Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
L’histoire de l’art intéresse un public de plus en plus large, et se proclame en tant que discipline spécialisée qui est au service des individus et de la société. De son côté, la philosophie de l’art continue sa lancée à travers des idées transcendantales concernant le beau. En effet, l’art offre continuellement des créations des plus originales, et une œuvre d’art garde son authenticité face à d’autres courants artistiques qui lui succède. Dans un espace donné, les créations des artistes à l’intérieur d’une discipline présentent également une variété de styles étonnants. Sans nul doute, cela s’explique par l’affirmation d’Hippolyte Taine selon laquelle : « L’œuvre d’art est déterminée par un ensemble qui est l’état général de l’esprit et les mœurs environnantes ». L’idée de concevoir l’histoire de l’art consiste donc à éclaircir ces différentes conditions qui ont contribué à la genèse d’un courant artistique. La présente problématique sera alors un questionnement sur la portée philosophique de l’art, ainsi que sur la possibilité d’une histoire de l’art qui explique et valide ces différentes formes de beauté. L’histoire de l’art ajoute-t-elle quelque chose à la beauté de l’art, ce dernier qui est toujours et déjà une création intemporelle ? Le plan de résolution se fera en trois parties : d’une part, nous expliquerons que l’histoire de l’art se concentre plutôt à des conjonctures socio-culturelles plutôt qu’à étayer le domaine esthétique ; d’autre part nous mettrons en surface l’idée selon laquelle l’histoire de l’art se met en parallèle avec le caractère authentique de chaque œuvre ; et nous terminerons sur un paragraphe qui conclura que l’historien de l’art reconnaît les œuvres d’art, mais cela devra se faire sous l’œil vigilant de la philosophie.
I) Une œuvre d’art fait partie intégrante des symboles sociaux
Dans toutes les cultures, une forme d’art est omniprésente pour symboliser la représentation du monde propre à ce peuple. Certains vestiges du passé conservés dans les musées se posent de manière anonyme, d’autres sont signés par un artiste reconnu, en tout cas l’art dévoile un langage propre à cette culture. À la différence de la langue qui sert de communication pour les individus, une œuvre d’art n’a pas explicitement une fonction pratique, elle se fait valoir par son apparence qui recèle un sens caché. Et seuls les membres de cette communauté sauront dévoiler ce sens et l’apprécier en sa juste valeur. Pour les autres objets du quotidien qui ne se rapportent pas à l’identité de cette culture, comment saurait-on les apprécier, si ce n’est que dans un simple cadre utilitaire ? C’est pourquoi Hegel affirme dans son Esthétique : « C’est donc bien plutôt au monde extérieur qu’à l’apparence de l’art que s’applique le qualificatif d’illusoire ». Les individus appartenant à cette société se reconnaissent alors à partir de cette représentation sensible de l’art, et se sentiront vivants, compris et possédant une identité. Force est de constater que certaines créations paraissent muettes ou trop banales pendant de longues périodes, jusqu’au moment où l’on découvre l’importance en passant à une nouvelle époque de l’histoire. Avec du recul, l’histoire de l’art peut rendre compte de la légitimité d’une œuvre, cela en creusant sur la particularité de cette société et sur les conditions historiques où elle est née. C’est en ce sens que Heidegger a affirmé dans les chemins qui mènent nulle part : « L’œuvre d’art nous a fait savoir ce qu’est en vérité la paire de souliers ». Par conséquent, l’œuvre d’art rend visible les différentes facettes du monde, mais pour l’homme du commun, il ne saurait apprécier cette beauté cachée sans l’aide précieuse apportée par l’histoire de l’art. En effet, faire abstraction des apports des œuvres d’art serait préjudiciable à la vie intérieure d’un individu et aurait également des conséquences néfastes pour une société. Depuis toujours, la création de l’artiste a été une sonnette d’alarme pour dénoncer les anomalies dans la vie en société, et tel qu’il est vécu et ressenti par l’artiste lui-même. Dans le temps, l’art et la politique étaient deux domaines en perpétuelle rivalité, le premier nageant en contre-courant contre les idées préconçues et le second s’efforçant d’imposer une idéologie qui se veut rassurante. Par-là, Schopenhauer disait vrai dans son ouvrage Le monde comme volonté et comme représentation : « Ce n’est pas la philosophie, ce sont encore les beaux-arts qui travaillent au fond à résoudre le problème de l’existence ».
Une société dépourvue de forme d’art n’a pas véritablement sa propre identité, car c’est un élément essentiel qui participe à la cohésion de l’ensemble. Notons cependant qu’une classification en histoire de l’art ne se réfère pas nécessairement à un cadre spatio-temporel, contrairement aux disciplines sœurs qui évoluent en fonction de ce cadre.
II) L’histoire de l’art œuvre dans la promotion de l’individualité de chaque création artistique
Si nous avons affaire à une histoire dans l’art, elle sera nettement différente de l’histoire des sciences ou encore de l’histoire de la philosophie, ou bien d’autres domaines similaires. Certes, les historiens de l’art ont pu classifier les artistes dans différents courants esthétiques, et ont su établir une liaison entre eux selon diverses influences émanant de chaque style. Pourtant, il importe de souligner que l’artiste n’est pas un miroir figé par lequel se regarde la société : il est avant tout un individu unique qui veut s’exprimer par ses œuvres. Selon Sigmund Freud, « l’artiste est originellement un être, qui s’écarte de la réalité, parce qu’il ne peut se familiariser avec le renoncement à la satisfaction des pulsions que la réalité exige avant tout ». De là la singularité de chaque approche, car la part d’imagination à travers laquelle l’artiste voudrait extérioriser ses rêves ne sera jamais pareille à un autre artiste qui est son contemporain. Par conséquent, l’histoire de l’art, pour mieux saisir son objet, ne peut rendre compte que de manière individuel chaque œuvre, et procèdera à une démarche nouvelle pour mieux comprendre la vie intérieure de chaque artiste. Ici, l’histoire ne se déploie pas dans un fil continu de la chronologie, et non plus dans un cadre spatial, car le génie de l’artiste ne se développe pas de manière nécessaire, mais à l’improviste. « On nomme inspiration ce mouvement de nature qui dépasse nos espérances ; et l’artiste est l’homme en qui la réalisation, par le chant, par la construction, par la peinture, par le dessin, l’emporte de loin sur l’imagination seulement mentale ». À travers ce passage tiré de Vingt leçons sur les Beaux-Arts d’Alain, nous pouvons en déduire que l’inspiration de l’artiste, bien que résultant du concours de certains facteurs, ainsi que les créations qui en découlent, ne peuvent être étudiées de manière objective. En effet, avec les mêmes conditions dans lesquelles l’artiste a créé ses œuvres, on ne peut reproduire le même schéma avec l’un de ses homologues pour obtenir des créations similaires. D’ailleurs, la copie volontaire d’une création artistique ne peut en aucun cas être belle. En étudiant les différents courants esthétiques, l’histoire de l’art s’aperçoit que les critères de beauté divergent sans pour autant se contredire. C’est pourquoi Karl Popper insiste sur l’importance de l’inspiration de l’artiste en tant qu’origine même de la beauté, selon ces termes tirés de La quête inachevée : « La théorie moderne est une espèce de théologie sans Dieu. La nature ou l’essence cachée de l’artiste prenant la place des dieux, l’artiste s’inspire lui-même ». L’histoire de l’art a donc pour tâche de rendre compte que les formes de représentation du beau sont tellement limitées que l’existence des différentes théories est un essai de compréhension immédiate, mais qui ne saisit pas l’essence du beau.
L’histoire de l’art a pour mission de faire comprendre au public les différents courants artistiques, cependant elle aura intérêt à saisir l’individualité de chaque œuvre pour mieux en dévoiler la beauté. Si on doit parler d’histoire de l’art, elle devra donc embrasser une fonction double, c’est-à-dire scientifique et esthétique.
III) L’histoire de l’art précède la philosophie de l’art
La finalité de la philosophie de l’art est de penser les critères du beau. Le philosophe étaye alors les modalités de sa pensée face à lui-même, pour essayer de comprendre les origines de cette sensation et de cette idée de beau. Par conséquent, la pluralité des œuvres d’art sont des exemples qui illustrent cette idée, et l’avenir réserve d’ailleurs un grand nombre de créations, mais cela ne peut déborder des théories qui régissent le domaine de l’esthétique. L’histoire de l’art, pour sa part, fera en sorte que la singularité de l’œuvre se conserve à travers les générations, et que les consciences se rappellent de son existence, même en l’absence du support matériel. Cette différence d’approche relèven même de la différence de nature entre la philosophie et l’histoire, tel qu’il est mis en lumière par Hegel dans son ouvrage Histoire de la philosophie : « Il semble qu’il y ait opposition entre philosophie et histoire : celle-ci se tient au fait et au donné et est d’autant plus vraie qu’elle s’y tient ; la philosophie au contraire n’a affaire qu’à sa propre pensée, elle produit d’elle-même la spéculation sans avoir égard à ce qui est ». Ceci étant, ces deux disciplines poursuivent indépendamment leurs propres chemins. Et pourtant, en s’intéressant au même objet qu’est l’art, ces deux domaines se prendront en référence l’un l’autre et auront toujours à apprendre en fonction de l’évolution de l’art. En étudiant le beau, la philosophie aura besoin de penser la sensibilité comme origine de cette idée. En prenant l’exemple de la philosophie des sciences, l’étude s’étale non seulement sur la démarche du scientifique et les critères de la vérité scientifique, mais tient compte également de nombreux éléments issus de l’histoire des sciences. Pour sa part, si la philosophie de l’art a déjà fait en grand pas dans la construction de l’idée du beau, elle aura également intérêt à porter comme objet les produits de l’histoire de l’art. « L’historien a toujours eu besoin d’imagination. Il en aura toujours besoin », disait Jacques Le Goff dans Histoire et imaginaire. Cette affirmation renvoie notamment à la démarche de l’historien de l’art, car ce dernier ne peut se placer exactement à la place de l’artiste qu’à travers l’imagination, afin de mieux transposer son vécu. Tout comme l’artiste, il use grandement de son imagination pour mieux situer ces œuvres, plus précisément en guise d’intuition d’objet. Cela souligne également le caractère imparfait de l’histoire de l’art, qui est en perpétuelle validation et rectification au fil du temps. Le philosophe de l’art aura donc à apprendre de Kant qui disait dans Critique de la Raison pure : « On ne peut qu’apprendre à philosopher (…) mais toujours avec la réserve du droit qu’a la raison de rechercher ces principes eux-mêmes à leurs sources et de les confirmer ou de les rejeter ».
Conclusion
L’histoire de l’art a pour fonction de mettre en exergue la place de l’art dans une société donnée, de dévoiler cette signification en fonction du monde culturel dans lequel elle est née. En d’autres termes, l’histoire de l’art essaye de comprendre la genèse des œuvres afin de mieux saisir sa beauté, sans jamais tomber dans une simple exposition chronologique du passé de l’art. Mais ce qui intéresse également l’historien de l’art, c’est d’étudier la vie individuelle de l’artiste afin de mettre en lumière la forme de beauté contenue dans une œuvre particulière. Une théorie issue d’un courant artistique donné ne peut donc être érigée en théorie universelle. Grâce à l’aspect scientifique de l’histoire de l’art, la philosophie a intérêt à cerner les fruits de ses investigations afin de mieux penser l’esthétique, ce qui supposerait même une reformulation des questionnements concernant le Beau. Le domaine de l’histoire de l’art est donc à la charnière des sciences humaines et de la philosophie de l’art. Mais sachant que son objet a comme principal attribut le beau, elle fera miroiter ses exploits aux yeux de la philosophie, tandis que la philosophie peut lui servir de guide pour mieux développer son caractère scientifique. Si l’on tient compte des apports de l’histoire de l’art, le Beau peut-il revêtir des formes illimitées dans le domaine sensible ?