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La conscience a-t-elle besoin du monde pour s’affirmer ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le monde est tout ce qui se présente comme en dehors de soi grâce à la conscience. La conscience implique le fait de distinguer un sujet qui fait l’expérience de la pensée et d’un objet de la pensée. Il semble donc qu’il y ait une conscience propre de soi et distinctement une conscience du monde. La question semble suggérer pourtant que la conscience est un retour sur soi grâce à la présence du monde de sorte qu’il n’y ait pas d’immédiateté de soi à soi. Ce qui semble pertinent, car pour se donner une présence à soi, ne faut-il pas d’abord prendre en acte le fait que notre être est face à la présence d’une extériorité qui s’impose, soit d’un monde ? Toutefois, même si le monde est la condition de notre conscience, ne faut-il pas se méfier de se mélanger à lui au risque de perdre le sens de l’autonomie que la conscience a permis ? Le retour à soi ne signifie-t-il pas la possibilité de dépasser cette présence du monde ? Pour répondre à ce problème, nous allons considérer le plan suivant : premièrement, considérons pourquoi la conscience de soi ne peut être ressentie que comme une expérience de soi à soi. Deuxièmement, remarquons aussi toutefois en détail, pour quelles raisons elle est d’abord un processus qui passe nécessairement par la présence du monde. Enfin, considérons que ce passage à autrui ne devrait lui enlever en rien sa transcendance, sinon elle ne serait plus une véritable conscience.

I) La conscience de soi est une expérience de soi à soi

1. La présence de soi à soi

Premièrement, partons de ce qui paraît spontanément évident : l’expérience qui semble immédiate de la présence de soi à soi. Considérons l’argument suivant que la conscience découle avant tout d’un acte venant de soi. Je suis présent à moi-même, car je ressens, j’agis et je pense. Dès que je peux faire preuve de conscience, par exemple quand je me réveille, je saisis d’abord ces états comme indiciblement de mon fait. Je me sens fatigué, je m’efforce de me réveiller, j’ai des pensées ou des mémoires en tête. Toutes les saisies que mon corps prend acte se ramènent comme découlant de cette représentation abstraite et identique du « je ».

2. Le cogito indubitable

Considérons maintenant comme Descartes, à travers sa méditation que je peux douter de tout sauf de ce « je » qui pense qui est le support de tout doute. Descartes veut fonder une philosophie de la certitude rationnelle. Dès lors, il n’hésite pas à remettre en question tout ce que le monde lui donne à connaître comme existant. Descartes s’attaque d’abord à la  perception, il constate que ce que donnent les sens n’est que du mouvement et de l’entendement. L’entendement peut donc y saisir de l’illusion. Puis, il va même remettre en doute la réalité concrète du monde en extrapolant la possibilité de la manipulation d’un malin génie qui serait capable de nous emprisonner dans un rêve. Il est  certainement difficile dans les rêves les plus clairs de distinguer les illusions de la réalité. Enfin, Descartes se rend compte que même s’il était dans un monde de rêve, il ne peut douter qu’il est le sujet qui fait l’expérience de ce rêve. Il ne va pas aussi douter qu’il est la source de ces absurdes extrapolations jusqu’à finalement saisir l’évidence ultime du cogito. Soit du « je pense donc je suis ». Dans cette perspective la présence du monde n’est donc que secondaire étant soumise à la représentation qu’en fait le sujet.

Il semble donc que la conscience soit naturellement présente comme immédiate à elle-même sans la présence du monde. Toutefois, la conscience de quelque chose, que celle-ci soit d’un soi ou d’autre chose, ne suggère-t-elle pas que le retour de soi à soi est le produit du processus d’une médiation par ce qui est présenté comme extérieur à soi?

3. La présence de la chose pensée comme la condition de la conscience de soi

Demandons nous d’abord ce que nous saisissons au réveil de notre conscience, saisissons nous d’ores et déjà l’unité de notre être ou des choses qui sont distinctes de nous ? Pour répondre à cette question, il faudra définir exactement l’émergence de la conscience. La conscience n’est d’abord possible sans les organes de sens. Pour être conscient, il faut sentir des choses, car la conscience est l’unité abstraite des informations de nos facultés de sens. C’est une unité qui est organisée par l’entendement comme une représentation de la réalité d’une chose. On utilisera ici le terme de perception. Or, si c’est le cas, les sens n’agissent pas d’eux-mêmes, la sensation est nécessairement la stimulation de la présence d’une réalité qui prend contact avec eux. La vue est stimulée par les rayonnements lumineux, la peau par les frictions, l’ouïe par les ondes de choc, etc.  Ces réalités qui se donnent comme phénomènes en provoquant ces stimulations ne peuvent qu’être extérieures à la conscience étant donné que la conscience est la représentation de la saisie et non son simple fait. Que la conscience de la perception soit concrète ou représentée abstraitement en n’étant qu’une impression dépouillée de leur expérience sensible, la conscience se donne naturellement par le projet du cerveau ou de l’esprit vers son objet. Husserl souligne d’ailleurs brillamment la logique que «  toute conscience est conscience de quelque chose ». 

4. L’intersubjectivité comme la condition de la subjectivité de soi

Puis, il nous faut considérer que si le monde inclut autrui on ne peut pas se passer de lui pour avoir conscience de notre subjectivité. Autrui est la condition de notre subjectivité, car nous faisons l’expérience de l’intersubjectivité à travers le rapport dialogique. Considérons d’abord que la langue qui nous rend capables de nous distinguer de nos états, de nos actions et du monde dans lequel nous évoluons est née dans le contexte de l’intersubjectivité. Sans l’effort de donner un signe à reconnaître, car il faut au moins un autre entendement pour communiquer, on resterait englué au monde, on ne se le représenterait pas pour pouvoir le communiquer, on ne ferait que s’écouler naturellement avec son existence. Ainsi, nous faisons l’expérience de notre sujet par le rapport linguistique avec autrui. On ne peut que constater qu’un « je » n’a de sens que par rapport à d’autres pronoms personnels sujets. Puis, plus fondamentalement comme le dit Sartre « pour obtenir une  vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre ». L’idée est que la seule présence d’autrui dans son regard porteur de sens nous fait déjà signe qu’on est l’objet de sa perception. Le fait d’observer comment il répond à notre présence, comment il nous accueille ou nous rejette, sont les signes qu’autrui porte sur nous son regard, un regard qui donne à penser qu’il a un avis sur nous et qui finalement ne peut que nous initier à l’expérience de notre propre introspection.

La conscience est donc l’événement d’un processus initié par notre rapport au monde. Toutefois, cela ne devrait pas signifier que la perception de soi soit donc soumise par la perception du monde, car ce serait condamner la transcendance de la conscience que le sujet est censé représenter.

II) La conscience est transcendante où elle n’est plus conscience

1. Le danger d’une dissolution du sujet dans le monde du « on »

Remarquons que l’idée d’un besoin du monde pour s’affirmer peut vite aller à l’encontre d’une conscience authentique. On a vu que la conscience est toujours d’abord une perception. Elle prend acte de l’entendement de son objet que celui-ci semble venir originellement de soi-même ou d’une vision du monde partagée avec une communauté. Dans le second cas, le fait que  la conscience de soi passe d’abord par la conscience du monde, risque donc de ne donner au sujet aucune personnalité car celui-ci est hypnotisé par l’habitude de cette familiarité avec le reflet du « on ». Il s’ensuit que le sujet peut finir par facilement intérioriser comme identité les visions que ce « qu’on » propose pour lui. Après tout, le sujet doit passer par l’éducation culturelle de sa société tant directement par l’école ou indirectement par le mimétisme, qu’il se fait d’abord nécessairement une identité à travers sa sphère sociale. D’où se pose le problème de l’affirmation de soi vis-à-vis des attentes d’autrui. Pour pouvoir être reconnu le sujet est demandé de reproduire certaines performances qui ne le motivent pas souvent. Il se peut qu’à partir d’une certaine ouverture d’esprit, le sujet s’est enrichi d’une culture personnelle qui aura diversifié ses goûts et éventuellement de prendre conscience du relativisme de la culture. Le sujet peut dès lors se sentir n’avoir aucune liberté de se définir personnellement, il se sent obligé d’appartenir à des cultures dont on attend de lui que la perpétuation. Ceci pose aussi inévitablement le problème d’un manque d’estime de soi. Le sujet ne pouvant tout le temps satisfaire les attentes d’autrui peut se sentir inutile à sa communauté, ce qui peut le faire sombrer dans la dépression. L’estime de soi qui ne peut être permis que par l’autonomie d’un investissement dans ses valeurs personnelles, comme par exemple la reconnaissance d’un dépassement de soi, est une conscience qui est pourtant nécessaire à l’équilibre psychologique.

2. La conscience est une transcendance rationnelle à conquérir où elle n’est pas une véritable conscience

Enfin que signifie véritablement une conscience si elle n’est que le terrain de jeux des perceptions ? Une conscience ne signifie certainement pas une connaissance de son objet, pourtant il y a quelque chose dans l’effort du connaître qui donne à la conscience toute sa dimension humaine : la volonté d’être rationnelle. Certains animaux, on le constate, sont capables de prendre conscience, car ils peuvent se représenter vis-à-vis du monde. La complexité des signaux qu’ils communiquent entre eux fait parfois même preuve d’une ingéniosité « inattendue » due aux réductions presque discriminatoires que l’homme fait preuve à l’égard des autres vivants. Toutefois, ce qui fait la grandeur si on peut dire de la conscience de l’homme, c’est que celle-ci permet un retour introspectif sur les représentations qu’on se donne de nous-même. Le fait est que la conscience humaine peut-être accompagnée de la raison. Cette faculté à la fois de concept et de discernement permet d’éclairer les pourquoi et les comment de nos pensées et de nos actes. Une conscience qui ne déploierait pas cette faculté serait à juste titre de l’ordre de la mauvaise foi. Cette conscience serait le cheval de Troie à toute forme d’irresponsabilité. L’homme a un devoir moral à rester autonome pour le salut de l’humanité, or l’autonomie a besoin de la pleine puissance de la lumière de la raison pour rester transparente à la conscience.

Conclusion

En résumé, la conscience nous est apparue comme un rapport immédiat de soi à soi, tant c’est soi qui se représente dans ses pensées et ses actes. Descartes ira d’ailleurs jusqu’à simuler hyperboliquement qu’on pouvait douter de tout sauf de cette présence à soi. Toutefois c’est vite aller en besogne de considérer que la conscience soit une donnée immédiate. La conscience est en effet le produit d’un processus qui fait d’abord état de l’extériorité avant de soi-même. Nos sens nous le manifestent nécessairement et le dialogue intersubjectif avec autrui ne peut que le confirmer tant il n’y a que par le langage qu’on peut opérer une distinction entre soi et le monde et se donner une identité par la réciprocité du regard. Toutefois, cette observation est une mise en garde pour préserver une conscience authentique. Le magnétisme de ce miroir du « on » où on se reflète est puissant d’un désir de s’affirmer par rapport à lui. S’y laisser être envouté ne fait preuve que d’une conscience au service d’autrui, une conscience qui peut d’ailleurs être psychologiquement éprouvante. Pour que la conscience fasse preuve d’une véritable conscience, elle doit être autonome en étant assistée par la lumière de la raison, car elle est finalement en fin de compte l’éveil de l’esprit ou elle n’est rien pour l’homme.

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