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La morale est-elle la meilleure des politiques ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Il est plus facile de définir le Bien lorsque je l’applique à moi-même, que de penser à ce qui est meilleur pour l’ensemble de la société. Il serait en effet vain de débiter de brillantes théories qui ne peuvent être appliquées de manière universelle. Sachant que l’homme côtoie ses semblables au quotidien, ce sera nécessairement dans ces conditions qu’il puisse réfléchir sur la morale. En parallèle, l’organisation politique exige des normes incontournables afin que le maintien du pouvoir se conjugue avec l’harmonie sociale. À proprement parler, l’efficacité est le critère principal pour juger de la réussite d’un régime au pouvoir. Dans ce cas, l’avis du peuple importe peu bien que les mécontentements se fassent sentir de temps en temps. Le Prince de Machiavel souligne clairement cette réalité en ces termes : « Mais il faut savoir bien colorer cette nature, être grand simulateur et dissimulateur ; et les hommes sont si simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper ». La liberté de penser qui s’exerce individuellement ramène toutefois la conscience vers des considérations éthiques, et ce, indépendamment des censures de la presse et l’absence de la liberté d’expression. Peut-on faire taire la conscience morale face à des régimes totalitaires ? Ce questionnement sera traité de long en large à travers les trois paragraphes ci-dessous : premièrement, l’art de gouverner exercé dans la pratique conditionne une vie communautaire saine ; deuxièmement, les réflexions morales visent essentiellement le respect des droits fondamentaux ; et troisièmement, l’évaluation saine d’une politique se fait sous les critères de la morale.

I) La vie politique repose sur le rapport de commandement obéissance

En vivant en communauté, les hommes ont besoin d’un maître pour les diriger, c’est-à-dire pour représenter la volonté générale et l’exécuter au nom de tous. Sachant que les désirs et les priorités sont autant différents qu’il y a d’individus dans le groupe, il est compliqué de déterminer ce qui est meilleur pour tous. C’est pourquoi le représentant de l’Etat sera désigné selon une convention, ce qui signifie préalablement l’existence de valeurs identiques au sein du peuple. Néanmoins, celui qui se démarque dans ses capacités à diriger et à imposer ses idéologies sera d’emblée accepté comme étant le chef. Cette idée est illustrée par ce passage du Léviathan de Hobbes stipulant : « La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, (…) c’et de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leur volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté ». L’autorité du dirigeant et celle des lois sont alors les conditions nécessaires pour qu’il y ait une organisation politique, et cette dernière est d’ailleurs le pilier de la vie en société. Le commandement émis par le chef prend alors l’aspect d’un ordre à exécuter, d’une part parce que son pouvoir est tout à fait légal, et d’autre part parce qu’il est conforme aux lois en vigueur. Ainsi, la stratégie politique consiste à élaborer des lois qui reflètent indirectement la volonté du dirigeant, et à les proclamer par la suite comme étant au service de l’intérêt suprême de la Nation. Il n’y a donc rien d’illégal dans cette procédure, par le fait que le peuple a déjà délégué ses droits à son représentant pour penser à sa place, ce qui est mieux pour lui. Comme l’explique Montesquieu dans cet extrait de L’Esprit des lois : « Mais il s’en faut bien que le monde intelligent soit aussi bien gouverné que le monde physique. Car quoique celui-là ait aussi des lois qui par leur nature sont invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes ». Mais aussi, le chef d’Etat devrait songer à ce que ses propos ne révèlent point des contenus trop arbitraires ou absurdes, qui pourraient réveiller le soupçon de la plèbe et engendrer le refus d’obéir. Ainsi, l’exercice de la politique nécessite la considération de plusieurs paramètres, entre autres savoir ce qui plaît à la masse et, par conséquent, se forger une image qui se conforme à ces attentes. Tant que le peuple ne se révolte pas, cela signifie que le gouvernement en place peut subsister longtemps en toute stabilité. Tout au moins, l’on peut juger à travers cette situation que la stratégie du pouvoir a été efficace dans le sens où les lois et le degré de l’autorité ont été significatifs dans la réalité. « Si dans une Cité les sujets ne prennent pas les armes parce qu’ils sont sous l’empire de la terreur, on doit dire, non que la paix y règne, mais plutôt que la guerre n’y règne pas », déclare Spinoza dans son Traité politique.

Le peuple et le gouvernement entretiennent une relation harmonieuse tant que le pouvoir ainsi que les commandements qui en découlent sont légaux et légitimes. Mais selon l’observation de la saine raison, la prospérité d’une Nation ne se réduit pas à la force effective du pouvoir en place, car la qualité de vie est également d’une importance capitale.

II) La dictature est contraire aux principes du droit et de la liberté

La morale réfléchit sur la distinction entre le bien et le mal, et cette compréhension universelle permet d’ériger des principes communs pour avoir le désir et la volonté de vivre avec autrui. La politique, par contre, est une nécessité provenant de la vie communautaire dans son effectivité, ce qui se manifeste indépendamment des considérations morales. Autrement dit, il serait plus réaliste de concevoir une société caractérisée par l’immoralité, plutôt qu’une société dépourvue d’organisation politique. Ainsi, l’on rencontre plusieurs cas de dictature, où la population poursuit calmement ses activités quotidiennes sans s’entretuer. Mais afin de perpétuer ce régime, l’Etat doit faire usage de violence, que ce soit à travers les armes proprement dites ou la répression idéologique. Comme l’atteste clairement Kant dans son livre Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique : « Car chacune d’elles abusera toujours de sa liberté si elle n’a personne au-dessus d’elle pour exercer à son égard une puissance légale ». Pour juger si un régime dictatorial reflèterait le bien, il faudrait se référer à la définition prescrite par la morale : le Bien suprême consiste à conformer ses actions au devoir. Or, il est du devoir de chacun de respecter les lois et d’obéir aux commandements des dirigeants. Par contre, un Etat dictatorial n’a pas de devoir à rendre envers son peuple, parce qu’il estime que le souverain Bien se découvre déjà dans les idéologies qu’il véhicule. En principe, l’accomplissement du devoir est à l’origine du bonheur, mais à condition que le contenu de cette action reflète le Bien. Cela signifie que la soumission au devoir implique toujours une réflexion d’ordre moral, et non une obéissance mécanique. Cette idée rejoint celle que Hegel évoque dans son Encyclopédie des sciences philosophiques : « La réconciliation consiste en ce que la volonté retourne, en son résultat, à la présupposition de la connaissance, par conséquent elle consiste dans l’unité de l’Idée théorique et de l’Idée pratique ». Pour juger de l’efficacité d’un régime dictatorial, nous ne nous référons pas à la qualité de vie matérielle de la population. Il est vrai que certains dirigeants estiment l’enrichissement de la nation comme un objectif à atteindre, ce qui n’est utile que dans un régime démocratique où il est primordial de plaire au peuple. On peut alors en déduire que la dictature se cache derrière une apparence de moralité, en inculquant le sens du devoir et de l’obéissance à ses sujets, sans leur apprendre la notion de liberté qui est la base même de la moralité. Par conséquent, un régime politique peut très bien subsister avec ou sans la considération de la morale. Nietzsche, dans Par-delà le Bien et le Mal, disait d’ailleurs : « Il devra être la volonté de puissance incarnée, il voudra grandir, s’étendre, attirer à lui, arriver à la prépondérance, _non par un motif moral ou immoral, mais parce qu’il vit et que la vie est précisément volonté de puissance ».

Pour parvenir à ses fins, l’Etat peut user avec adresse de divers moyens qui bafouent la liberté individuelle, or les questions de liberté sont négligeables face à la stabilité de la société. Tout compte fait, en faisant abstraction de la morale, la politique devrait se munir de la force en permanence.

III) Le pouvoir basé sur la force a ses limites

La morale nous enseigne à faire le bien autour de nous, c’est-à-dire faire preuve d’altruisme, de bonté et de sympathie sans rien demander en retour. C’est le sens même de la notion de devoir, consistant à avoir une bonne volonté indépendamment du contenu de l’action. Orienté vers le domaine de la politique, l’on constate que les politiciens ne pensent qu’au prestige d’occuper ce poste hiérarchique. Cela dit, la politique considérée dans ses œuvres ne reflète aucun sens de moralité, puisque le devoir n’est pas le principal mobile des représentants de l’Etat. Cela se traduit par ce passage des Principes de politique écrit par Benjamin Constant : « La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commence l’indépendance et l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté ». Et pourtant, il n’est pas impossible d’imaginer et de concrétiser un Etat où le peuple et le dirigeant agissent selon les préceptes de la morale. Mais dans ce cas, le pouvoir perd son essence parce qu’il n’y a plus cette crainte issue de la hiérarchie et de la force qui fait obéir. Et par conséquent, le dirigeant ne règne pas sur les sujets, autrement dit il n’exerce en vérité aucun pouvoir. En présentant la morale comme étant à la base de la politique, plus personne n’aspire à être à la tête de l’Etat puisqu’il n’y a aucun intérêt à diriger une masse qui est naturellement soumise. Ainsi, l’hypothèse d’un État gouverné selon les principes moraux est réservée à un peuple sage, demeurant dans cet état en toute circonstance, ce qui est inexistant dans la réalité. Ce passage de l’Éloge de la philosophie de Merleau-Ponty conforte cette idée : « Avec Socrate, c’est autre chose. Il enseigne que la religion est vraie, et on l’a vu offrir des sacrifices aux dieux. Il enseigne qu’on doit obéir à la Cité, et lui obéit le premier jusqu’au bout. Ce qu’on lui reproche n’est pas tant ce qu’il fait, mais la manière, mais le motif ». Il est vrai qu’un peuple habitué à vivre dans la dictature semble certes obéissant et en paix avec le pouvoir en place. C’est une situation où la politique parvient efficacement à ses fins, mais elle exclut définitivement les considérations morales. La meilleure politique qui soit serait alors un peuple qui craint le chef, non pas parce que celui-ci a droit de vie et de mort sur chaque membre, mais pour sa capacité à prendre soin de la masse et l’autorité dont il fait preuve face aux méchants. C’est pourquoi Alain, dans son livre Propos sur les pouvoirs, écrit ceci : « À mesure que l’homme aurait appris, par nécessité, le respect des contrats et le prix de la fidélité, on aurait vu naître les vertus à proprement parler, la justice, le droit des faibles, la charité, la fraternité ».

Conclusion

La législation est le reflet de cette volonté commune à vivre dans la concorde, en bénéficiant des mêmes avantages malgré les différences de condition. Et pour juger de la pertinence d’une décision, le politicien observera si le mécanisme de commandement obéissance n’est point rompu. Dans un État de dictature, le dirigeant impose une idéologie unique qui, à proprement parler, n’est pas celle du peuple. Remarquons également que le système dictatorial ne voudrait en rien plaire au peuple, mais seulement de soumettre ce dernier par tous les moyens. Les actions des politiciens sont alors motivées par l’espoir de rester longtemps au pouvoir, et même si elles laissent apparaître un réel succès dans le développement de la nation. Nous admettons que la société idéale, bien qu’utopiste, est celle où la morale gouverne chaque membre de la communauté, et surtout le dirigeant. Le dirigeant doit-il être de nature supérieure à la masse pour être efficace ?

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