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Être technicien signifie-t-il être savant ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La valeur de l’homme est estimée selon son intelligence, et cela se traduit par les différences de rémunération parmi les catégories professionnelles. Hormis les expériences et les compétences proprement dit, il existe une distinction très subtile dans le monde du travail qui classifie les métiers scientifiques comme plus prestigieux. Cette opinion très répandue est déjà acquise dans les collèges et les lycées, pour se réaliser inconsciemment par la suite. En vérité, les hommes sont plus impressionnés par la science, en la considérant comme l’œuvre des génies, et pensent que la littérature est facilement compréhensible par la plèbe, donc ne présente aucun attrait. Mais comme disait Aristote dans ses Seconds Analytiques : « L’opinion s’applique à ce qui, étant vrai ou faux, peut être autrement qu’il n’est : en fait, l’opinion est l’appréhension d’une prémisse immédiate et non nécessaire ». Concernant toujours la connaissance, la plèbe considère également la technique comme faisant partie de l’arène de la science. La technique est-elle du domaine de la connaissance théorique ou celui de l’expérience pratique ? Nous allons répondre à cette problématique à travers ces trois paragraphes qui suivent : premièrement, la technique est à la base de tout l’édifice historique et culturelle ; deuxièmement, la connaissance fournit une base solide pour l’identité de l’homme ; et troisièmement, certains hommes sont destinés à être savants, et d’autres excellent uniquement dans le domaine de la technique.

I) La technique témoigne de l’évolution de l’humanité

Les événements historiques retracent les faits qui ont marqué les civilisations, pour constituer le caractère universel de l’humanité, dépassant les frontières géographiques et le temps. La désignation de l’humanité s’étale dans tout l’espace temporel où on a pu écrire une histoire, et le contenu reflète toujours et déjà des œuvres significatives de la part d’un peuple. Autrement dit, si l’hypothèse selon laquelle l’homme traversait autrefois l’état sauvage était vraie, cela aurait dû être retracé par l’histoire. Pour qu’une situation puisse être remémorée, il faut des éléments qui témoignent de son importance, tels que les monuments et différents héritages culturels. Ainsi, la technique est un élément indispensable pour se bâtir un environnement culturel. Voici une explication fournie par Auguste Comte dans son Plan de travaux nécessaires pour réorganiser la société : « La civilisation consiste, à proprement parler, dans le développement de l’esprit humain, d’une part, et, de l’autre, dans le développement de l’action de l’homme sur la nature, qui en est la conséquence ». L’intervention de l’homme se fait toujours avec l’usage de la technique : ce qui le distingue de l’animal, c’est l’usage des outils avec lesquels il laisse des marques dans la nature. Une fois que l’homme a occupé un espace, son passage est fortement remarqué via les traces de ses activités, qui ont servi un bon nombre d’outils. En d’autres termes, l’homme se reconnaît par sa nature technique, et nous pouvons même affirmer que les barbares qui étaient classés comme des sauvages détenaient des outils qui leur sont propres. Les événements passés constituent l’histoire une fois qu’ils sont écrits, mais la première forme d’humanité a été prouvée avec la découverte des outils ou des traces de ces outils. Comme le fait remarquer Buffon dans cet extrait de De la nature de l’homme : « On conviendra que le plus stupide des hommes suffit pour conduire le plus spirituel des animaux ; il le commande et le fait servir à ses usages, et c’est moins par force et par adresse que par supériorité de nature, et parce qu’il a un projet raisonné, un ordre d’actions et une suite de moyens par lesquels il contraint l’animal à lui obéir ». La technique a toujours été présente dans toutes les formes de cultures et dans toutes les époques. Et de nos jours, elle s’impose encore en accumulant et en améliorant les savoir-faire hérités des générations antérieures. Notons toutefois que la technique est toujours vivante par son utilité pratique, et nous pouvons également estimer son évolution dans le temps en observant la structure des ouvrages datant d’une autre époque. Chaque outil représente un degré de technicité à travers lequel nous pouvons évaluer les différentes formes d’intelligence que l’homme déploie en chaque circonstance. Cette manifestation extérieure de l’intelligence renvoie à la création de nouvelles conditions qui sont propres à l’homme, servant à assurer la survie de l’espèce. Dans son livre L’évolution créatrice, Bergson énonce d’ailleurs ceci : « L’intelligence envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originale, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication ».

Sans la technique, il aurait été difficile de délimiter la frontière qui sépare l’homme et l’animal, notamment dans son mode de survie qui reflète essentiellement l’aspect culturel. Mais il est un domaine encore plus spécifique, à savoir la connaissance, qui se développe indépendamment de la technique.

II) Le désir de connaître découle de la nature de l’homme

L’éducation est une étape essentielle pour la formation de l’être humain vers l’âge adulte, et dont les connaissances élémentaires incluent les sciences. Pour un enfant, il ne peut pas envisager avec précision l’utilité future de ces enseignements, pourtant il s’émerveille déjà en découvrant comment fonctionne le monde au-delà de ce qu’il peut percevoir. Chez l’homme, être ignorant est une offense que la richesse et le prestige social ne pourraient pas occulter, car cela renvoie à une incapacité intellectuelle ou à un simple intérêt pour les choses corporelles. Ainsi, le désir de connaître est purement désintéressé, bien que la science puisse rendre mille services au quotidien de l’homme. Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, énonce ceci : « C’est la faculté de se perfectionner, faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu ». Notons également qu’il existe des degrés dans l’acquisition de la connaissance, où celui qui atteint le stade suprême est dénommé savant. Cela dit, les personnages illustres qui concevaient les ouvrages importants étaient des savants dans leur temps, car ils s’intéressaient à l’ensemble de l’univers qui puisse être connu. Plus tard, la science a acquis de plus en plus de spécialisation, et les scientifiques reçoivent également des titres propres à leur domaine. De nos jours, la dénomination de savant s’attribue de manière figurée, car les branches de la connaissance sont actuellement très approfondies qu’il s’avère impossible qu’un individu puisse tout maîtriser. Schelling fait d’ailleurs la remarque suivant dans son livre Leçons sur la méthode des études académiques : « Celui qui n’a pas lui-même l’idée universelle de la science est assurément tout à fait incapable de l’éveiller en autrui. Celui qui consacre ses soins, du reste honorables, à une science subordonnée et limitée, celui-là est impropre à s’élever jusqu’à l’intuition d’une totalité organique des sciences ». Toutefois, devenir savant est une ambition tout à fait légitime pour l’homme, ne serait-ce que pour l’effort de se construire intellectuellement. Nous pouvons alors faire un rapprochement et désigner de nos jours un homme cultivé comme savant. Être cultivé ne signifie pas nécessairement avoir plusieurs diplômes dans plusieurs disciplines, mais quelqu’un qui façonne son esprit à une ouverture sur le monde des hommes. Il ne connaît les choses qu’en généralité, toutefois il peut offrir une explication claire et bien posée sur les évènements qui se produisent. Bien évidemment, un homme cultivé n’est pas un savant, mais les connaissances qu’un savant possède sont nettement mieux exploitées chez celui-ci. Dans ses Règles pour la direction de l’esprit, Descartes confirme cette thèse en ces termes : « La connaissance d’une vérité ne nous empêche pas en effet d’en découvrir une autre, comme l’exercice d’un art nous empêche d’en apprendre une autre, mais bien plutôt elle nous y aide ».

En matière de connaissance, l’homme place une importance capitale dans le fait d’être savant, c’est-à-dire acquérir autant que possible le maximum de savoir sur tout. Pourtant, la voie choisie par le technicien est tout à fait indépendante de celle du savant.

III) La technique s’appuie essentiellement sur l’intelligence

L’homme est un être complexe qui sait conjuguer l’utile et l’agréable, ce qui est également valable pour le domaine intellectuel. D’une part, être technicien requiert des compétences bien précises, notamment l’habileté des mains associée à la capacité d’adaptation de l’outil avec une difficulté à résoudre. D’autre part, être savant est une disposition très élevée de l’esprit qui n’est pas donné à tout le monde, mais réservé à des individus ayant un quotient intellectuel important. Chaque individu recèle une capacité naturelle à déployer la technique, telle que le potentiel de son corps le permet à un certain degré. Cependant, on ne peut rencontrer un savant, tel que la définition le réclame, qu’après de nombreuses suites de générations et seulement dans une catégorie de peuples déterminée. Ce passage du livre Le rameau d’or de James Frazer offre une illustration à cette idée : « Il nous faut reconnaître une nouvelle province du savoir, dont la conquête exigera les efforts de nombreuses générations de savants ». Ceux qui veulent faire une carrière professionnelle dans la technique doivent appuyer leur savoir-faire avec certaines bases théoriques. Toutefois, l’enseignement se limite sur des sujets concernant ce domaine précis, donc le technicien, de par sa spécialité, ne peut se prétendre être un savant. Et par l’application de ses connaissances pratiques, il ne peut non plus se désigner comme maître du monde. L’intelligence du technicien est consacrée dans la résolution de problèmes pratiques, tandis que le savant est mieux placé pour penser le monde, anticiper son évolution et suggérer des stratégies pour le transformer. Le technicien a toujours été présent dans chaque société d’homme et depuis des générations, et d’ailleurs tout homme intelligent peut faire preuve de technicité sans être pour autant un professionnel. Nietzsche, dans Humain trop humain, énonce ce passage : « Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la plus grande intelligence leur sont le plus agréable et où ils ne veulent pas d’autre part éprouver d’envie ». La valeur du savant et celle du technicien ne peut être comparée, puisqu’ils occupent respectivement des tâches bien distinctes et tout aussi importantes pour la société et, dans une perspective plus large, pour l’humanité. Si on dévalorise le technicien comme étant un métier plébéien, son découragement aura des conséquences très palpables dans le monde du travail. Et si on pointe du doigt les individus qui aiguisent leur connaissance comme étant infructueux pour la société, alors l’humanité n’aura plus d’icône sur lequel adresser sa fierté. Tout compte fait, les savants peuvent être incompétents dans les travaux techniques, tandis que l’intelligence des techniciens est le plus souvent limitée dans leur propre domaine. C’est en ce sens qu’Alain, dans Mars ou la guerre jugée, exprime ceci : « Ces morts qui nous gouvernent sont de tous pays et de toutes époques. Immortels. Homère, Platon, Archimède, le Christ, Marc Aurèle, Montaigne,  Descartes, tous les penseurs, tous les inventeurs d’idées ou de machines pensent et agissent avec nous ».

Conclusion

Toute culture inclut une technique qui lui est propre, révélant le degré d’intelligence par lequel le peuple voudrait modeler la nature à leur goût. C’est à partir du moment où l’homme a fait usage de la technique que l’histoire de l’homme puisse avec un contenu pertinent. Mais sans la connaissance, l’homme demeure également un être quelconque placé de manière fortuite dans la nature. Plus qu’un simple scientifique, un savant possède un esprit éclairé qui embrasse divers domaines avec un certain approfondissement. Cela dit, le technicien n’a pas besoin d’acquérir toutes les connaissances existantes pour être efficace dans son domaine. En somme, les dons et les savoir-faire sont répartis de façon aléatoire chez les êtres humains, ce qui fait que les uns sont très adulés grâce à la rareté de leur talent, et d’autres comme seulement nécessaires. La technologie, embrassant la science et la technique, est-elle un domaine propre aux savants ?

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