Dissertations

Discuter, est-ce renoncer à la violence ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’amour du prochain implique divers comportements nouant des liens affectifs, non seulement pour les amis proches ou les membres d’une famille, mais aussi pour un individu quelconque. Engager un dialogue est le premier pas qui consiste à concrétiser cet amour, un geste qui prouve que je ne suis pas indifférent à la présence d’autrui. Le but est alors de pallier les différences, de se comprendre mutuellement malgré les écarts de point de vue, ce qui signifie que l’amour qu’on porte à autrui est le fruit d’une convention. Deux personnes ne peuvent entretenir une relation amicale sauf s’ils parviennent à engager une discussion mesurée. Comme disait ce passage de la Logique de la philosophie d’Eric Weil : « En vérité, le problème qui se pose à celui qui cherche la nature du dialogue n’est nul autre que celui de la violence et de la négation de celle-ci ». En effet, les tensions étaient potentiellement enfermées en chacun de nous, c’est pourquoi il faudrait cultiver l’amour du prochain afin de permettre un vivre-ensemble harmonieux. Existe-t-il un dialogue qui vise uniquement la communication des idées, et ce, de manière neutre ? Afin de décortiquer cette problématique, nous allons dresser un plan à trois parties : le premier expliquera le langage comme schéma logique liant la pensée et le réel ; le deuxième évoquera le côté humain qui intervient dans la communication ; et le troisième conclura que les comportements violents sont compris comme un type de langage particulier.

I) Le langage contient une représentation logique du réel

Les hommes se communiquent entre eux parce qu’ils ont conscience du monde et forment à cet effet des idées le concernant. Débutant par une pensée intérieure, le langage consiste en un dialogue avec soi-même, c’est-à-dire une reconnaissance entre la pensée et la conscience d’objet. Si le langage est une constitution de signes symbolisant chacun une réalité extérieure, il s’opère tout d’abord comme une activité personnelle, de sorte qu’elle s’apparente de près à la pensée elle-même. Toutefois, le langage ne peut pas tourner à vide, autrement dit il n’est pas une forme pure qui peut s’exprimer abstraitement comme la mathématique ou la logique. Ainsi, il ne se réduit pas à un simple calcul rationnel, même s’il fait usage exclusivement de signes et de connexions logiques. C’est pourquoi Jean Cavaillès souligne ce passage dans son livre Axiomatique et système formel : « Si la logique disparaît comme discipline autonome, on ne peut plus définir que négativement son rôle par élimination de celui des intuitions concrètes, garanties à la fois de la fécondité et de la sûreté des raisonnements ».  A proprement parler, il est toujours placé au milieu d’objets qui se présentent à lui comme phénomène. Cependant, une chose qui n’a pas de sens ne l’interpelle pas, il n’en a même pas conscience. Ainsi, c’est le phénomène qui lui suggère ce qui doit être dit, de manière telle que le sens est déjà compris mais sans une forme préétablie pour l’exprimer. C’est ainsi que se manifeste la richesse du langage, car la pensée possède mille moyens pour dévoiler un sens en combinant des signes phonétiques. Et pourtant, le sens ne s’enrichit pas et ne s’appauvrit pas, il reste compréhensible par toute pensée qui détient la même structure rationnelle. « Il y a rationalité, c’est-à-dire : les perspectives se recoupent, les perceptions se confirment, un sens apparaît », écrit Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception. Cela dit, il faut rappeler que la logique de la pensée ne parviendrait à donner une forme compréhensible au langage que si le réel était déjà lui-même rationnel. Le constat selon lequel le monde serait un chaos renvoie à un langage irrationnel, ou alors à une incohérence entre celui-ci et son objet. Quant à la forme logique du langage, cela se manifeste uniquement lorsque la proposition est désormais élaborée : c’est la pensée qui l’impose comme telle et il n’y a pas d’autre possibilité d’expression à part ce que le langage offre comme rationalité. Quelque chose d’irrationnel, c’est-à-dire impensable, est alors incompatible avec une formulation à travers le langage. Comme l’atteste cet extrait des Questions II de Heidegger : « Au moment où nous révoquons en doute que la philosophie puisse être caractérisée comme un comportement rationnel, il devient de la même manière douteux que la philosophie appartienne au domaine de l’irrationnel ».

Il faut que la pensée découvre le réel comme étant rationnel afin que celle-ci lui trouve un sens et puisse l’exprimer dans un langage. Néanmoins, le langage est également revêtu de sentiments et d’intentions dépassant le simple désir de s’exprimer.

II) Le langage est à la base de toutes les relations interpersonnelles

Le mensonge se dévoile dans un langage clair et distinct, c’est-à-dire qu’il suit correctement les règles de connexion logique des signes. Et pourtant, personne ne s’aperçoit, à travers la seule appréhension des mots et des phrases, qu’il ne supporte pas un contenu vrai. Issu d’une volonté et exécuté en toute conscience, le mensonge prouve que le langage est un acte purement humain et révèle précisément les qualités de l’homme en particulier. Non seulement il élabore son langage de façon formelle, mais aussi il détermine son contenu de façon à lui servir dans ses objectifs. Bien qu’on puisse découvrir par certains moyens la vérité ou la fausseté des propositions, cela n’altère en rien l’essence du langage. Quine, dans son ouvrage Les deux dogmes de l’empirisme, souligne la remarque suivante : « Aucune expérience particulière n’est, en tant que telle liée à un énoncé particulier situé à l’intérieur du champ, si ce n’est à travers des considérations d’équilibre concernant la totalité du champ ». Par l’existence du mensonge, il s’avère alors légitime pour l’homme, tant que cela lui est bénéfique, d’insérer dans son langage un contenu qui ne reflète pas la réalité. Ce droit de ne pas dire la vérité renvoie en effet à une intention à gagner un plus grand bien ou à viser un mal pour autrui. Mais aussi, nous avons le droit au silence, ce qui est un autre moyen d’esquiver la vérité, car cette dernière n’est pas toujours bénéfique à tout le monde.  Remarquons également que c’est par le langage que les problèmes se résolvent, de sorte que les interlocuteurs perçoivent dans cette approche une sollicitation envers autrui. Dans son ouvrage Signification de la pragmatique universelle, Habermas affirme ceci : « Cela étant, ceux qui participent à la communication peuvent aussi s’entendre sur quelque chose qui existe dans le monde, comme ils peuvent rendre compréhensible l’un à l’autre la nature de leurs intentions ». Le langage est un vecteur d’influence qui suscite les autres à agir ou à penser autrement, donc c’est le point de départ pour transformer le monde. La manipulation des autres est par conséquent très efficace via le langage, ce qui se manifeste notamment par différents maquillages agrémentant son apparence extérieure. En effet, les sentiments sont immédiatement touchés à travers la douceur de la voix et les vocabulaires utilisés, ce qui peut cacher les malveillances de l’interlocuteur. Ainsi, le langage est une communication de sentiments entre les individus et pas seulement un support d’informations sur le monde extérieur. Voici une illustration faite par Descartes dans un Jugement de quelques lettres de M. de Balzac : « Il y a eu, à la vérité, dans les grands hommes, une certaine force d’éloquence qui avait quelque chose de divin, laquelle, provenant de l’abondance du bon sens et du zèle de la vérité, a retiré des bois les hommes à demi sauvages, leur a imposé des lois, leur a fait bâtir des villes, et qui n’a pas eu plus tôt la puissance de persuader, qu’elle a eu celle de régner ».

Les hommes se servent du langage pour exprimer leur personnalité, mais aussi en guise de manipulation vis-à-vis des autres. Par conséquent, la violence peut toujours surgir puisque le langage est essentiellement destiné à dissimuler les erreurs et les malveillances.

III) La violence passe sous silence derrière le langage

Etant donné que la première approche qui s’effectue entre les hommes se fait par le langage, les individus espèrent de bonne foi avoir la paix en discutant. Des propositions qui ne reflètent aucune contradiction en termes de logique ne laissent apparaître aucun soupçon dans sa vérité, et seront perçues comme un dialogue sain. Mais dans ce cas de figure, il n’y a aucun signe pour détecter si le contenu du discours est réellement vrai, sauf en faisant des investigations directes dans la réalité. Cela dit, le langage se présente comme une apparence, puisque c’est par la confiance qu’il s’établit et se perpétue, donc les soupçons sont aussitôt écartés. Comme le confirme cette citation de Berkeley issue de ses Dialogues entre Hylas et Philonous : « Si nous nous débarrassons des mots, on ne trouvera aucune notion de ce que vous appelez l’actualité d’une existence absolue ». Ces deux extrêmes, à savoir la dispute ou la discussion, font tous partie du langage tel que l’individu voudrait l’utiliser pour ses fins. Remarquons que l’exercice de la violence est bien plus efficace lorsqu’elle se fait dans la simulation, et le langage peut assurer pleinement ce rôle. Une dispute n’est pas forcément violente pour les deux partis concernés, parce que c’est un moyen d’éclaircir la situation selon leurs volontés respectives. Mais dans un dialogue en apparence sain, la manipulation s’y développe à coup sûr et cela répond pertinemment à la définition même de la violence. En effet, est violent les traitements injustes auxquels l’autre parti ne peut se défendre, et surtout dont il n’a même pas conscience des manipulations qu’on lui fait subir. Alain conforte cette idée à travers cet extrait du livre Le citoyen contre les pouvoirs : « Et l’ensemble de la guerre est ordonné selon l’obéissance, non selon la violence ; sans haine, sans colère, sans esprit de vengeance ». D’une manière générale, les gestes et comportements qui sont des non-dits assurent également la fonction du langage, ce qui présume des intentions particulières. Il existe alors des langages non verbaux qui sont faits pour exprimer exclusivement la violence, et qui n’engagent aucune discussion ou compromis. Tout compte fait, la discussion est une arme à double tranchant, pouvant à la fois servir de simulation pour la violence, et de réconciliation en vue de rétablir la paix. Le langage, pour sa part, est un assemblage de signes destiné à l’interprétation, et dont la forme se dévoile de manière verbale ou non. La discussion fait partie du langage verbal, qui ne se limite pas à une simple communication des idées, mais s’accompagne d’un rôle à jouer en guise de persuasion à l’interlocuteur. Dans L’Être et le Néant de Jean Paul Sartre, il et écrit ce passage : « L’homme qui lui parle lui semble sincère et respectueux comme la table est ronde ou carré, comme la tenture murale est bleue ou grise ».

Conclusion

Le langage, que ce soit en pensée ou exprimé verbalement, n’est activé que lorsque le sujet est environné de sens à l’intérieur du monde physique. Ainsi, la pensée n’invente rien, et bien que les signes soient issus d’une pure création, il s’agit plutôt d’une imitation du réel afin qu’il n’y ait point d’arbitraire dans ces signes. En effet, la pensée passe avant l’action, or la pensée n’est valable que s’il y a langage, et ne rien dire renvoie déjà à une préméditation des actions à venir. Lorsque l’homme fait usage du langage, il ne se positionne jamais de manière neutre, car cette communication signifie qu’il est important que l’idée soit partagée par tous. Lorsque l’homme fait usage du langage, il ne se positionne jamais de manière neutre, car cette communication signifie qu’il est important que l’idée soit partagée par tous.  Grâce aux mots et aux gestes bien choisis, la discussion écarte toute tentative de violence, sinon elle aurait pu s’estomper ou se poursuivre ; car une dispute n’est en rien une discussion. Une violence est alors d’autant plus manifeste lorsqu’il n’y a pas de signes extérieurs qui prouvent son existence. Un langage véhiculant un mensonge serait-il légitime ?

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