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La politique n’est-elle qu’un rapport de force ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le paysage politique tel qu’on l’observe de nos jours diffère fortement de ce qu’il en était du temps de ces grands hommes ont leurs noms dans l’histoire. Il serait toutefois précipiter d’attribuer sa cause au basculement presque généralisé de ces États vers la démocratie. La qualité d’un monarque ou d’un chef d’Etat se juge en apparence à travers la prospérité de la Nation au cours de son régime. Mais curieusement, un état de paix perpétuel pourrait cacher des frustrations inavouées de la part du peuple, ce qui éclaterait à un moment inopportun. La politique n’est donc pas l’affaire personnelle du dirigeant, car le peuple contribue en grande partie au bon déroulement de la vie étatique. Bien plus qu’une simple relation de cause à effet, les actions doivent s’accompagner d’une large vision dans le long terme. Platon, dans La République, émet son point de vue selon ces termes : « Tous ces particuliers mercenaires, que le peuple appelle sophistes et regarde comme ses rivaux, n’enseignent pas d’autres maximes que celles que le peuple lui-même professe dans ses assemblées, et c’est là ce qu’ils appellent sagesse ». Si l’exercice de la politique consiste essentiellement à s’accaparer du pouvoir, se maintenir sur ce poste exige également des stratégies des plus minutieuses. La domination suffit-elle pour être excellent dans l’exercice du pouvoir ? Cette problématique sera traitée à travers les trois paragraphes qui suivent : d’une part, le politicien est tenu d’être en supériorité de nature vis-à-vis de la plèbe ; d’autre part, le totalitarisme est une conséquence fâcheuse d’un pouvoir illimité ; et pour finir, la politique est l’incarnation de l’esprit d’un peuple en particulier.

I) Il faut accéder au pouvoir pour faire de la politique

Les théoriciens en matière de politique excellent dans l’analyse des faits tels qu’ils se sont produits au cours de l’histoire. Mais les véritables acteurs, ce sont les politiciens qui agissent pour le bien du peuple, mais aussi en faveur de leur carrière personnelle. Il est vrai que la vie en société est incontournable pour le commun des mortels, cependant le choix du type de gouvernement y afférent revient au gouvernant. Toutefois, le régime mis en place dépend également des traits culturels propres à ce peuple, c’est-à-dire que le législateur et le dirigeant devraient considérer cet aspect. Voici les termes employés par Nietzsche dans Par-delà le Bien et le Mal pour illustrer cette idée : « Il se passe ici ce qui se passe dans toute communauté bien établie et dont les destinées sont heureuses : la classe dominante s’identifie aux succès de la communauté ». Afin d’accéder au rang des dirigeants, il faut plaire au grand nombre, et ce qui impressionne le plus c’est le fait d’accéder à un rang supérieur par rapport à la masse. Cela se traduit par différents aspects, notamment le prestige par la naissance, la possession d’un patrimoine conséquent ou le fait d’appartenir à l’élite intellectuelle. Le but ultime est alors d’accéder au pouvoir, quel que soit le moyen utilisé pour y parvenir. Ces qualités permettent néanmoins au politicien, une fois qu’il détient la gouvernance de l’Etat, d’atteindre une note de popularité qui se transforme aussitôt en une force de commandement. « Disons donc que le pouvoir, dans le sens réel du mot, est essentiellement militaire, et qu’il ne se montre jamais qu’en des sociétés armées, dominés par la peur et par la haine, et fanatiquement groupées autour des chefs dont elles attendent le salut ou la victoire », fait remarquer Alain dans Mars ou la guerre jugée. Le monarque ou le chef d’Etat se dresse au sommet de la hiérarchie du commandement, et c’est justement à travers le monopole et l’exécution de cette force qu’il obtient l’obéissance de la part de ses sujets. La force de la législation n’est pas comparable à celle que détient l’armée, cette dernière étant une institution à part entière à travers laquelle le pouvoir de commandement se réalise au sein de l’Etat. Le politicien, passant du statut d’un simple particulier à celui de chef suprême de l’armée, acquiert le droit de commander grâce à la légalisation et l’octroi du pouvoir par le peuple. Ainsi, la politique consiste à acquérir le pouvoir, non seulement par la voix du peuple mais aussi par la puissance militaire. C’est pourquoi Antoine-Augustin Cournot disait ceci dans son Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire : « De la notion du droit de la guerre, du droit acquis par le courage et la victoire, dans une défense commune ou dans une agression commune, dérivent principalement les institutions politiques ».

Le pouvoir acquis par voie de suffrage ou par hérédité est une condition nécessaire mais insuffisante pour rester au commandement : il faut que ce pouvoir se transforme en une force effective. Mais une fois que le politicien préside l’Etat selon ces conditions, ses actions dévieront aussitôt de sa mission initiale.

II) L’exercice du pouvoir transgresse souvent le droit et la justice

Force est de constater que les moyens par lesquels le peuple fait accéder le chef d’Etat au pouvoir reposent sur des notions des plus arbitraires. Une élection démocratique ne garantit en rien l’éthique et la responsabilité du dirigeant une fois qu’il accède au pouvoir. Il en est de même pour le pouvoir héréditaire du monarque, où son autorité à commander et à légiférer selon son bon vouloir n’a point de limites. Le pouvoir militaire, qui prend le plus souvent la forme du totalitarisme, ne se préoccupe que de la durabilité de son règne en abusant de tous les moyens de coercition. La politique devient alors le théâtre de tous les maux qui puissent exister dans la sphère publique, or cela est d’autant plus nécessaire pour le chef d’Etat afin de faire durer son régime aussi longtemps que possible. Cet extrait du Discours sur la première décade de Tite-Live de Machiavel l’atteste clairement : « Je dis donc que toutes ces espèces de gouvernements sont défectueux. Ceux que nous avons qualifiés de bons durent trop peu. La nature des autres est d’être mauvais ». Ainsi, l’ambition du politicien est avant tout d’acquérir le pouvoir, et les artifices dont il se parait au début devraient être maintenus pour entretenir son image. Par conséquent, ses décisions s’orienteront vers la protection de ce pouvoir dans le long terme, ce qui nuit gravement aux objectifs qui sont impérieuses pour la Nation. Il est vrai que leur pouvoir est fondé et acquis par le droit, c’est-à-dire par un processus libre de la part des citoyens. Toutefois sa mise en œuvre nécessite des moyens plus efficaces afin que cette liberté ne devienne point un moyen pour renverser le dirigeant. Sachant que l’armée est à la disposition du peuple d’une manière légale, son service peut néanmoins se transformer en despotisme. Dans son Traité politique, Spinoza fait cette déclaration : « Et bien que, entre l’Etat créé par une population libre et celui dont l’origine est la conquête, il n’y a point de différence essentielle si nous avons égard à la notion de droit civil, il y a entre eux une grande diversité et quant à la fin poursuivie ». La politique engendre naturellement un rapport de force qui bascule inévitablement en une usurpation du pouvoir. La raison en est que la fluidité de l’obéissance repose sur la légitimité du commandement, autrement dit du pouvoir du dirigeant. Selon le type de gouvernement établi, c’est-à-dire monarchique ou démocratique, la légitimation du pouvoir s’avère facilitée ou plus compliquée. Mais dans la pratique, le rapport de force doit se concrétiser par des actions, ce qui prouve d’ailleurs que le dirigeant est apte au commandement. Par définition, la politique consiste à gouverner la cité en vue de procurer un bien-vivre ensemble. Or, le droit ne peut pas rivaliser avec le rapport de force en termes d’efficacité et dans le maintien du pouvoir. Auguste Comte dit d’ailleurs ceci dans ses Considérations sur le pouvoir spirituel : « Son caractère organique propre est la centralisation du pouvoir poussée de plus en plus au-delà de toutes les bornes raisonnables, et son moyen général d’action est la corruption systématisée ».

L’usurpation de la force de la part des dirigeants est inévitable, compte tenu de l’apparence qui a séduit le peuple dans le choix de leur chef. Etant donné que l’homme est un animal politique, il ne peut se passer d’une organisation basée sur un rapport de force : la vertu demeure donc un idéal qui servira de manière facultative.

III) Le pouvoir politique n’implique pas nécessairement la vertu

La politique concerne particulièrement le pouvoir d’un particulier sur une communauté d’individus : en vérité, le vivre ensemble serait vain sans l’acquisition du pouvoir. Cela dit, il est naturel pour les hommes de vivre en société, quel que soit le contenu qu’ils insèrent dans ce contrat social. Parallèlement, les citoyens souhaitent que la vie en communauté soit basée sur des valeurs morales, notamment dans les actions du dirigeant et celles des membres. Or, il s’avère que la recherche de l’efficacité, consistant à éviter les troubles sociaux et le renversement du pouvoir, est bien plus importante que l’application de la vertu. La vie politique se manifeste nécessairement dans un rapport de force, et le politicien agit en vue de faire persévérer ce système. D’après le Contrat social de Rousseau : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». L’éthique nous enseigne alors de faire usage de la vertu, ce qui est basé sur les principes du droit et de la liberté. Cela n’est pas une chose impossible, mais difficile à appliquer à cause de la nature pervertie de l’homme. Il est vrai que le rapport de force entre le chef d’Etat et les citoyens dérive du droit, et par conséquent toutes les actions politiques qui en découlent. Mais si cette théorie est respectée, cela ne signifie pas pour autant que la réussite d’un régime s’explique forcément par l’intransigeance en matière de droit. Kant disait d’ailleurs ceci dans son ouvrage Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique : « De quelque façon qu’il s’y prenne, on ne voit pas comment il peut se procurer un chef de la justice publique qui soit juste lui-même, qu’il le cherche dans une personne individuelle ou dans une société de plusieurs personnes sélectionnées à cet effet ». En réalité, le rapport de force s’observe dans la pratique, bien que son fondement théorique repose sur le droit. Pour faire de la politique, ces deux attributs doivent donc être constamment présents, même si, au final, le droit devient un masque derrière lequel s’opérera toute sorte de vices. Mais en tout cas, le droit et la liberté des citoyens se réalisent à travers les actions du dirigeant et la législation qui les appuie. L’exercice du pouvoir sera donc jugé à travers les critères du droit et de la liberté, bien que parfois cela se traduit par l’apparence. Comme l’atteste cet extrait de l’Essai sur l’homme et le temps d’Ernst Jünger : « Il faut donc toujours respecter en son subordonnée une inviolable liberté. L’éthique de l’armée est à ce prix, et sa puissance de choc ».

Conclusion

Afin de pouvoir gagner la confiance du peuple, le chef d’Etat doit tenir en compte de certaines aspirations du peuple, parce qu’il agit en guise de représentant. En se parant de divers attributs, le politicien aura un bon jugement de la part de la masse, bien qu’il ne possède pas de réelles capacités pour gouverner le peuple. Toutefois, un monarque qui n’obtient pas l’appui de la force militaire pendant son régime perdra aussitôt son pouvoir. Concrètement, les représentants de l’Etat n’hésiteront pas à faire preuve d’injustice si cela contribuerait à prouver sa force. En effet, le peuple et le dirigeant croient à la vertu à condition qu’ils se fassent confiance dans leur pratique au quotidien. Le politicien s’efforcera également de mentionner la liberté autant qu’il le pourra, afin que l’exercice de la force n’éclate pas aux yeux de tous comme un abus. Si tous les hommes étaient vertueux, pourraient-ils se passer de faire de la politique ?

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Toute La Philo

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