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La technique peut-elle être violente face à la nature ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Chez l’homme, il s’avère compliqué de délimiter ce qui relève de sa nature et ce qui a été forgé par la culture. Pour la technique en particulier, les comportements basiques sont appris progressivement dès la petite enfance, comme étant un acquis indispensable pour être autonome. Or, cet apprentissage est considéré comme un impératif allant de pair avec la croissance corporelle, de sorte qu’une maladresse dans la marche ou la parole par exemple serait une sorte d’handicap. En mettant la technique en exergue, nous avons tendance à penser que la technique est ce qu’il y a de plus naturel à l’homme. Mais selon cette définition proposée par Lévi-Strauss dans un entretien effectué par Georges Charbonnier : « La nature, c’est tout ce qui est en nous par hérédité biologique ». Ainsi, la technique s’impose toujours davantage, en oubliant qu’elle ne peut pas effacer totalement la nature de l’homme. La nature et la technique peuvent-elles cohabiter chez l’homme et dans le monde physique ? Nous allons traiter cette problématique à travers les trois paragraphes suivants : premièrement, la technique transforme le monde naturel selon les besoins de l’homme ; deuxièmement, les conséquences de la technique se traduisent par les buts pervers de l’homme ; et troisièmement, la nature n’a pas son mot à dire face à la technique.

I) L’homme serait inconfortable dans un monde à l’état brut

Dans les époques lointaines, il fut un temps où l’homme vivait de ce que la nature lui offrait, et ses besoins se limitaient à ce qui est de plus essentiel pour survivre. Cela dit, il doit fonder son habitat à proximité d’un point d’eau et où le gibier et les fruits sauvages sont abondants. Dans ces conditions rudimentaires, l’homme a pu quand même laisser des descendances, ce qui signifie qu’il possédait les moyens et les capacités pour s’y adapter.  Mais puisque la nature n’est plus aussi généreuse qu’auparavant, l’homme est alors dans l’obligation de renforcer ses moyens de subsistance via la technique. Dans la même foulée l’hostilité de la nature suggère à l’homme à transformer ses besoins. C’est pourquoi Bergson affirmait ceci dans L’Evolution créatrice : « Quelque chose a grandi, quelque chose s’est développé par une série d’additions qui ont été autant de créations. C’est ce développement même qui a amené à se dissocier des tendances qui ne pouvaient croître au-delà d’un certain point sans devenir incompatibles entre elles ». Même si la chasse et la pêche nécessitaient déjà des outils efficaces, c’est l’intelligence de l’homme qui se trouve même développé par des buts plus élargis. C’est pourquoi la technique ne consiste plus à exploiter les ressources naturelles, mais plutôt à créer des ressources par des moyens artificiels, dont le plus évident est l’agriculture. Par conséquent, les rendements offerts par la technique peuvent être moins importants que ceux de la nature, toutefois l’homme peut prévoir le moment précis et la durée pour consommer ce produit. C’est en ce sens que la notion de confort entre en jeu, c’est-à-dire un mélange d’abondance et de tranquillité, ajouté à une qualité qui a été personnalisée avec minutie. Voici l’explication fournie par Sartre dans ses Cahiers pour une morale : « Il est vrai de dire qu’on m’ôte ces possibilités mais il est aussi vrai de dire que j’y renonce ou que je m’y cramponne ou que je ne veux pas voir qu’elles me sont ôtées ou que je me soumets à un régime systématique pour les reconquérir ». Même en connaissant très bien le changement des climats et la variété de la faune et de la flore, l’homme doit suivre le rythme proposé par la nature. Vivre selon la nature n’est aucunement confortable pour l’homme, puisque ces conditions d’offre le plongent dans une inquiétude permanente quant au lendemain. Et sachant que la technique a toujours été présente pour profiter des subsistances proposées par la nature, son rôle sera désormais de lui procurer un bien être nettement supérieur. En effet, une situation inconfortable présente un impact notoire sur la santé et la longévité, ce qui réduit à néant les efforts pour se conserver. Par la technique, l’homme bâtit un milieu qui lui permet de vivre sans dépendre totalement de la nature. Les besoins de l’homme se focalisent désormais dans ce qui lui procure du confort, ce qui tend à renoncer petit à petit aux dons de la nature. Comme disait Hegel dans sa Propédeutique philosophique : « Celle qui a préféré la vie à la liberté, et qui se révèle impuissante à faire, par elle-même et pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de la servitude ».

Bien que les ressources naturelles soient gratuites et abondantes, leur accès est parfois très difficile et la satisfaction qu’elles offrent est très limitée. Rappelons cependant que la recherche du confort transforme non seulement le mode de vie de l’homme, mais également sa façon de penser le monde et lui-même.

II) La technique est devenue une représentation de la suprématie de l’homme

L’agir humain diffère de l’instinct animal dans le sens où l’homme vise des objectifs au-delà de ce qu’il effectue dans le concret. Il est vrai que la technique concerne essentiellement la pratique, mais cet agir dépasse largement le cadre du besoin. Une société technicienne aura pour première conséquence une tendance à l’oisiveté, ce qui est tout à fait contraire à la nature humaine. Ne rien faire est en effet une passion très forte qui subsiste à l’intérieur de chacun, mais les caractéristiques de la technique actuelle ont donné libre cours à sa réalisation. C’est la nature de l’homme que la technique a transformé en premier lieu. Comme disait Francis Bacon dans Essais de politique et de morale : « C’est un désir singulier que de rechercher le pouvoir pour perdre la liberté, ou de rechercher le pouvoir sur autrui en perdant le pouvoir sur soi-même ». Pour réaliser ce désir, l’homme est dans l’obligation d’exploiter la nature de manière abusive, et le type d’instrument qu’il concevra devrait donc atteindre cette performance. Derrière ce projet se cache en effet une ambition selon laquelle l’homme doit se placer en dessus de la nature, même s’il en fait partie. Afin de prouver sa supériorité, il dénigre les comportements simplistes de l’animal qui sont guidés par l’instinct de survie. Par conséquent, les problèmes liés à la destruction de l’environnement sont considérés comme un problème devant également se régler par la technique. Cette idée se met en parallèle avec ce passage du Par-delà le Bien et le Mal de Nietzsche : « La vie elle-même est essentiellement appropriation, agression, assujettissement de ce qui est étranger et plus faible, oppression, dureté, imposition de ses propres formes, incorporation, et, tout au moins, exploitation ». Étant donné que l’homme et la nature ont été dénaturés par la technique, il existe un nouvel équilibre qui s’établit entre ces divers éléments du monde. Cela dit, la destruction de l’environnement devient une réalité incontournable qui participe à cet équilibre, et dont l’aggravation va croissant avec le progrès technique. Bien que l’homme ait parfaitement conscience que la situation n’est pas intenable dans le long terme, il n’a pas le courage de renoncer à ce progrès. La stagnation signifie la mort de tout un système, donc la disparition du monde artificiel qu’il a créé, alors que la nature ainsi mutilée ne peut plus subvenir à ses besoins. Si auparavant la nature était peu accueillante pour l’homme, actuellement ce dernier risque de ne plus avoir d’espace habitable à cause de son pouvoir sur la nature. « Mais l’extermination supprime la puissance en supprimant l’objet. Ainsi, il y a, dans l’essence même de la puissance, une contradiction fondamentale, qui l’empêche de jamais exister à proprement parler », déclare Simone Weil dans Oppression et liberté.

L’homme a pris son destin en main en se forgeant des projets ambitieux et en les réalisant par le progrès technique. La responsabilité lui incombe alors pour restaurer son environnement qui est en pleine dégradation, mais également face à ce qu’il est devenu suite à la dépendance à la technique.

III) L’homme considère la violence uniquement pour les choses qui le concerne

Selon un point de vue objectif, il est tout à fait naturel à l’homme de maîtriser la technique, au même titre qu’il n’éprouve aucune difficulté pour comprendre le monde via la connaissance. Qui plus est, la technique propose une utilité directe par rapport à la connaissance théorique, ce qui montre qu’il est tout à fait légitime pour l’homme de disposer de ce savoir-faire. Mais dans les faits concrets, il n’a pas su profiter de cet avantage en usant mal de son bon sens. En d’autres termes, il n’a pas pensé à l’ensemble des paramètres touchant directement à son être en suivant la révolution technicienne. Comme disait Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines me paraît être celle de l’homme ; et j’ose dire que la seule inscription du temple de Delphes contenait un précepte plus important et plus difficile que tous les gros livres des moralistes ». Afin que la technique puisse mieux servir, on aurait dû réfléchir et connaître l’homme, puisqu’il est le principal acteur et bénéficiaire de la technique. En effet, c’est un être égoïste qui ne pense qu’à lui-même, mais incapable de se penser selon sa véritable essence. Il se soucie des questions écologiques seulement au moment où il a conscience que sa disparition sera imminente, à cause de ce qu’il a fait. Rien ne nous empêche d’admettre que la nature et la technique font bon ménage, et que l’homme serait tout à fait capable de les mettre en parallèle s’il avait le bon sens d’y penser bien avant. Habermas disait ceci dans La technique et la science comme idéologie : « Un comportement déviant, enfreignant les normes en vigueur, provoque des sanctions qui ne sont liées aux règles qu’extérieurement, c’est-à-dire par convention ». En plongeant tête baissée à perfectionner la technique, l’homme ne se rendait pas compte qu’il était violent contre la nature. Après tout, il pense agir normalement ainsi parce qu’il a affaire à des êtres de la nature qu’il considère d’emblée comme inférieurs à lui. Cependant, la technique ne fait pas violence sur la personne de l’homme, puisque c’est par sa propre volonté qu’il a décidé de lui faire confiance. La nature, pour sa part, déploie une activité intérieure qui engendre la vie, ce qui est en relation étroite avec tous les éléments présents dans le milieu. Toutefois, elle subit les effets de la technique humaine et réagit en conséquence via des dérèglements qui lui sont étrangers. Dans ses Pensées, Pascal s’explique en ces termes : « Se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que sa curiosité se changeant en admiration il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption ».

Conclusion

Au fil du temps, les caprices de la nature forment un danger de plus en plus imminent, ce qui le pousse à déployer davantage de précaution et de prévention. La nécessité a fait alors que la forme des activités doit permettre à l’homme de prévoir aussi loin que possible. En vérité, la technique devient une norme à laquelle la société ne peut pas échapper, et servant surtout à mesurer le progrès humain. La technique est alors un moyen de dépasser les potentiels de la nature, et dans la même foulée l’homme doit également nier le fait qu’il soit un être de la nature. D’un côté, l’homme sait pertinemment que la technique lui est d’une grande utilité, mais de l’autre il a omis de se connaître lui-même. La véritable violence s’observe alors lorsque la nature ne se reconnaît plus dans ses propres fonctions. Une nature restée intacte peut-elle survivre éternellement ?

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