Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Il est étonnant de voir que les sociétés d’animaux savent vivre en harmonie au sein de leur espèce, et que leur système d’organisation a été la même depuis leur apparition. Quant aux hommes, qui sont capables de concevoir les plus belles théories concernant l’ordre politique et l’amour du prochain, ils se heurtent à des problèmes qui n’existent dans aucune horde d’animaux. Et pourtant, il n’est aucun homme qui puisse concrétiser le projet de se couper entièrement des relations avec ses semblables. Cela signifie que le fait de vivre en société est vital pour l’homme, que ce soit en famille ou dans un groupement plus large. C’est pourquoi il tente coûte que coûte de résoudre les conflits, même en faisant preuve de tolérance et de compromis. Cette citation extraite du Traité politique de Spinoza en dit long sur la nature humaine : « Les hommes en effet ne naissent pas citoyens mais le deviennent ». C’est parce que l’homme ne sait pas vivre en harmonie avec des semblables qu’il voudrait se dépasser en créant une société meilleure. L’origine des conflits serait-elle l’imperfection de l’homme ou de la société ? Cette problématique sera traitée à travers les trois paragraphes ci-dessous : premièrement, les conflits surgissent uniquement à travers le contact avec autrui ; deuxièmement, l’instauration de la justice est une tentative pour améliorer le vivre en commun ; et troisièmement, une société idéale est ce qui existe déjà par l’homme.
I) Les mobiles des hommes sont différents les uns les autres
Il est tout à fait naturel à l’homme de vouloir le vrai, mais surtout que cette vérité puisse déterminer son être et le monde dans lequel il vit. Selon les facultés à sa disposition, il se fixe un échelon pour reconnaître la marque de la vérité, que cela soit commun à l’opinion de la plèbe ou désigné selon l’arbitraire de l’individu. De cette liberté à concevoir ses propres idées naît les différences de point de vue, ce qui est par la suite à l’origine des conflits. En effet, l’homme n’accepte non plus qu’on le blesse dans son orgueil, de sorte qu’on le blâme pour la futilité de ses opinions qu’il a pourtant pris le soin de bien penser. Si l’idée par laquelle il gouverne sa vie est considérée par les autres comme inconsistante, alors c’est comme si c’est son être tout entier qui n’aurait pas de valeur. C’est pourquoi Schopenhauer dit ceci dans Le Monde comme volonté et comme représentation : « Nous avons vu plus haut que la haine et la méchanceté avaient pour première base l’égoïsme, et que celui-ci résulte de la sujétion où est l’intelligence à l’égard du principe d’individuation ». En réalité, les conflits entre les hommes se reconnaissent par des signes de violence, mais son fondement repose sur les idées. Ici, la tolérance n’a pas sa place puisqu’il est très important que les autres consentent à ce que je pense et à ce que je dis. La raison en est que cette idée vaudra pour guider la pratique, mais aussi pour faire valoir ce que je suis aux yeux des autres. Et bien que la société établisse une hiérarchie sur ces différences perceptibles entre les hommes, la pensée individuelle ne suit pas forcément cette ligne d’idée. Montaigne en donne une autre illustration tirée de ses Essais : « C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble ». S’il est facile de persuader les gens simples d’esprit par quelques ruses du langage, les hommes doués d’une intelligence supérieure ne le sont point. Ces derniers savent en effet distinguer l’apparence de la vérité à travers l’éclairage de la raison. Cela dit, les hommes raisonnables ne cherchent point à contenter la plèbe en se taisant ou en reniant leurs idées. Dans une société, la différence entre les hommes est alors bien plus palpable, et l’on s’efforce malgré tout de trouver un terrain d’entente. Comme l’atteste cette citation de Pascal extraite des Pensées : « La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair ».
Les individus qui composent une société sont en désaccord selon différents points importants, d’où les conflits permanents concernant la vie communautaire. Mais en recourant à la justice qui est d’ailleurs représentée par une institution légale, on peut très bien rencontrer la paix entre les hommes.
II) L’homme juste juge impartialement les actions d’autrui
Il n’est pas toujours nécessaire de recourir au pouvoir judiciaire de l’Etat afin de résoudre les litiges, car la justice se pense tout d’abord dans la conscience individuelle. Si nous faisons confiance à la compétence de la Justice, c’est parce nous acceptons par nous-même que cette notion est une vertu partagée en chacun de nous. Ici, le problème ne se pose plus au niveau du concept, mais plutôt dans l’agir et dans ses conséquences observables. On réclame justice lorsque les actions d’autrui ont engendré un malheur sur soi, de sorte que cette lésion soit reconnue par tous comme une injustice de sa part. Et cette reconnaissance générale se réfère en effet selon la référence à la loi, qui est la manifestation officielle de la volonté de tous. Cela se traduit pas cette citation de Platon tirée du Gorgias : « Et quand on dit qu’il est injuste, qu’il est vilain, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s’exprime en se référant à la loi ». Force est de constater que le pouvoir et le potentiel des hommes ne sont pas les mêmes, du coup ils ne jouissent pas des mêmes privilèges. Cette situation se produit certes sans le concours de la volonté des hommes, toutefois il faudrait pallier cet aspect naturel via la justice. Cela consiste à mettre les hommes dans un traitement égalitaire, malgré leur différence de nature. La justice se cultive au fur et à mesure que nous côtoyons nos semblables, nourrissant la conviction selon laquelle ce cas malheureux aurait pu survenir à moi. Ce passage des Propos sur les pouvoirs d’Alain l’atteste clairement : « À mesure que l’homme aurait appris, par nécessité, le respect des contrats et le prix de la fidélité, on aurait vu naître les vertus à proprement parler, la justice, le droit des faibles, la charité, la fraternité ». La justice n’a alors de sens que parce que les individus ne présentent pas le même potentiel individuel. Il ne s’agit pas d’éradiquer les différences, mais de faire en sorte que chacun se comporte selon son propre avantage sans léser les autres. Cette restriction de la liberté traduit fidèlement l’idée de justice, ce qui est balisée de près par les lois existantes au sein de l’Etat. Et même si nous devons parfois tolérer et que les autres sont mieux avantagés que nous, le sentiment d’avoir fait les choses selon les prescriptions de la raison nous console largement. Cet extrait de l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique de Kant en est une illustration pertinente : « Ainsi, dans une forêt, les arbres, justement parce que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, se contraignent réciproquement à chercher l’un et l’autre au-dessus d’eux, et par suite poussent beaux et droits, tandis que ceux qui lancent à leur gré leurs branches en liberté et à l’écart des autres poussent rabougris, tordus et courbés ».
La justice renferme la volonté de faire la paix avec autrui en renonçant à la violence, ou alors de remettre l’affaire sous l’autorité de la juridiction. Mais depuis l’existence d’une société d’hommes, quel qu’en soit le type de législation, les conflits subsistent toujours au même titre que la reconnaissance de la justice.
III) L’existence des conflits donne sens à la justice
Formuler l’hypothèse d’une société sans conflit, c’est supposer en parallèle la perfection absolue de l’homme. Ce débat interminable n’aboutit aucunement à une solution ferme, aussi il serait préférable de se baser sur le monde concret. L’idée d’une perfection repose en effet sur un ensemble immuable dans le temps et l’espace, dépourvu de parties mais formé par un tout homogène. Or, cette description ne ressemble en rien à ce que la société est, ce qui signifie qu’elle est de nature imparfaite. Ainsi, la présence des conflits au sein de la société découle à la fois de la nature de l’homme et de la société. Bien que tout soit perfectible dans ce bas-monde, telle que la volonté de l’homme le souhaite, il est impossible d’atteindre la perfection. Comme disait Leibniz dans Essais de Théodicée : « Ainsi, si le moindre mal qui arrive dans le monde y manquait, ce ne serait plus ce monde, qui, tout compté, tout rabattu, a été trouvé le meilleur par le créateur qui l’a choisi ». Contrairement au droit, la justice renvoie donc à une perpétuelle révision selon les cas qui se présentent. Chaque conflit laisse apparaître une faille interne au niveau du droit, tandis que la justice tient compte des paramètres sociaux et individuels dans sa résolution. Le dépassement des conflits se fait alors de façon ponctuelle, mais il y aura toujours des litiges qui se présentent aussi longtemps que les hommes partageront le même milieu. Ce n’est pas que la justice soit inefficace, mais elle dirige les actions et les décisions de l’homme, quelles que soient les conséquences. Tout compte fait, il est dans l’essence même de la société de contenir la justice et les conflits. Comme le stipule cet extrait des Considérations destinées à rectifier le jugement du public sur la Révolution française écrite par Fichte : « « Mais si c’était une condition du contrat d’être éternel et immuable ? » Je ne veux pas rechercher ici si un contrat éternel, que le consentement même des deux parties ne saurait supprimer, n’est pas en général quelque chose de contradictoire ». Puisque l’homme ne renoncera en aucun cas à vivre en société, il est de son devoir de résorber les conflits. La rupture d’un contrat est alors un moyen parmi tant d’autres pour les résoudre, sans pour autant dissoudre entièrement la société en général. Cela dit, il serait prétentieux d’affirmer que la société est déjà parfaite comme il est, puisque ses membres y ressentent tout de même quelques frustrations. Néanmoins, la raison prévoit plusieurs possibilités pour bâtir un gouvernement juste, et le fait de déployer ses propres capacités peut largement satisfaire les hommes, au lieu de se plaindre de ne pas avoir pu créer un monde utopique. Cette citation de Sartre issue de ses Cahiers pour une morale nous fait réfléchir à ce sujet : « Il est vrai qu’on m’ôte ces possibilités mais il est aussi vrai de dire que j’y renonce ou que je me soumets à un régime systématique pour les reconquérir ».
Conclusion
La différence entre les hommes est insurmontable, de manière telle que ce qui est considéré comme vrai dépend essentiellement de la condition d’existence de chacun. Nécessairement, les conflits apparaissent sous forme de violence physique ou verbale, et leur résolution ne se fera que sous la décision du grand nombre. La question est de savoir si la loi reflète véritablement la justice : la raison nous informe pour cet effet la distinction entre le juste et l’injuste. Sachant que la justice est communément admise comme une vertu, chacune ne se fera pas prier pour l’appliquer et les avantages se font également ressentir pour chaque parti. Si l’homme a une idée de la perfection, cela ne peut malheureusement changer le cours des évènements, dont certains aléas sont indépendants de sa volonté. En vivant en société, il voudrait dépasser les conflits en établissant la justice de par sa propre personne et via une institution organisée, sans que cela atteigne l’idéal souhaité. Une société juste n’a-t-elle pas besoin d’un gouvernement ?