Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
Les inventions humaines témoignent de son pouvoir grandissant sur la nature, ainsi que de son intelligence qui souligne sa supériorité sur le monde animal. Seulement, son bonheur n’est pas fonction croissante de sa suprématie, car l’on constate que l’homme est toujours en quête du meilleur. Être le plus beau, le plus riche, le plus intelligent, toutes ces ambitions sont à la portée des efforts de l’homme, sauf qu’il ne peut pas atteindre une chose : être éternel. Ce rêve est certes irréaliste, toutefois il existe d’autres manifestations qui témoignent du souhait de l’homme à vouloir dépasser le temps. Ainsi, le temps marque à la fois la performance mais également la contrainte, que ce soit dans le domaine professionnel que personnel. Cette citation de Pascal, tirée de son ouvrage Pensées, marque cette situation délicate de l’homme face au temps : « Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt ». Ce que recherche l’homme, ce n’est plus véritablement l’objet proprement dit, mais obtenir cet objet en grande quantité dans un délai le plus court. Effectivement, la contrainte liée au temps, c’est l’homme lui-même qui s’en est imposé. Se libérer du temps signifie-t-il se libérer de l’illusion que l’homme s’est créée pour lui-même ? Afin de traiter cette problématique, nous adopterons un plan à trois parties : la première stipule que le temps est un concept intimement lié à l’esprit humain ; la deuxième explique que la véritable contrainte qui s’impose à l’homme est la survie ; et la troisième conclut que l’homme a toutes les capacités pour résorber aux illusions créées par son esprit.
I) Le temps reflète l’activité de la conscience
Le temps est un concept si ordinaire que nous le mentionnons d’emblée dans la grammaire, mais présente également quelques subtilités quant à sa compréhension, puisqu’il ne se réfère à aucune réalité concrète. Il est vrai que nous n’avons pas conscience du temps en permanence : les seules fois où nous nous concentrons réellement sur celui-ci est pendant l’attente. Et pourtant, même après notre sommeil, nous constatons toujours la durée qui s’est écoulée et prenons cela avec une très grande importance. En effet, nous avons l’impression que même si nous ne sommes pas éveillés, le temps continue son cours et que nous avons l’obligation de nous situer par rapport à lui. C’est dans ce sens que William James déclare dans son ouvrage Précis de psychologie : « D’où affirmer la continuité de la conscience revient à affirmer deux choses : 1° que la conscience qui suit un « temps vide » se sent solidaire de la conscience qui le précède, en qui elle reconnaît une autre partie de son moi 2° que les changements qualitatifs qui se produisent d’un moment à l’autre dans le contenu de la conscience ne sont jamais brusques ». Le fait de nous placer dans un repère temporel est donc le même que de poser la continuité de notre conscience. Et bien que nous fassions rarement usage de la notion de conscience au quotidien, c’est précisément le terme exact pour désigner notre insertion dans la ligne temporelle. Devenu un instrument scientifique par excellence, car basé sur une compréhension purement abstraite, le temps n’est plus repéré à travers la durée moyenne pour la réalisation d’une tâche ordinaire : c’est plutôt les unités de mesure du temps qui impose son rythme dans chaque activité de l’homme. Le résultat se manifeste par l’atteinte d’une performance dans les travaux manuels ou intellectuels, et même dans l’organisation et le développement de la communauté. Nietzsche fait cette remarque dans son livre Aurore, Pensées sur les préjugés moraux : « Ainsi, une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême ». Il est donc manifeste que se soumettre au temps permet d’atteindre des objectifs de haut niveau, étant donné qu’il n’y a pas plus important que de vivre dans une société où l’individu peut se procurer tout ce dont il a besoin. En d’autres termes, la conscience du temps nous dévoile sa valeur concrète, que sans lui il n’y aurait que désordre dans la société et que nous serions dépourvus de notion d’historicité. Bien que l’histoire ne présente pas une utilité concrète au même titre que les sciences, le fait que nous attribuons de l’estime aux éléments de notre passé prouve que nous voudrions bâtir une humanité. Or, la possibilité d’une histoire repose avant tout sur la conscience selon laquelle le temps existe à travers les choses et l’esprit. C’est pourquoi Bossuet, dans son livre Discours sur l’histoire universelle, fait le constat suivant : « Il serait honteux, je ne dis pas à un Prince, mais en général à tout honnête homme, d’ignorer le genre humain, et les changements mémorables que la suite des temps a faits dans le monde ».
Plus qu’un simple attribut de la pensée, le temps est désormais l’instance qui mesure l’efficacité de nos activités quotidiennes. Mais à y voir de plus près, nous sommes également animés par des ambitions qui nous poussent constamment à nous dépasser.
II) Être en vie requiert diverses obligations et anime certaines ambitions
Chez l’homme, la volonté d’accumuler des biens plus qu’on pourrait consommer au temps présent commence par l’anticipation des aléas du futur. Vouloir conserver son espèce est tout à fait inné pour l’homme, ce qui se manifeste par le fait de générer une descendance. Or cette tendance naturelle s’accompagne nécessairement de l’obligation à les nourrir, faute de quoi il serait vain de les engendrer pour les voir périr. Cela dit, le quotidien de l’homme consiste essentiellement dans la recherche de la sécurité, notamment dans le fait de laisser un remplaçant qui est de ma chair et de mon sang une fois qu’il ne sera plus. Mais surtout, il voudrait cette assurance qui lui garantit que s’il advenait des circonstances malheureuses qui ne dépendent pas de sa volonté, il disposerait de ressources suffisantes pour se maintenir en vie. Ce passage du livre De la Nature de Lucrèce atteste cette idée en disant : « Et puis nous sommes incertains de ce que l’avenir nous réserve, des hasards de la fortune et de la fin qui nous menace ». Par la suite, cette sensation de sécurité nous fera découvrir celle du confort, et qu’il serait tout à fait appréciable pour nous de continuer dans ce sens. Cette ascension sociale est accompagnée d’une image de puissance et de prestige, ce qui légitime davantage notre aspiration à monter dans l’échelle posée par la société. Certains pensent que le désir de richesse et de pouvoir découle de la nature de l’homme, cependant il est aisé de constater que cette ambition est d’autant plus intériorisée que nous côtoyons des individus qui mènent un mode de vie opulent. Voici un extrait des Manuscrits de 1844 de Karl Marx : « La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités la force divine de l’argent sont impliquées dans son essence en tant qu’essence générique aliénée, aliénante et s’aliénant, des hommes ». L’argent est donc le signe de la puissance, ce qui peut être interprété comme le pouvoir de faire exister ce qui n’existait pas. Or, cette richesse matérielle n’est pas la seule ambition qui fait soupirer l’homme, car la réussite consiste également à se constituer une vie intellectuelle. Dans la manière d’acquérir la connaissance, nous savons que ces savoirs cumulés ne présentent pas nécessairement une valeur marchande, dont le cas le plus manifeste est la philosophie. Mais rien n’est plus offensant que de se savoir ignorant, tout en se parant d’objets ostentatoires. Être un intellect devient alors une étiquette dont il se pare, qui peut être dénué de toute visée matérialiste. Cette thèse est d’ailleurs reformulée par Clément Rosset dans son ouvrage Les philosophes et les sortilèges : « La liberté d’agir est certes une chose excellente ; mais elle n’engendre, à elle seule, aucune puissance d’agir ».
Il existe alors des contraintes qui ont été assignées par la société et la nature et auxquelles l’homme ne peut échapper, mais également des artifices qui se transforment aussitôt en contraintes. Le temps, qui n’est classé dans aucune de ces catégories, ne devrait donc pas se considérer une aliénation aux yeux de l’homme.
III) La conscience du temps engendre des pensées obscures chez l’homme
Nous avons tendance à penser qu’un événement passé ne pourra jamais être rattrapé dans le futur, ni compensé par un autre qui sera meilleur plus tard. Par conséquent, nous sommes tellement frustrés par notre échec présent, car cela signifie que nous sommes dépassés par les autres, donc n’étant satisfaits que seulement si nous étions au premier rang sur tous les domaines. Qui plus est, être le meilleur ne suffit pas : il faut être meilleur dans tous les temps, et le cas contraire nous entraîne à être le prochain candidat au suicide. Cette réflexion sur le temps par rapport aux contenus de l’existence est illustrée par la citation suivante, tirée du Post scriptum non scientifique et définitif aux miettes philosophiques de Kierkegaard : « Aussi, est-il plus facile de penser abstraitement que d’exister, à condition de ne pas prendre ce dernier terme au sens banal où l’on existe sans plus, comme l’on est un sujet, sans plus ». Si le fait de se libérer des désirs vains est déjà assez problématique, le temps devient une autre aliénation à laquelle l’homme s’attache. Et puisque le temps et l’existence sont intimement imbriqués que nous ne pouvons défaire l’un sans l’autre, il nous incombe alors d’opérer une réforme dans la pensée et le concret, en embrassant ces deux notions à la fois. Quant à la frustration causée par notre existence, la fuite vers la mort ne nous libère en rien du joug imposé par le temps. Comme l’a expliqué Kant dans son Anthropologie du point de vue pragmatique : « La peur de la mort qui est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n’est pas un frémissement d’horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne, devant la pensée d’avoir péri ». Se libérer du temps ne consiste nullement dans le fait de ne pas y penser ou de ne pas être, mais en revenant dans la conception originelle de la liberté. Sachant qu’il n’existe pas à proprement parler d’une expérience de la liberté, notre affranchissement passe d’emblée par la liberté de pensée, ce qui se traduit par savoir distinguer le réel de l’apparent. Ce qui est réel dans le temps est la conscience de la durée, les désirs et émotions créés par la pensée du temps ne sont que des illusions. Il est d’ailleurs écrit dans la Philosophie politique d’Eric Weil que : « L’homme qui ne vit que sur le plan de la société est esclave dans cette acception du mot, quelles que soient son importance sociale, son influence, sa puissance ».
Conclusion
Nous expliquons le changement comme étant les conséquences de l’écoulement temporel, ce qui signifie qu’avec le temps il y a nécessairement un changement qui s’observe. Mais cette conscience du temps se manifeste avec plus de cohérence et de précision avec les repères chronologiques, tels qu’ils sont élaborés par l’ingéniosité de l’esprit humain. Par ailleurs, le monde humain et le monde animal se différencient par un point crucial, à savoir la notion de richesse. Ainsi, la richesse se reflète par l’abondance qui dépasse largement le cadre de la survie, mais une fois que nous sommes insérés dans ce système, nous oublions aussitôt qu’il s’agissait au début d’un simple mode d’adaptation à la nature. Le temps nous impose alors ses exigences, et surtout parce qu’il s’incorpore dans nos désirs en vue de les amplifier. Il est alors tout à fait possible pour l’homme de se libérer du temps, en réalisant que les angoisses qui nous submergent ne sont que des illusions. Vivre au temps présent est-il le secret du bonheur ?