Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La recherche du bonheur est un projet perpétuel que l’homme poursuit tout au long de son existence. Il décrit au préalable des objectifs qu’il estime lui rendre heureux, tout en effectuant un perfectionnement de soi afin d’atteindre ce but. Vu de l’extérieur, un homme ordinaire et sans intérêt est supposé comme le plus misérable qui soit, et quelqu’un de nanti et se parant de mille choses suscite la convoitise de ses semblables. Dans notre pensée intérieure, nous imaginons des situations meilleures que nous estimons dignes de nous procurer le bonheur. Ainsi, les facultés intellectuelles constituent des qualités très appréciables, et qui équivalent même aux richesses matérielles. C’est en ce sens que Platon s’explique dans Le banquet en ce qui concerne la connaissance de la beauté véritable : « Car la vraie voie de l’amour, qu’on s’y engage de soi-même ou qu’on s’y laisse conduire, c’est de partir des beautés sensibles et de montrer sans cesse vers cette beauté surnaturelle en passant comme un échelon d’un beau corps à deux, de deux à tous, puis des beaux corps aux belles actions, puis des belles actions aux belles sciences ». Il y a donc des choses que la plèbe ne connaît point, et que seule une poignée de savants y ont accès. Existe-t-il des degrés de bonheur déterminés en fonction de la qualité des personnes ? L’analyse de cette problématique nous renvoie aux trois paragraphes ci-dessous : le premier nous informe que le malheur de l’homme provient de la méconnaissance de soi et du monde ; le deuxième nous explique que le savant ne rencontre pas nécessairement le bonheur ; et le troisième et dernier nous montre qu’il vaut mieux construire son propre monde pour être heureux.
I) La connaissance précède l’harmonie de soi avec le monde
Celui qui est gouverné par l’opinion se comporte de manière très différente de celui qui a accès à la science. Un homme ignorant change de point de vue selon les circonstances, et ses propos n’ont aucune valeur qui puisse tenir de vérité. Il cherche constamment à plaire aux autres, car la vérité selon lui serait ce qui convainc la masse, et la fausseté serait ridiculisée par tout le monde. Le savant, par contre, si on peut désigner par ce terme une personne qui aime la connaissance, n’a pas peur d’être contredit, puisqu’il possède des arguments bien fondés pour soutenir son idée. Ses dires se basent à la fois sur l’observation des faits et sur l’analyse de la raison, ce qui permet de confirmer leur vérité. Comme l’atteste Spinoza à travers cette citation tirée d’une Lettre à Albert Burgh : « Je ne prétends pas avoir trouvé la philosophie la meilleure, mais je sais que j’ai la connaissance de la vraie ». Il est vrai que l’ignorant se contente de ses opinions et qu’il lui est impossible de s’en défaire, c’est-à-dire qu’il se réjouit d’une idée fausse concernant le monde. Les conséquences seront qu’il agira contrairement à la nature des choses pour appuyer la vraisemblance de ses opinions. Au moment où il se rendra compte de son erreur, il essayera de remodeler un monde en plein désordre, ce qui est impossible à corriger. Mais un homme gouverné par la raison et rempli de connaissance vraie opère des calculs préalables sur les retombées de ses décisions, et prévoit en conséquence les risques ou les avantages. Ainsi, le savant réussit mieux dans la vie, et il ne craint pas les échecs par le fait qu’il possède les remèdes y afférents. Cette citation de Sénèque, extrait de ses Lettres à Lucilius, confirme cette idée : « Il faut juger avec une grande âme des grandes choses ; autrement, nous nous figurerons voir en elles la faille qui est en nous ». Il se peut que l’homme ignorant fasse les choses avec plus de facilité, or il est susceptible de rencontrer plus de problèmes qu’il considère d’ailleurs comme normal. Mais à la longue, le résultat global de ses entreprises se résume à un échec, ou du moins à une situation peu performante. Certes, il peut toujours continuer dans cette voie, cependant il est clair que cela mènera vers une incohérence entre les phénomènes entre eux, et entre soi-même et les autres. Mais cela n’est pas le cas du savant : bien que celui-ci ne vise pas nécessairement l’efficacité dans ses actions, ses intentions consistent à ne pas déranger l’ordre naturel des choses. C’est pourquoi Cicéron, dans son ouvrage Traité des devoirs, souligne ce passage : « Et c’est pour l’homme une importante propriété, due à la nature et à la raison, d’être seul à avoir conscience de ce qu’est l’ordre, de ce qui est convenable dans les actes et les paroles, de ce qu’est la mesure ».
Les avantages proposés par la connaissance sont nettement supérieurs à ceux issus de l’opinion, que ce soit pour le savant ou pour son environnement. Mais pour pouvoir jouir de ces bienfaits, le savant doit surmonter de nombreux pressions et obstacles, notamment de la part de la société qui est majoritairement ignorante.
II) Le savant est très souvent marginalisé par la plèbe
Les hommes du commun constatent une nette différence entre leur façon directe de voir les choses, et le détour opéré par le savant dans son analyse. Ils considèrent alors cet investissement en temps et en énergie comme une perte de temps, puisqu’aux yeux de la plèbe, seuls les résultats observables comptent. Non seulement ils dénigrent le savoir, mais ils voudraient également convertir le savant vers un mode de vie considéré normal. Si celui-ci aspire à réaliser un projet génial qui profitera à la société, il n’obtiendra aucun appui des autres et n’y aboutit que très rarement. Cette situation renforce davantage l’opinion selon laquelle cette connaissance approfondie serait infructueuse. Cela se traduit par cet extrait du Gai savoir de Nietzsche : « La force de la connaissance ne réside pas dans son degré de vérité, mais dans son degré d’ancienneté, son assimilation plus ou moins avancée, son caractère de condition vitale ». En effet, le savant connaît les ruses par lesquelles l’apparence et l’évidence engourdissent les esprits non éclairés, appuyant leur raisonnement par les joies éphémères que ces idées procurent. Or, ces contentements suscitent le désir d’en amplifier le degré par de nouveaux moyens, ce qui entraîne à l’infini la recherche de nombreuses futilités. Étant donné que la base de l’opinion est l’apparence, son résultat final se résout nécessairement à faire valoir le superficiel. Sachant que le savant tourne le dos à l’opinion et aux souhaits de la plèbe, il devient automatiquement l’ennemi de tout le monde. Dans son Eloge de la philosophie, Merleau-Ponty avance la remarque suivante : « Quand Socrate refuse de fuir, ce n’est pas qu’il reconnaisse le tribunal, c’est pour mieux le récuser. En fuyant, il deviendra un ennemi d’Athènes, il rendrait la sentence pour vrai ». Bien que les préjugés débités à son encontre n’aient aucun impact sur ses compétences, cela engendre toutefois un malaise du point de vue psychologique. Une personne qui manque de reconnaissance, donc rejetée indirectement, cultive une haine intérieure envers ses semblables, ce qui dégrade sa personnalité. Elle est d’ailleurs obligée à s’écarter des autres, ou bien il devrait se résoudre à changer d’apparence pour plaire aux autres. Mais le savant, fortement instruit par sa science, ne cèdera pas aux caprices de la majorité pour devenir un ami de l’opinion. Aussi, le quotidien d’un savant n’est pas toujours brillant d’un point de vue extérieur. « Il sera donc très utile pour notre bonheur, de connaître à temps ce fait si simple que chacun vit d’abord et effectivement dans sa propre peau et non dans l’opinion des autres », nous conseille Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation.
La situation du savant n’est pas toujours confortable, car non seulement il a le devoir d’assumer ses travaux de recherche, mais aussi il ne doit pas fléchir devant la pression des ignorants. Afin de trouver le bonheur, il est mille fois mieux de suivre le modèle du savant, même si cette voie s’avère pénible.
III) Il est possible d’être heureux tout en étant savant
Concrètement, il n’y a pas de lien direct entre l’acquisition de la connaissance et le bonheur, mais on peut observer toutefois que les hommes du commun sont plus acharnés à rechercher le bonheur que les savants. Mais en vérité, le fait d’être ignorant ne rend pas plus heureux, car nous n’avons pas le contrôle de notre être et du monde qui nous environne, donc nous ne savons pas ce que nous voulons vraiment. L’ignorant s’émerveille devant d’innombrables situations qui, aux yeux du savant, n’ont aucun sens. En termes d’objectif, l’ignorant a plus de chances de rencontrer le bonheur, mais le savant doit encore affronter la résistance de la plèbe afin que sa vie et ses œuvres puissent être reconnues. Dans son ouvrage Malaise dans la civilisation, Freud fait la remarque suivante : « La troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que tout autre ». Le besoin de connaître selon la vérité est propre au savant, et s’il estime que la connaissance est le bien ultime auquel il ne peut se séparer, alors il sera le plus heureux des hommes. Mais puisqu’il est des aspects de son existence qui doivent être également comblés, il sera obligé de tendre vers autre chose. Toutefois, il peut créer un univers à part où il contemplera la vérité et le savoir dans son essence, en ignorant le désordre autour de lui. Autrement dit, le savant savoure les choses qui lui plaisent et laisse de côté les choses extérieures à lui, c’est-à-dire qui ne concernent pas le domaine de sa contemplation. C’est pourquoi Lucrèce énonce ce passage dans son livre De la Nature : « Mais la plus grande douceur est d’occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de naissance ». Notons d’ailleurs que le bonheur est considéré comme la plénitude de notre être, c’est-à-dire que nous ne souffrons d’aucun manque à tout moment. Ainsi, il est principalement fonction des besoins de chacun, et la possibilité de l’atteindre dépend de la simplicité de ces besoins et du pouvoir de chacun. Le degré de bonheur est une illusion issue de la hiérarchie par laquelle nous classifions les choses, car en réalité soit nous sommes heureux soit nous ne le sommes pas. Par contre, la raison nous enseigne que le savoir a de la valeur, tandis que l’ignorance n’est rien. Acquérir de la connaissance est alors un devoir pour tout être humain, mais le chemin qui mène vers le bonheur nécessité encore diverses conditions. Eric Weil déclare ceci dans sa philosophie politique : « Seul le philosophe serait un homme complet et que lui seul pourrait atteindre un bonheur qu’il a défini selon ses propres convenances ».
Conclusion
La connaissance est un discours dont le contenu renvoie à la réalité, non pas selon l’apparence mais selon la vérité. La connaissance de la vérité donne alors lieu à des normes qui dictent le meilleur des possibilités, ce qui tient compte à la fois de l’équilibre de tout un système. Ainsi, le savant a conscience de l’erreur dans laquelle est plongée la masse populaire, mais son appel pour faire revenir les autres à la raison n’a pas de retour. La non reconnaissance de son savoir n’empêche pas le savant de poursuivre ses travaux, toutefois il sera automatiquement en rupture avec le monde extérieur. Ce n’est pas en fonction du rang ou de la richesse que l’homme serait d’autant plus heureux, et même le savant doit encore se faire reconnaître de manière ardue pour faire valoir le type de bonheur qu’il propose. La vie vaut-elle quelque chose sans le bonheur ?