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Sommes-nous d’autant plus heureux que nous sommes libres ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’homme est un être complexe qui a conscience de ses défauts, mais également des imperfections présentes dans le monde. L’insatisfaction, quel qu’en soit le degré, engendre un mal être dont le remède le plus efficace est une satisfaction selon la situation désirée. Et pourtant, l’homme n’est pas en mesure de corriger toutes ses erreurs, donc le bonheur qu’il pourra rencontrer dans ce bas-monde ne serait alors que partiel. Cela dit, il est des choses que l’homme ne pourra jamais avoir mais qu’il désire ardemment, tandis qu’il est également des choses qui sont rattachées à lui et qu’il déteste plus que tout. Mais il est une chose que nous détenons et que personne ne peut nous l’arracher, à savoir la liberté. Cette idée est illustrée par cette citation tirée de La République du silence de Jean-Paul Sartre : « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande. Nous avions perdu tous nos droits et d’abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse, comme travailleur, comme Juifs, comme prisonniers politiques ». Quelle que soit la situation, nous pouvons toujours compter sur notre liberté, qui est plus qu’un droit à nos yeux. La liberté peut-elle effacer tous les vices qui sévissent notre existence ? Afin de traiter cette problématique, nous allons adopter les trois paragraphes qui suivent : premièrement, la liberté constitue l’essence de l’homme ; deuxièmement, ce concept abstrait se distingue diamétralement du pouvoir d’agir ; et troisièmement, la conscience de la liberté nous engage dans plusieurs responsabilités.

I) L’homme est ce qu’il est parce qu’il est libre

Les actions et les intentions de l’homme reflètent son désir de prouver sa liberté, et tout d’abord à se le prouver à soi-même. Le contraire de la liberté est l’esclavage, c’est-à-dire la perte du droit à disposer de son corps, de sa pensée et de tout ce qui est rattaché à son être, selon sa propre volonté. Toutefois, le concept de liberté n’est pas assimilé à celui du droit, ce dernier est au contraire rattaché à la reconnaissance d’autrui. Ainsi, ce n’est pas à travers le droit de tout faire que notre liberté s’acquiert : c’est plutôt par la conscience selon laquelle je suis maître souverain de ce que je suis. La liberté commence tout d’abord dans cette conscience de son être, ce qui est la première chose qui ne dépend de personne ni de rien. « Car avoir un sens, de quelque manière qu’on le prenne c’est se rapporter à autre chose. « Je suis » est antérieur à tout sens ; mais sans ce « je suis », il n’y a pas de sens du tout », disait Eric Weil dans sa Logique de la philosophie. Dans le cours de l’existence, nous pouvons déceler des relations de cause à effet sur lesquelles on aurait pu rompre pour changer ce qui est. Mais même si la volonté humaine était présente, elle fait déjà partie de cette nécessité qui a fait en sorte que la liberté se dévoile comme telle. La liberté humaine se manifeste également dans sa volonté à agir ou à ne pas agir, de sorte que les influences de toutes sortes ne font que renforcer sa capacité à disposer de lui-même. Et même dans l’impossibilité d’agir, le fait de comprendre les causes et de décider en conséquence est la plus grande liberté qui soit. En somme, la liberté est intimement rattachée à l’existence : tant que nous avons conscience de notre être, nous disposons d’une liberté que personne ne peut contraindre. Comme l’explique Schelling dans ses Recherches sur la liberté humaine : « Pouvoir se décider, sans aucune raison déterminante, pour A ou non-A, ne serait, à vrai dire, qu’une prérogative à agir de manière tout à fait irrationnelle, et elle ne serait guère à l’avantage de l’homme ». En réalité, c’est la pensée qui se sait libre et non le corps, ce qui signifie que le contraire de la liberté, à savoir la contrainte, est tout à fait concevable par la pensée. En essayant de me connaître moi-même, l’idée selon laquelle nous existons pour la liberté devient alors une évidence pour moi. En d’autres termes, la liberté est une idée abstraite que nous extériorisons par différents signes, mais le signe lui-même n’est pas la liberté. Toute action peut être considérée comme la manifestation de la liberté, et même les revendications pour l’obtenir signifient qu’il faut l’exhiber via une marque extérieure. En tout cas, la reconnaissance de la liberté se fait d’emblée par la pensée, et les signes extérieurs varient en fonction des circonstances. Jean Jacques Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, disait ceci : « La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer ou de résister ; et c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme ».

L’effet conjoint de l’existence et la pensée de celle-ci nous fournit l’idée de la liberté, qui est à la fois vécue par la conscience et concrétisée par des signes observables. Toutefois, la liberté ne présente pas un rapport de nécessité avec le bonheur, puisque ce dernier inclut divers paramètres pour pouvoir se réaliser.

II) Le vide de l’existence doit être rempli par la liberté

La liberté est semblable à une expression mathématique qui peut être affiliée à des contenus les plus variés. Une fois que nous nous considérons comme libres, cette puissance intérieure voudrait se déployer à travers diverses manifestations concrètes. En effet, la conscience de la liberté devrait avoir un lien direct avec les autres entités de l’existence, afin qu’elle puisse véritablement servir à l’homme. Tout comme l’être qui se dévoile en différents modes d’être, la liberté humaine doit également s’accompagner d’un signe qui porte à la connaissance d’autrui sa réalité. C’est en ce sens que l’homme souhaite prouver sa liberté, il voudrait que cette conscience ait des impacts sur l’ensemble de son existence. Dans L’évolution créatrice, Bergson s’exprime ainsi : « Enfin je ne puis me défaire de l’idée que le plein est une broderie sur le canevas du vide, que l‘être est superposé au néant, et que dans la représentation de « rien » il y a moins que dans celle de « quelque chose » ». La différence entre un homme libre et une esclave ne se limite pas dans le stade de la conscience : il ne suffit pas d’y penser pour qu’une personne détienne tel ou tel statut. Ainsi, un homme qui revendique sa liberté l’a déjà dans son for intérieur, mais il désire que cette liberté se transforme en droit. Autrement dit, il voudrait acquérir davantage de droits parce qu’il a conscience de sa liberté. Mais puisque ces deux notions ne s’équilibrent pas sur un même niveau, vient alors la frustration par le fait que sa liberté a été froissée. A travers cette incapacité, il ressent encore plus fort le vide de l’existence et tentera autant qu’il pourra de retrouver sa liberté. Cette idée va de pair avec cette citation des Manuscrits de 1844 de Karl Marx : « Ce que je ne puis en tant qu’homme, donc ce que ne peuvent toutes mes forces essentielles d’individu, je le puis grâce à l’argent. L’argent fait donc de chacune de ces forces essentielles ce qu’elle n’est pas en soi ; c’est-à-dire qu’il en fait son contraire ». Certes, la pensée y intervient mais seulement pour renforcer l’aspect matériel, ce qui signifie que la liberté devrait se concrétiser dans la vie quotidienne. Sachant que le droit reflète encore une apparence abstraite, c’est plutôt par le pouvoir que l’homme voudrait exprimer sa liberté. En effet, le pouvoir renvoie directement à l’agir, et les conséquences en sont directement observables. Or, l’expérience atteste que les hommes diffèrent entre eux par le droit et le pouvoir, alors qu’ils prétendent unanimement avoir la même liberté. Ainsi, les sources du malheur de l’homme se trouvent expliquées par cette ambiguïté concernant la manifestation de la liberté. « De même la liberté, quand on l’oppose à la nécessité, n’est rien de plus que l’absence de cette détermination et un certain relâchement, une certaine indifférence dans le passage de l’idée d’un phénomène à l’idée d’un phénomène conséquent », explique Hume dans son Enquête sur l’entendement humain.

L’homme ne parvient pas à trouver le bonheur parce qu’il confond le fait d’être libre par la pensée et la détention d’un pouvoir souverain sur toutes les choses. Ainsi, il est des hommes qui se sentent heureux même s’ils n’ont jamais réfléchi sur le problème de la liberté.

III) Tout comme le bonheur, la vraie liberté est une utopie

L’illusion selon laquelle nous serions plus libres dans une situation donnée par rapport à une autre, provient notamment de cette pensée qu’il y aurait une marche croissante vers la liberté. Il n’y a pas d’intermédiaire entre ces deux options : soit nous sommes libres, soit nous ne le sommes pas. Les paramètres qui font entrave à la manifestation de la liberté ne dépendent pas de nous, et le fait de les dépasser ne contribue en rien à la quête de la liberté. En effet, une liberté qui doit être revendiquée n’en est pas une, cela renvoie plutôt au droit ou au pouvoir. Alain s’exprime ainsi dans son livre De l’action : « C’est donc assez d’avoir levé les obstacles d’imagination ; la réflexion ne peut faire plus ». Le bonheur, par contre, s’explique par une tranquillité de l’âme, que cela se conjugue par une plénitude ou une vacuité de l’existence. Mais puisque la vie oscille entre ces deux extrêmes, il n’y a aucune garantie pour être heureux en toute circonstance. On pourrait poser l’hypothèse selon laquelle le bonheur est atteint par l’absence du vouloir, c’est-à-dire que notre état ne dépend d’aucun phénomène qui se produit dans le monde ou sur notre corps. Or ce raisonnement insinue une absurdité, car le motif de notre bonheur serait alors le néant. Comme l’explique Hegel dans ses Encyclopédie des sciences philosophiques : « L’aspiration insatisfaite disparaît lorsque nous reconnaissons que le but final du monde est aussi bien accompli qu’il s’accomplit éternellement ». En tout cas, en supposant que la liberté existe réellement, sa manifestation reflète un désir inconscient de pouvoir agir selon nos propres règles. Mais aussi, elle donne l’occasion de tolérer les imperfections et de corriger indéfiniment nos erreurs. La liberté se conjugue alors avec une complaisance avec nos vices, ce qui nous rappelle constamment à quel point nous sommes imparfaits. Par conséquent, la liberté d’agir, si on peut le désigner ainsi, nous entraîne à nous perfectionner à l’infini, montrant alors un écart impossible à rattraper. Ainsi, le bonheur est loin de nous tant que les imperfections défilent tour à tour dans notre quotidien. C’est l’idée à laquelle nous renvoie cette citation de Leibniz, tirée de De l’origine radicale des choses : « La possibilité est le principe de l’essence, la perfection est le principe de l’existence ».

Conclusion

Nous avons conscience que notre être n’est pas une facticité, mais un événement qui ne peut pas être autrement. Ma liberté dérive alors de mon existence, et la nécessité de cette liberté ne renvoie à aucun autre facteur extérieur. Mais aussi, l’homme se focalise plus précisément dans le concret de son existence, et cela se traduit précisément par l’agir. Par conséquent, l’homme se sent malheureux de ne pas pouvoir effectuer ce qu’il désire, et accuse l’absence de liberté comme source de sa déchéance. En vérité, il n’existe pas de degré de liberté, et si les hommes tombent dans une telle confusion, c’est parce qu’ils assimilent la liberté avec diverses manifestations extérieures. Dans ce cas, la liberté devient sans effet dans la recherche du bonheur, et pourtant l’homme ne peut s’empêcher à rechercher la liberté. Un bonheur éphémère peut-il se considérer comme un bonheur réel ?

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Toute La Philo

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