Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Les conflits entre les hommes ne résultent pas uniquement d’un conflit d’intérêt, mais surtout des divergences d’opinions. Remarquons que les accords les plus solides et les confiances les plus durables s’effondrent facilement une fois que les partis contractants ne s’alignent plus sur le même point de vue. Effectivement, le statut juridique d’un contrat devrait souligner implicitement la réalisation possible de sa dissolution. Le Droit offre donc une liberté consistant à pouvoir rompre le contrat, quelle que soit la valeur ou la profondeur de ce motif. Autrement dit, le sujet a le droit de ne pas tenir sa parole, à condition que l’autre parti soit protégé juridiquement contre les lésions que la rupture engendrerait. « Mais pourquoi l’homme accepte-t-il une situation dans laquelle il peut être confondu ? Il l’accepte parce que la seule autre issue est la violence, si l’on exclut, comme nous l’avons fait, le silence et l’abstention de toute communication avec les autres hommes », disait Eric Weil dans Logique de la philosophie. L’établissement d’un contrat s’accompagne toujours d’un rapport de force inégale entre les deux partis, mais tous deux réclament une égalité de droit et d’avantages qui ne seront réalisés qu’en apparence. Le fait d’obéir à soi-même relève-t-il du droit du citoyen ? Afin de répondre à cette problématique, nous allons dresser un plan à trois parties : premièrement, la liberté se dévoile par le contrat au sein d’une communauté régie par le droit ; deuxièmement, l’obéissance s’estompe une fois que le commandement n’est plus légitimé ; et troisièmement, la liberté individuelle se concrétise particulièrement à l’intérieur d’un Etat de droit.
I) La liberté de contracter n’est possible qu’à l’intérieur d’un cadre juridique
La liberté d’un individu se mesure en fonction de sa capacité à agir selon sa volonté parmi un groupement d’hommes. Cela signifie qu’un homme isolé ne peut se prétendre être libre absolument en l’absence de toute contrainte. D’ailleurs cette situation est utopique, puisque la nature et la société sont autant de paramètres qui conditionnent l’existence humaine. Ainsi, on ne peut parler de liberté que si et seulement si l’homme parvient à affranchir les obstacles qui entravent ses projets. En effet, la liberté n’est pas seulement un sentiment vécu dans la pensée : elle doit se manifester concrètement dans les actions, et surtout à travers ses propres forces et moyens. Sachant que l’individu ne peut se passer des contraintes physiques et sociales pour agir, il s’en servira alors comme outils indispensables. Comme l’atteste Auguste Comte dans son Système de politique positive : « Ces cas maladifs confirment donc eux-mêmes l’axiome élémentaire de la sociologie statique : la société humaine se compose de familles et non d’individus ». Il est vrai que la formation d’une famille se fasse à travers des liens affectifs et une compréhension mutuelle, or elle ne peut durer dans le long terme que si un contrat a lieu. C’est ainsi que l’État, l’institution la mieux reconnue en termes de droit, doit intervenir en vue de réguler les contrats entre les particuliers. D’une part, la volonté de contracter est déjà le signe d’une liberté, de sorte à accepter la soumission à la volonté d’autrui. Mais d’autre part, il faut que l’Etat lui octroie un régime de droit pour que cette liberté soit protégée et confirmée dans les actions. C’est pourquoi Kant affirme ceci dans La Religion dans les limites de la simple raison : « Dans une hypothèse de ce genre la liberté ne se produira jamais ; car on ne peut mûrir pour la liberté, si l’on n’a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté) ». Le contrat nécessite une transparence au niveau des informations, ce qui ne peut être garanti que dans la régulation de l’Etat. La liberté se manifeste alors à travers la soumission volontaire de chaque parti sous les clauses du contrat, ces dernières étant communément délibérées. En profondeur, c’est l’obéissance qui constitue l’effectivité du contrat, notamment entre les deux partis concernés, mais surtout entre l’individu et l’Etat. En respectant ces contenus, le sujet se soumet également à l’autorité des lois, parce que c’est l’Etat lui-même qui est derrière l’élaboration de ces lois. Tout contrat scellé sous l’autorité des lois est alors convenu par des sujets libres. C’est pourquoi Rousseau dit ceci dans ses Lettres écrites de la montagne : « Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain ».
L’élaboration d’un contrat se fait entre deux individus libres, régis dans le cadre législatif d’un Etat de droit, et de même pour l’obéissance des contenus qui conforte cette liberté. Cependant, cette capacité à agir par soi-même laisse également libre cours à la refonte de l’institution suprême, à savoir l’Etat.
II) La liberté du citoyen se manifeste par la pensée et l’action
La réalisation des contenus d’un contrat est conditionnée par plusieurs paramètres, qui sont préalablement stipulés dans les clauses. Mais ce qui motive d’emblée les contractants à s’y soumettre est l’intérêt individuel qu’ils en retirent, non mentionnés dans les lignes des clauses. Qu’un contrat soit rompu à cause de l’une de ces raisons, cela relève de la liberté du sujet, et notamment la liberté de critiquer le changement des conditions qui s’est opéré dans le temps. Parallèlement, le citoyen est en droit de remettre en question les principes sur lesquels sont bâtis l’Etat et sa législation. C’est pourquoi Tocqueville stipule dans L’Ancien Régime et la Révolution selon ces termes : « Toutes les révolutions civiques et politiques ont eu une patrie et s’y sont renfermées. La révolution française n’a pas eu de territoire propre ; bien plus, son effet a été d’effacer en quelque sorte de la carte toutes les anciennes frontières ». Puisque la liberté est une affaire d’homme, de même l’Etat est l’incarnation de la liberté : tous les styles de convention reposent sur cette stabilité de l’Etat. La rupture d’un contrat ne signifie pas nécessairement la remise en question des fondements juridiques, mais tout simplement un signe que c’est la liberté de penser autrement qui suscite le changement. Bien évidemment, cette rupture engendre le plus souvent des formes de violence, parce qu’elle se fait contre la volonté de la partie adverse. Il s’agit donc d’une désobéissance aux règles préalablement établies, et ce, au nom de la liberté. Voici l’argumentation fournie par Georges Canguilhem dans son ouvrage Vie et mort de Jean Cavaillès : « La lutte contre l’inacceptable était donc inéluctable. Et par lutte il ne faut pas entendre l’indignation chuchotée dans les couloirs, le porte à porte patriotique, l’alimentation des boîtes aux lettres en tracts vengeurs. Par lutte il faut entendre le combat les armes à la main. Et par armes, toutes les armes ». Une fois affranchi des règles imposées par le contrat, que ce soit par la violence ou par accord mutuel, le sujet ne possède désormais que ses propres principes comme guide. Notons toutefois que les passions peuvent également constituer des mobiles très puissants pour guider les actions de l’individu. En rompant volontairement à un contrat fait avec son prochain, il en subit alors les conséquences qui peuvent être des sanctions pénales, ou bien d’autres avantages personnels. Ainsi, la compréhension de la liberté, telle qu’elle est rencontrée dans les faits, laisse apparaître des motifs qui sont parfois contraires à la raison. Cela signifie que l’aspiration à la liberté devient plus prépondérante que la voix de la raison, ce qui conduit à n’obéir qu’à soi-même. C’est le sens même de cette citation de Hume tirée du Traité de la nature humaine : « Une passion doit s’accompagner de quelque faux jugement pour être déraisonnable ; même alors ce n’est pas, à proprement parler, la passion qui est déraisonnable, c’est le jugement ».
Selon l’observation des faits, les hommes qui se croient libres se dressent contre les institutions ou enfreignent les règles établies entre les particuliers au nom de la raison. Le fait d’obéir à soi-même, qui est d’ailleurs le fondement ultime de la liberté, consiste tout d’abord à accepter sa propre nature.
III) Le concept de liberté est le même du point de vue personnel ou collectif
Les règles imposées dans une communauté ne font pas toujours l’unanimité entre ses membres, mais ces derniers s’efforcent toutefois de s’y soumettre. Dans ce cas précis, la liberté consiste à réfléchir sur ses conditions et à se conformer à sa nature sociale, même si cela requiert plusieurs concessions. Il s’agit alors d’écouter librement les voix de la raison, sans pour autant poser la liberté au-dessus de la nécessité. Par conséquent, toute action qui découle d’une pensée raisonnable, ce qui pose comme indispensable la nécessité de la nature, est un signe de la liberté. Ainsi, la nature sociale de l’homme est incontournable pour pouvoir réaliser des actions individuelles ou collectives. Si le fait de réformer la société mène vers un État meilleur, alors l’homme obéit précisément à sa propre nature. Cette illustration avancée par Friedrich Schelling dans son ouvrage Recherches sur la liberté humaine atteste cette idée : « Mais le hasard est impossible, il est en conflit avec la Raison comme avec l’unité nécessaire du Tout ; et si la liberté ne peut être sauvée autrement qu’avec la totalité contingence des actions, il n’y a pas en général à la sauver ». Obéir à soi-même signifie déployer librement sa nature d’homme, ce qui se manifeste essentiellement par la réflexion et la volonté. En refusant les ordres et les règlements établis dans les institutions, le citoyen donne sens à son appartenance à l’Etat, mais cette liberté présente pourtant des limites. En effet, il est impensable qu’un individu refuse catégoriquement de se soumettre à tout ordre institutionnel, au point d’être rejeté par la société. En conséquence, la volonté individuelle se conforme au concept de liberté dans le cas où cela ne rompt pas son insertion dans la société. Voici l’argument avancé par Spinoza dans son ouvrage Traité politique : « C’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir ». La rupture d’un contrat par son plein gré ne signifie pas pour autant que l’individu ne veut obéir qu’à lui-même. Il en est de même pour les critiques adressées sur la manière de gouverner : tout cela relève d’une liberté de penser. Tant qu’il se reconnaît membre d’un Etat de droit, son devoir est d’obéir aux chefs élus, ce qui s’identifie d’ailleurs à l’obéissance à soi-même. Toute forme de révolte à l’encontre du régime en place peut provenir d’une volonté individuelle, mais au final le citoyen doit se résigner à vivre conformément aux préceptes du droit. Comme le fait remarquer Georges Sorel dans ses Réflexions sur la violence : « Nos intellectuels, qui espèrent obtenir de la démocratie les meilleures places, seraient renvoyés à leurs littératures ».
Conclusion
La liberté de l’individu ne sera donc effective que dans la forme la plus élémentaire d’une société, à savoir la fondation d’une famille. Par la suite, l’Etat ainsi que les lois qu’il établit sont la manifestation concrète de la liberté, et ceux qui adhèrent à l’Etat sont désormais libres. Toutefois, le renoncement à ses convictions est un signe ultime de liberté, non seulement en tant que liberté d’agir mais aussi en tant que liberté de penser. Les critiques à l’encontre des fondements de l’Etat entraînent une désobéissance de son autorité, ce qui est d’emblée illégal mais peut être légitimé si elles sont émises selon la clarté de la raison. L’homme est donc d’autant plus libre lorsqu’il vit parmi ses semblables, et c’est uniquement dans ces conditions qu’il puisse obéir et être obéi. Un citoyen est donc tenu d’obéir aux lois à travers ses actions et de respecter formellement les représentants de l’Etat, quelles que soient ses réflexions personnelles sur celui-ci. Obéir aux représentants de l’Etat signifie-t-il la légitimation du gouvernement en place ?