsabilité loin de simplement viser un quelconque idéal du bien a pour véritable nature d’être éthique.
Conclusion
En résumé, dans la résolution de la contradiction qui posait à la fois la responsabilité comme un souci de justice et à la fois une obligation dans une réglementation à observer, on a cheminé à travers les observations suivantes. La responsabilité semble considérer le bien moral en tant qu’elle est une conscience morale qui reconnaît les torts, mais aussi comme un souci de justice sous-tendu par la nécessité sociale de l’équité. Cependant, l’idée de responsabilité semble aussi revêtir la simple obligation d’être conforme aux juridictions et ceci par la coercition des sanctions. En fait, la source de la contradiction est la considération de la responsabilité comme nécessairement une réponse à soi. D’abord, on a vu que la responsabilité en tant que conscience morale s’annule en elle-même si elle ne réalise pas notre autonomie dans l’accomplissement du devoir. Pouvant faire du devoir une fin en soi, elle dépasse donc déjà les contraintes sociales qui ne se concentrent que sur l’intérêt de soi. Enfin, si la conscience responsable est toujours la révélation d’autrui comme un sujet digne de la même considération que soi-même, elle est donc en définitive le support de toute considération éthique.