Dissertations

Le bonheur est-il une illusion ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Si on demande à chacun de nous l’unique chose qui importe le plus pour nous, nos réponses convergeront nécessairement vers le bonheur. Que nous voudrions beaucoup d’enfants, que nous souhaitions une promotion au bureau, que nous aspirons à monter vivant au ciel, ces désirs seraient vains si nous n’avions supposé au préalable que cela nous rendrait heureux. Mais aussi, il y a des gens qui ont une préférence particulière pour la mort, parce qu’ils se font une idée merveilleuse à propos de ce chemin vers le néant. Ainsi, l’idée de bonheur embrasse des champs très vastes qu’il serait impossible de la synthétiser dans une seule définition. Voyons par exemple ce passage du livre Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer : « Allez frapper aux portes des tombeaux et demandez aux morts s’ils veulent revenir au jour : ils secoueront la tête d’un mouvement de refus ». Même le néant peut très bien devenir une source de bonheur, telle que l’homme puisse le concevoir. D’ailleurs, la plénitude peut tout à fait nous rendre heureux, ce qui signifie que le bonheur ne repose finalement sur rien. Serait-il légitime de renoncer à la quête du bonheur ? Nous allons répondre à cette problématique à travers les trois paragraphes qui suivent : d’une part, seul l’homme peut comprendre la notion du bonheur ; d’autre part, la frontière qui sépare le bonheur et la misère et très subtile ; et pour terminer, le bonheur est connu à travers divers concepts mais ne peut être vécu dans le concret.

I) Le bonheur est plus qu’un simple plaisir corporel

Petits et grands sont capables de comprendre le bonheur, et l’ont déjà expérimenté ne serait-ce que pendant un court instant qui a marqué leur existence. En ce qui concerne son contenu, il diffère en fonction du temps, du statut de l’individu ou encore de son niveau intellectuel. Néanmoins, je n’ai pas le droit d’accuser autrui sur ses motifs dans l’accès au bonheur, puisque je considère que la nature de son bonheur est tout à fait semblable au mien. Comme c’est le cas de la communication par le langage, l’homme ressent une intuition selon laquelle le bonheur se comprend de façon universelle. Cette analogie est une manière de penser propre à l’homme, ce qui signifie que le bonheur lui-même est ce qu’il y a de plus humain. Hume disait d’ailleurs ceci dans son Enquête sur l’entendement humain : « Un bien trivial peut, en raison des circonstances particulières, produire un désir supérieur à celui que suscite le contentement le plus considérable et le plus estimable ». Sachant que les besoins corporels sont ce qu’il y a de plus commun aux êtres humains, et que leur assouvissement procure un réel soulagement et tranquillité, mais ce sont des mécanismes qui se produisent régulièrement et naturellement chez tout animal. C’est pourquoi le bonheur est quelque chose de recherché, et même derrière ces fonctions les plus normales dans le corps de l’homme, on peut supposer que sa réalisation apporte du bonheur. A proprement parler, l’apaisement de la faim ou du désir sexuel n’est pas le bonheur proprement dit, mais plutôt l’idée qu’elle accompagne dans sa réalisation. Et pour preuve, être constamment rassasié ou demeurer chaste peuvent être aussi la source d’une frustration immense. « L’être individuel, qui se considère lui-même comme l’essentiel et ne voit dans sa sexualité qu’un moyen de satisfaction parmi tant d’autres, ne forme, au point de vue biologique, qu’un épisode dans une série de générations, qu’une excroissance caduque d’un protoplasma virtuellement immortel », constate Freud dans son Introduction à la psychanalyse. Toutefois, ce sentiment présente un aspect particulier dans le sens où ce qui a été vécu comme bonheur ne peut être reproduit volontairement selon les mêmes conditions. Mais s’il était tout simplement le fruit d’un hasard inopiné, alors nous pouvons nous résoudre que le bonheur serait humainement inaccessible et serait un don du Tout puissant. En effet, il y a des choses dans ce monde qui dépendent de notre volonté et d’autres qui ne le sont pas. C’est dans ces conditions que nous pouvons comprendre la manifestation du bonheur, et même cette difficulté qui renferme un aspect mystérieux suscite davantage le désir de le connaître et de le vivre. Ainsi, il est tout à fait humain de désirer des choses inaccessibles, et plus encore de rechercher désespérément le bonheur. C’est en ce sens que Lucrèce énonce ceci dans son ouvrage De la Nature : « Si les hommes, comme ils semblent sentir sur leur cœur le poids qui les accable, pouvaient aussi connaître l’origine de leur mal et d’où vient leur lourd fardeau de misère, ils ne vivraient pas comme ils vivent trop souvent ».

Dans ce bas monde, les projets et les activités pour nous épanouir en tant qu’homme ne manquent pas, mais les satisfactions que cela engendre ne peuvent pas être assimilées au bonheur véritable. Il en est de même pour son opposé, à savoir le malheur, dont l’explication est tout aussi confuse et changeante.

II) Un malheur de courte durée suffit pour anéantir des projets heureux

L’homme peut être insensible devant la succession de phénomènes effroyables, mais il peut trembler de tout son être par une seule pensée dont la réalisation est improbable. Les querelles entre nos semblables sont causées notamment par des divergences d’idées, et nous nous sentons tellement offensés par le fait que les autres dénigrent notre façon de voir les choses. Ainsi, plus l’homme débite des idées profondes et peu communes, plus il se sent incompris et rejeté, d’où son malheur. Et surtout, les choses qui ne sont plus mais qui l’ont frustré auparavant constituent une source intarissable de douleur quotidienne. Il est vrai que l’homme connaît le pardon, mais il sait aussi que le pardon est une manière d’oublier, de se consoler ou de compenser le mal par autre chose, ce qui n’enlève en rien à ce qui s’est passé. Comme disait Machiavel dans Le Prince : « Mais surtout il ne doit pas toucher au bien d’autrui, car les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine ». Certains penseraient que l’homme est naturellement mauvais, donc il serait tout à fait juste qu’il subisse tellement de maux, quelles qu’en soient les causes. Par conséquent, il ne mérite pas d’être heureux et ses efforts pour atteindre le bonheur sont vains. S’il hésite à définir avec exactitude ce qu’est réellement le bonheur, il ne doute point à affirmer que le malheur qu’il vit est un enfer dont il se souviendra à jamais. En effet, les joies et les plaisirs sont seulement de courte durée, car ils ont besoin d’un stimulant toujours présent pour être effectifs, et leurs souvenirs n’engendrent pas la même intensité que dans le vécu. Cela se traduit par cet extrait des Pensées de Pascal stipulant : « L’homme, quelque pleine de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement le voilà heureux pendant ce temps-là, et l’homme quelque heureux qu’il soit s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement, qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux ». Cela dit, le malheur se reconnaît et se vit de manière évidente, mais le bonheur demeure inconnu par le grand nombre. La raison serait en effet la recherche de la perfection qui est une qualité essentielle, telle que l’entendement humain puisse le concevoir, pour déterminer le bonheur. Pourtant, toutes les imperfections, aussi minimes soient-elles, sont capables de ternir le cœur et la pensée de l’homme. Autrement dit, le malheur est bien plus réel que le bonheur lui-même, et personne n’oserait avouer que ces chagrins et ces douleurs seraient des illusions issues de la pensée. Cela est prouvé par cette citation tirée de L’Utilitarisme de John Stuart Mill disant : « Un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il peut viser, quel qu’il soit _le monde étant fait comme il l’est _est un bonheur imparfait ».

Selon la conception humaine, seul un bonheur parfait peut être considéré comme un bonheur véritable, tandis que le mal est toujours et déjà marqué par le sceau de l’imperfection. Le concept de bonheur paraît alors très clair dans la pensée, or sa réalisation nécessite un changement radical des choses dans le monde et de l’homme lui-même.

III) Il est légitime de penser à des choses qui n’arriveront pas

Sont imparfaites les choses qui ne concordent pas avec les attentes de l’homme, mais aussi celles qui sont élaborées par sa pensée. Ainsi, le malheur n’a de sens qu’à travers la position de l’homme par rapport aux choses. En se demandant alors s’il est possible d’atteindre le bonheur, cela revient à savoir si la nature humaine peut être autrement. Comme il est illusoire de vouloir changer intégralement le monde, il l’est également pour ceux qui pensent que le bonheur se crée volontairement par la pensée. Nous ne pouvons pas être heureux rien par le seul fait d’y penser : il faudrait que des conditions soient remplies pour pouvoir le vivre concrètement. Le côté illusoire repose donc sur le fait qu’en pensant constamment au bonheur, c’est comme s’il est déjà certain que cela arriverait. Kant disait d’ailleurs dans sa Critique de la raison pure : « Mais je suis plus riche avec cent thalers réels qu’avec leur simple concept (c’est-à-dire qu’avec leur simple possibilité) ». En effet, l’homme trouve un certain plaisir à se créer une autre personnalité dans un monde imaginaire. C’est une sorte de divertissement qui nourrit le quotidien des petits et grands, sans que cela puisse être assimilé au bonheur véritable. Par ailleurs, si l’homme se résigne sur le fait que le bonheur est quelque chose de vraiment inaccessible, alors sa consolation lui procure une paix intérieure. Néanmoins, il est dans l’obligation de rechercher cette tranquillité afin de pouvoir continuer à vivre, et ce côté pragmatique n’est non plus affilié avec le bonheur. Cette idée est appuyée par cet extrait de l’ouvrage L’imaginaire de Sartre : « L’objet imaginaire peut être posé comme inexistant ou comme absent ou comme existant ailleurs ou ne pas être posé comme existant ». Et puisque son objet lui-même est supposé comme inexistant, nous pouvons alors en déduire que le bonheur ne peut pas exister en conséquence. Pour ceux qui se disent ayant connu le bonheur, ils ont trouvé la perfection qu’ils recherchaient, même si cela consiste en un lot d’imperfections révélant une parfaite harmonie. Il serait prétentieux d’affirmer que tout chemin mène vers le bonheur, car parmi toutes ces possibilités il existe des bonheurs illusoires. L’illusion renvoie à un concept erroné que le sujet voudrait occulter par une conviction aveugle. C’est dans ce cadre de réflexion que ce passage de La généalogie de la morale de Nietzsche prend toute sa signification : « L’homme le plus vaillant, le plus apte à la souffrance de tous les animaux, ne rejette pas la souffrance en soi : il la cherche même, pourvu qu’on lui montre la raison d’être, le pourquoi de cette souffrance ».

Conclusion

Le bonheur se comprend comme un parfait accord entre les choses du monde et ma propre volonté, une situation qui ne peut être comblée uniquement avec des biens matériels. Les divers contenus du bonheur dépendent alors de chacun de nous, certains sont jugés bons, d’autres nuisibles, mais cette évaluation n’a pas d’impact majeur sur la qualité ou l’intensité du bonheur qui en résulte. Et pourtant, c’est le malheur qui est le compagnon fidèle de l’homme dans son quotidien, se manifestant par plusieurs formes, mais qu’il ne parvient pas à s’en débarrasser. Tout un chacun sans exception a déjà vécu un malheur, mais nombreux avoueront également qu’ils n’ont pas encore connu le bonheur. A la longue, l’espoir peut se transformer en illusion, ce qui est nettement différent de l’imagination ou du rêve, qui est une fonction indispensable pour notre équilibre psychologique. Ainsi, le concept du bonheur est très clair dans la pensée, mais c’est son objet qui est posé comme imaginaire. La souffrance serait-elle un passage obligatoire vers le bonheur ?

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Toute La Philo

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