Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
Seule la philosophie est capable de penser le réel, non pas à travers l’immédiateté de notre quotidien, mais par la définition fournie par la raison. En nous référant à notre quotidienneté, nous avons affaire à la facticité et à l’évidence qui tournent le dos à la réflexion. La conscience est cependant un cas particulier qui évoque une certaine contradiction, car il s’agit d’une notion claire et distincte dans notre expérience, mais qui ne peut être traité que dans le cadre de la métaphysique. La psychanalyse en fait principalement usage, seulement la destine en guise de réceptacle et de description pour les faits psychiques, sans que la conscience elle-même soit véritablement explicitée. C’est pourquoi William James, dans son livre Text-book of psychology, affirme : « « Conscience personnelle » est un de ces termes vagues dont nous savons ce qu’il veut dire tant qu’on ne nous demande pas sa définition ; mais son analyse exacte et précise est le cauchemar des philosophes ». Le concept de temps présente également une grande similarité à la conscience, sans que nous puissions lui attribuer une matérialité. A proprement parler, notre conscience s’étale toujours dans un intervalle temporel, de sorte qu’il conditionne la cohérence de notre discours sur le réel. Peut-on analyser la conscience sans se référer au temps ? Dans une première partie, nous parlerons de la conscience en tant que liaison entre la pensée et le réel ; dans une deuxième partie, nous expliquerons le temps qui est le ciment de la connaissance des phénomènes. La troisième partie sera une synthèse sur la conscience qui perd sa réalité une fois détachée du temps.
I) La conscience est un acte réfléchi de la pensée
En analysant la notion de conscience, nous nous posons sur deux points possibles : soit la conscience est une activité naturelle de la pensée, soit elle surgit grâce à la présence des objets dans le monde. D’une part, il se peut que nous soyons tendus vers un objet concret, mais que nous ne saisissons rien. La conscience est alors face à un vide d’objet, or il est absurde d’affirmer que nous avons conscience du vide. D’autre part, il nous est fréquemment arrivé que nous soyons entourés d’innombrables objets, alors que nous en sommes totalement inconscients. Dans les deux cas, la conscience est réellement opérationnelle, mais elle est tournée vers autre chose, et surtout elle n’a pas conscience de la conscience de soi. Kant, dans sa Critique de la raison pure, souligne : « Car la conscience empirique, qui accompagne différentes représentations, est, en soi, dispersée et sans relation avec l’identité du sujet ». Rappelons que nos organes de sens sont les premières portes qui nous ouvrent vers la saisie des objets, sans que ces organes ni le cerveau lui-même soient assimilés à la conscience. Ce qui nous assure de la réalité de notre conscience est en effet le corps, c’est-à-dire que j’ai conscience d’être enveloppé à l’intérieur de ce corps, et que c’est à travers lui que je peux valider que je possède une pensée. Si je pense, mais voilà que j’aperçois que mon corps n’est plus, cela signifie que je suis en train de rêver. Ainsi, en saisissant mon corps par la conscience, je ne peux douter de l’existence de mon corps. Dans son livre Science et religion, Bertrand Russell disait : « Non seulement nous réagissons envers les faits extérieurs, mais nous savons que nous réagissons. La pierre, croyons-nous, ne sait pas qu’elle réagit ; mais, si elle le fait, elle est « consciente ». Avec ou sans la pensée, les choses sont ce qu’elles sont, mais nous avons également besoin de la pensée qui valide. Ainsi, la conscience est tout d’abord conscience du corps, puis conscience de l’interaction avec le monde. En se concentrant sur elle-même, la pensée fait face à un vide d’objet, car la pensée n’est pas un objet, que ce soit en idée ou en concret. Autrement dit, si je pense à la pensée, je la pense toujours en train de penser à quelque chose. C’est la raison pour laquelle Jean-Paul Sartre déclare dans son livre Situations : « Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes ».
Pour faire valoir la conscience, la pensée ne peut se concentrer sur elle-même ou dans son monde abstrait, mais doit s’orienter sur le corps ou et le monde matériel. Mais une fois en face de la matérialité, elle considère le temps, qui est une autre modalité de la conscience, en guise de référence.
II) Le temps est la marque du devenir du réel
Pour percevoir le changement qui intervient dans le monde, la conscience se réfère à un intervalle temporel qui lui sert de comparaison entre les différents instants. Les points posés par la pensée se font alors selon chaque état distinctif, toutefois la pensée, par un acte d’abstraction, peut très bien ériger une durée et constater qu’il n’y a pas de changement observé. En d’autres termes, c’est le changement qui suggère à la pensée de créer le temps, ce qui se traduit comme des marques sur la ligne continue de la conscience. D’ailleurs, la conscience elle-même saisirait mal son objet si ce dernier était inséré dans une homogénéité confuse et monotone. Leibniz précise dans sa Lettre à Arnauld : « C’est comme il faut bien que j’aie quelque perception du mouvement de chaque vague du rivage afin de me pouvoir apercevoir de ce qui résulte de leur assemblage, savoir, de ce grand bruit qu’on entend proche de la mer ». Le temps, qui est une notion des plus abstraites, sert alors de référence et de cadre pour l’observation concrète des phénomènes. Cette double nature du temps, à la fois immatérielle et dédiée en guise d’outil, se met en parallèle avec la conscience, en tant que conscience du monde et conscience de soi. Autrement dit, c’est parce que nous sommes conscients que nous pouvons donner une preuve et une consistance au temps. En considérant le temps en tant qu’unité de mesure dans la science physique, il est vrai que la pensée se focalise sur les expérimentations et leurs résultats. Le temps ainsi considéré perd son essence, car nous n’en avons pas conscience et nous ne le vivons pas. Dans sa Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty explique : « Seulement, cette intuition de la permanence du temps est compromise dans le sens commun, parce qu’il thématise ou l’objective, ce qui est justement la plus sûre manière de l’ignorer ». Dans un autre sens, les formes grammaticales qui reflètent les différentes dimensions du temps sont une manière très explicite pour désigner le temps vécu. Bien que le langage soit un outil le plus courant chez l’homme, l’usage du passé, du présent ou du futur est activé par notre conscience, ce qui n’est pas le cas du temps mathématique. La raison d’être de l’histoire est d’ailleurs de marquer le temps par des évènements majeurs, afin de se dire que le temps est toujours actualisé grâce à nos souvenirs. Pourtant, l’éternité n’est pas dans le cadre de l’histoire et ne touche aucunement la conscience, mais nous sommes intimement portés vers cet idéal. Cet idéal de l’éternité est ce que renferme cet extrait du livre Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer: « Les temples et les églises, les pagodes et les mosquées, dans tous les pays, à toutes les époques, dans leur magnificence et leur grandeur, témoignent de ce besoin métaphysique de l’homme ».
La conscience du monde influence la pensée à cadrer des phénomènes dans le temps, ce qui se manifeste d’une part comme une durée vécue, et d’autre part comme mesure scientifique. Cela dit, le temps et la conscience vont toujours de pair, de sorte que la conscience est remplie par le passé et l’avenir.
III) Le temps figé anéantit la conscience
Nous pouvons imaginer la situation selon laquelle notre conscience saisit et perçoit uniquement au temps présent, ce qui est peut-être possible pour une durée limitée. Le problème serait que nous avançons à travers le monde sans tenir compte de ce qui a été fait, et sans penser aux évènements qui pourraient survenir. Certes, nous sommes à chaque instant dans le présent, et le passé ne peut être actualisé au présent, ce qui signifie que figer le temps dans le présent est toujours et déjà ce que nous faisons. Mais en effectuant une rétrospection, la conscience de soi et celle du monde sont activées en ouvrant le volet du passé. Nietzsche disait d’ailleurs : « Cet animal nécessairement oublieux (l’homme), pour qui l’oubli est une force et la manifestation d’une santé robuste, s’est créé une faculté contraire, la mémoire, par quoi, dans certains cas, il tiendra l’oubli comme un échec ». En fonction de nos besoins à l’instant, nous faisons surgir les éléments du passé, tandis que ceux qui nous semblent inutiles sont temporairement enfouis dans l’oubli. La mémoire ne refait surface que lorsque ses éléments nous sont utiles au moment présent, ce qui signifie que l’oubli n’est jamais définitif. Il s’agit donc d’une conscience provoquée dans un point précis de l’intervalle temporel ; en tout cas, dès qu’il y a conscience, c’est déjà un acte de la mémoire, ce que soit un passé lointain ou les dernières secondes qui se sont écoulées. C’est ce que Bergson voudrait exprimer dans ce passage de L’énergie spirituelle : « Retenir ce qui n’est déjà plus, anticiper sur ce qui n’est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n’y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l’instant mathématique ». Cela dit, le temps est alors le terme le plus explicite pour comprendre ce qu’est la conscience. En supprimant le concept de temps, la vacuité de la conscience sera mise à nu, ce qui donne donc la primauté du temps dans notre raisonnement. La conscience n’a pas horreur du temps, au contraire ces deux entités sont tout à fait complémentaires. Nous n’avons pas conscience de l’intuition directe du présent, mais une fois que nous avons conscience de notre acte, c’est déjà celle de l’instant précédent. En d’autres termes, la conscience dépend entièrement du concept de temps, et elle ne peut s’exprimer qu’avec ce que le temps lui offre comme langage. Et même dans la conscience de soi, tel qu’il est stipulé dans cette citation de Michel Foucault issu de son ouvrage Les mots et les choses, la situation du moi dans le temps est primordiale : « Puis-je dire que je suis cette vie que je sens au fond de moi, mais qui m’enveloppe à la fois par le temps formidable qu’elle pousse avec soi et qui ne juche un instant sur sa crête, mais aussi par le temps imminent qui me prescrit ma mort ? »
Conclusion
Tant que nous sommes en vie, et que nous disposons sainement de notre corps et de notre esprit, il y a toujours une activité de la conscience. La simple présence du corps, que ce soit le mien ou ceux inclus dans le monde, ne peut se transformer en certitude sans l’intervention de la pensée. Cependant, les phénomènes qui apparaissent à la conscience sont marqués par le changement, telle est la nature même des choses dans ce monde. Une fois que nous avons affaire à des phénomènes, nous ne pouvons pas échapper au temps, ce qui signifie qu’il est un auxiliaire inséparable de la pensée. Et plus encore, nous avons également l’intuition de cette dimension métaphysique du temps, dont la forme la plus imminente est l’éternité. Ainsi, le temps est figé ou libéré en fonction du déploiement de notre conscience, car avoir conscience signifie avoir conscience des choses qui s’étaient déroulées. La mémoire est donc le fruit de l’union nécessaire entre la conscience et le temps, ce qui entre en jeu dans le fonctionnement de notre psychisme. Le temps présent est-il un mauvais usage du langage pour désigner l’illusion ?