Dissertations

Le langage ne sert-il qu’à communiquer ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Si les objets sont considérés comme proches à l’intérieur d’un repère spatial, les hommes entretiennent une relation de proximité à travers leur degré de communication. Deux voisins de palier qui ne s’adressent pas des salutations, en guise d’ignorance volontaire, sont étrangers l’un l’autre, contrairement à deux personnes qui se font des confidences après une première rencontre. La complicité entre deux individus ne se fait pas forcément avec la parole, comme c’est le cas de la mère et du bébé qui est encore incapable de parler. Mais aussi, une communication même dépourvue de sentiments est tout à fait significative pour les deux interlocuteurs. Dans son livre Signification de la pragmatique universelle, Habermas écrit ceci : « De plus, il faut, pour que l’activité communicationnelle puisse se poursuivre sans accroc, tous les participants admettent que les prétentions à la validité qu’ils ont réciproquement émises l’ont été à bon droit ». La communication ne se limite donc pas à mettre en avant un émetteur et un récepteur, afin que les signes puissent se passer entre ces deux extrémités. Suffit-il qu’il ait langage pour que les hommes se comprennent  entre eux ? Nous allons répondre à cette problématique à travers les trois paragraphes qui suivent : premièrement, le système de signes créé par la pensée constitue le langage ; deuxièmement, le sens ne se dévoile qu’une fois que le langage ait été établi ; et troisièmement, le sens est le substrat qui rend la communication possible.

I) Le langage épouse la rationalité de la pensée

La compréhension du monde se fait à travers un ordre qui reflète avec clarté ses composants selon leurs natures respectives. Mais ce que l’on perçoit au premier abord dans le phénomène, c’est plutôt le désordre, c’est-à-dire des éléments confus qui se présentent sans explication. La pensée intervient donc pour connaitre le phénomène tel qu’il est, et sa méthode consiste à projeter sa nature raisonnable sur la forme du phénomène. Sachant qu’elle possède des concepts a priori pour connaitre son objet, il se peut que la pensée découvre quelque chose de nouveau qui ne cadre en rien à ce qu’elle avait rencontré auparavant. Ainsi, le phénomène sera considéré comme faisant partie de l’irrationnel, autrement dit impossible à expliquer de manière claire et distincte. Comme le fait remarquer Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : « Presque tout ce qui va au-delà de l’adoration d’un Être suprême, et soumission du cœur à ses ordres éternels, est superstition ». La solution pour comprendre le réel tel qu’il est serait alors de choisir un langage auquel il pourra s’identifier. Notons cependant qu’il serait vain de notre part de créer un langage idéal et universel qui se rapprocherait mieux de la réalité. Ce qui est déjà opérationnel ici et maintenant dans notre pensée, c’est déjà un langage : la tâche qui nous incombe est de concevoir un schéma basé sur la rationalité en usant des signes existants. La signification incluse dans ces signes demeure le même ; il n’est donc pas nécessaire d’en créer d’autres, car cela renvoie à multiplier les êtres dans le monde. Cette illustration fournie par Bergson dans L’Evolution créatrice appuie cette idée : « C’est cette illusion que nous avons essayé de dissiper, en montrant que l’idée de Rien, si l’on prétend y voir celle d’une abolition de toutes choses, est une idée destructive d’elle-même et se réduit à un simple mot ». La rationalité du langage consiste précisément à établir une connexion logique entre les signes, en tenant compte de la signification que ces signes suggèrent. Tel est alors le pouvoir de la raison sur le réel : trouver une forme de rationalité dans son objet afin qu’il puisse y avoir compréhension. La référence à laquelle renvoient les signes est facilement saisie à travers l’expérience, et la liaison entre la signification et l’objet concerné s’effectue par analogie et non par une règle fixe. Par conséquent, la signification ou l’attribution d’un nom à un objet reflète une certaine liberté, tandis que la logique du langage est toujours et déjà inscrite dans la rationalité. C’est pourquoi Wittgenstein déclare ceci dans ses Remarques philosophiques : « Il serait étrange que la société humaine ait parlé jusqu’à maintenant sans parvenir à constituer une proposition correcte ».

Le phénomène dévoile un aspect rationnel grâce à la logique du langage qui le désigne, et il nous est loisible de lui attribuer un signe en le classant parmi d’autres phénomènes semblables. Tout comme le signe qui renvoie à un sens extérieur à son apparence d’objet, la logique des propositions fournit également un sens au langage.

II) Le sens dépend du signe et de la connexion entre ces signes

Face à l’irrationnel, la pensée ne peut pas donner sens, et pourtant l’objet considéré comme tel ne change pas de lui-même pour être compris. C’est la pensée qui s’active de manière telle qu’il va concevoir un nouveau modèle de compréhension pour cet objet. On désigne alors un objet comme étant irrationnel lorsqu’il n’est pas compris, il s’agit donc d’un moment nécessaire afin que la pensée puisse opérer dans le cadre du devenir. Mais le langage ne peut pas être irrationnel car d’une part il est compréhensible, et d’autre part il recèle un sens via sa forme logique. Les signes contiennent un sens certes, mais ils offrent par la suite un sens à la proposition grâce à leur connexion logique. L’ouvrage Logique de Kant contient ce passage : « La Logique au contraire, en sa qualité de propédeutique universelle de tout usage de l’entendement et de la raison en général, (…) est seulement un Art universel de la raison, celui d’accorder des connaissances en général à la forme de l’entendement ». Le sens est donc la preuve par laquelle on peut affirmer qu’une proposition est vraie ou fausse, et c’est d’ailleurs la raison d’être du langage. Sachant que le signe et les règles de la logique constituent ensemble le langage, c’est seulement dans ces conditions que le sens se dévoile. En observant le réel sensible, nous sommes interpellés à signifier ce que nous voyons, c’est-à-dire que nous avons l’intuition d’un sens. Or, ce prétendu sens ne vient pas en premier car il est suggéré par des signes observables que nous pouvons interpréter. La présence conjointe de plusieurs signes forme finalement une proposition. Comme disait d’ailleurs Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale : « Bien que le signifié et le signifiant soient, chacun pris à part, purement différentiels et négatifs, leur combinaison est un fait positif ; c’est même la seule espèce de faits que comporte la langue, puisque le propre de l’institution linguistique est justement de maintenir le parallélisme entre ces deux ordres de différences ». D’emblée, nous désignons une réalité comme quelque chose d’irrationnel lorsque nous ne voyons aucun signe distinctif ou aucune connexion logique dans la proposition. S’il est possible d’élaborer une logique propre à un langage, nous ne pouvons pas d’emblée imposer la signification d’un symbole selon notre volonté personnelle. Afin qu’une réalité ne soit pas considérée comme irrationnelle, il faut donc changer de système en adoptant un autre langage. Remarquons que le langage forme un système clos, fini et différent d’un autre système, et qui n’est plus susceptible de modification. Par conséquent, le sens découvert dans un système de langage est nettement différent du sens produit par un autre système. Dans ses Principes de la philosophie du droit, voici la déclaration faite par Hegel : « En ce qui concerne l’individu, chacun est le fils de son temps. Il en est de même pour la philosophie : elle saisit son temps dans la pensée ».

L’irrationalité est incapable de produire un sens, et ce terme signifie d’ailleurs une absence de sens, c’est pourquoi il n’y a pas de langage irrationnel. Dans le concret, l’irrationalité renvoie à une incompréhension dans le dialogue, donc l’impossibilité de la communication.

III) Le rôle du langage est de créer du sens

Nul ne pourrait prouver l’existence du langage s’il n’y avait pas de communication qui établit l’universalité de sa compréhension. La communication joue un rôle social, donc elle est particulièrement utile dans le sens où elle transfère les idées entre les individus. Tout comme l’agir, la communication vise l’efficacité en vue d’adapter le monde selon les aspirations des hommes. Afin de parvenir à cet objectif, les idées communiquées doivent convaincre le grand nombre, c’est-à-dire que les idées personnelles qui ne sont pas bénéfiques pour tous ne remplissent pas le rôle de la communication. Par la persuasion, la plèbe peut être convertie dans cette nouvelle vision, mais cette démarche aboutit seulement après des étapes révolutionnaires. Cette affirmation de Merleau-Ponty extrait de Sens et non-sens le confirme : « Les hommes qui font une révolution croient résoudre un problème posé dans les choses, il leur semble que leur volonté prolonge une exigence ou répond à une sollicitation de leur temps. Il n’est, bien entendu, pas sûr qu’ils aient raison ». Les individus sont intéressés par une communication à condition qu’ils partagent ne serait-ce que quelques points communs avec l’interlocuteur. Il faut alors que les deux partis partent d’une même base afin que le dialogue puisse avoir lieu, et que le sens auquel renvoient les signes soient connus d’avance. En profondeur, ils doivent également parler le même langage pour déduire un sens commun concernant l’objet de la discussion. Cela dit, le dialogue est la recherche d’une vérité unique dans le cadre du langage, et une vérité consiste en une convergence de point de vue concernant un objet. Un dialogue qui se heurte constamment à une fausseté n’a pas de sens, ce qui veut dire que la recherche du sens va en parallèle avec la recherche de la vérité. Comme l’atteste cet extrait de l’Essai philosophique concernant l’entendement humain  de John Locke : « Dira-t-on qu’ils ont une idée innée de Dieu, dès lors seulement qu’ils s’accordent sur le nom qu’ils lui donnent ? » Toutes les propriétés du langage restent valables même si l’homme s’abstient de communiquer avec ses semblables. La communication est un acte de la volonté, tandis que le langage qui découle de la nature humaine est un acte de la pensée. Le langage est l’œuvre de la pensée, il lui est inséparable et reste à jamais à son service. Effectivement, rien ne peut substituer le langage dans la communication, or sa mission principale est de créer du sens, que ce dernier soit personnellement ou communément admis. Puisqu’il n’y a jamais eu de langage irrationnel, alors il assure pleinement ce rôle communicatif. Et puisque tout langage est rationnel, alors il est automatiquement compréhensible par tous les êtres doués de raison, sans pour autant exiger une communication. Noam Chomsky, dans son livre Le langage et la pensée, évoque la remarque suivante : « C’est grâce à cette liberté face au contrôle du stimulus que le langage peut servir d’instrument de pensée et d’expression individuelle, comme il sert non seulement chez les gens exceptionnellement doués et talentueux, mais aussi, chez tout être humain normal ».

Conclusion

Un langage est le schéma par lequel la pensée présente une idée, notamment l’assemblage cohérent des signes pour faire prévaloir une réalité donnée. La compréhension d’un langage se révèle donc dans sa forme logique, car le choix des signes est toujours approprié selon une convention préétablie. Le problème qui se pose serait alors de savoir lequel du langage et du sens vient en premier : en effet, le sens demeure flou tant qu’il n’est pas encore formulé dans un langage. Cela dit, il n’y a pas d’objet irrationnel en soi, tout comme le rationnel qui ne peut pas être fixé dans un seul modèle de langage. Une fois que le langage est élaboré, on ne peut pas le récuser comme incompréhensible, et encore moins l’objet qu’il désigne. La communication est alors une application du langage dans le concret, mais elle ne constitue pas pour autant la raison d’être de celui-ci. L’universalité de la raison implique-t-elle une universalité du langage ?

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