Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Nombreuses sont les situations que je n’ai pas choisies de par ma naissance, et qui ne contribuent pas de manière positive sur ma vie. Parallèlement, la société requiert de moi une image parfaite, c’est-à-dire dans le sens de l’apparence, car l’on sait pertinemment que tout le monde n’est pas parfait. Ma position devant les autres devient alors ambigüe, car je ne suis pas satisfait de ce que je suis alors qu’autrui me donne une pression pour ressembler à tout le monde. Tel est, dans le concret, la réalité vécue au quotidien lorsqu’on ne peut pas échapper à la présence d’autrui. Mais cela est une nécessité que je dois assumer, car moi-même n’est pas toujours satisfait des autres. « Nous prenons en main notre sort, nous devenons responsables de notre histoire par la réflexion, mais aussi bien par une décision où nous engageons notre vie, et dans les deux cas il s’agit d’un acte violent qui se vérifie en exerçant », déclare Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception. D’après cette remarque, j’ai le pouvoir et la volonté de tracer ma destinée, donc ce que je deviens est le fruit de mes choix et de mes efforts. Le regard d’autrui est-il vraiment important pour moi ? Cette problématique sera traitée de long en large à travers les trois paragraphes suivants : d’une part, je possède un droit inaliénable sur mon corps et mes pensées ; d’autre part, autrui me juge en voyant le décalage entre ce qui est et ce qui doit être ; et pour terminer, un jugement impartial ou biaisé de la part d’autrui contribue à forger mon identité.
I) Mon existence est le concours des choses innées et créées
Mes pensées se focalisent tout d’abord sur ce que je suis, et la première sinon l’unique chose à laquelle je ne peux pas échapper est mon corps. Mon quotidien ne se limite pas à rechercher ma subsistance, il doit s’accompagner d’une recherche de sens. Ainsi, le contenu de mes pensées s’oriente vers ce qui remplit mon existence de valeur, et essentiellement concernant mon corps. Plus qu’un simple outil à ma disposition, mon corps est l’enveloppe par laquelle je peux affirmer qui je suis. Il est le point focal où se concentrent mes désirs, mes frustrations, mes anticipations, et même mes pensées sont désormais à son service. Avant de me concentrer sur mon entourage, c’est moi qui m’intéresse, le reste sera considéré en fonction de ce que je suis. Kierkegaard énonce cette thèse dans son Post-scriptum non scientifique et définitif aux miettes philosophiques : « Il pourrait donc sembler exact de dire qu’il y a une chose qui se refuse à la pensée : l’existence. Mais la difficulté reparaît : l’existence rétablit la connexion, du fait que le sujet pensant existe ». Bien que son apparence me soit imposée et que je ne pourrai pas changer grand-chose sur ma nature corporelle, il importe de donner un sens à ce qui advient de mon corps. La tendance vers la vieillesse est quelque chose d’inévitable, mais cela doit se rapporter à une signification précise. Si la laideur est quelque chose que je n’ai pas choisi, elle devrait au moins avoir un sens pour que je puisse la supporter. A l’encontre des opinions répandues, le corps détient une importance capitale sur ma destinée, non seulement pour sa beauté, mais aussi pour la santé, les talents, les descendances, en somme pour le bonheur. « Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur : c’est par nature, nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de la douleur », affirme Schopenhauer dans le Monde comme volonté et comme représentation. Dans la vie, ce n’est vraiment pas l’utilité qui compte, ceci n’est qu’un passage obligé pour atteindre un résultat qui ait un sens. Toutes mes actions dépendent alors de ce qui est, et la liberté de mes pensées ne peut pas aboutir à quelque chose qui est en totale déconnexion avec ce qui est. Toutefois, les projets que je réalise sont le fruit des significations que j’ai assigné aux choses, et ce sens ne coïncide pas nécessairement à un idéal qui est irréalisable la plupart du temps. Je ne peux donner de sens à quelque chose qui n’est pas, mon corps est la première chose qui est et qui me concerne. Kant confirme cette thèse par cet extrait de la Critique de la Raison pure : « Nul homme ne saurait, par de simples idées, devenir plus riches de connaissances, pas plus qu’un marchand ne le deviendrait en argent, si, pour augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à l’état de sa caisse ».
Je suis ce que je suis par mon corps et par les pensées que je débite sur mon corps, engendrant des actions qui peaufinent mon existence. Autrui, pour sa part, émet des pensées à mon sujet, et mon corps n’échappe pas non plus à sa réflexion, par la suite toutes les situations engendrées par cette nécessité.
II) Les jugements d’autrui se basent sur des idéaux de la société
Moi et autrui entretenons une relation identitaire, or cela ne réduit par la distance qui existe entre nos corps respectifs. Sans être curieux, il remarquera aussitôt les imperfections qui remplissent ma vie, et essayera de les corriger avec une attitude courtoise. Il se peut qu’il me les suggère avec sincérité, en voulant me faire sortir de la difficulté dans laquelle je suis plongé. Mais en vérité, c’est autrui qui est le premier à ne pas tolérer mes imperfections, c’est pourquoi il avance des solutions à des choses qui ne sont même pas problématiques. En refusant ses propositions, je serai alors considéré comme incapable à m’adapter à la norme. Comme disait Jean Paul Sartre dans sa Critique de la raison dialectique : « Ainsi l’homme est objectivement constitué comme inhumain et cette inhumanité se traduit dans la praxis par la saisie du mal comme structure de l’Autre ». En effet, les divergences d’opinions ne devraient pas avoir lieu, leur cause provient en effet de la disparité des phénomènes qui échappent à la compréhension de chacun. La société a préalablement établi des normes qui prescrivent le Bien, le Beau, le Vrai, tel qu’on peut l’observer en général dans la vie de tous les jours. Basée sur des réalités statistiques, cette évaluation ne tient pas compte des exceptions, et cette minorité négligeable est classée comme des erreurs devant être corrigées. Sachant que ces généralités se répandent dans l’inconscient collectif, autrui s’en servira alors pour juger de mon cas. Montaigne, dans ses Essais, émet d’ailleurs la remarque suivante : « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Le jugement d’autrui n’est pas faux, car il dispose d’une base solide pour appuyer ses dires. C’est moi qui dévie de la norme, c’est moi qui subis l’évaluation et je n’ai aucune excuse de n’avoir pas suivi les prescriptions de la société. Les défauts et les erreurs sont inexcusables, et face à ces anomalies la société a prévu des remèdes efficaces afin que je ressemble à tout le monde. Dans un jugement sain, il n’y a pas de tolérance, car cela renvoie à une certaine complaisance dans le mal. Et surtout, un jugement vise une action ultérieure, c’est-à-dire qu’il n’est jamais neutre. En vérité, quelle que soit la prétendue neutralité du jugement, c’est en quelque sorte une révélation de la pensée d’autrui. Dans sa Logique de la philosophie, Eric Weil s’explique en ces termes : « Ils sont en désaccord sur la façon de vivre, parce qu’ils sont en accord sur la nécessité d’une façon : il ne s’agit que de compléter et de préciser. Ils acceptent le dialogue, parce qu’ils ont déjà exclu la violence ».
Autrui ne comprend pas pourquoi je suis différent de tout le monde, mais il ne peut pas faire l’effort d’orienter son jugement vers des propos qui me justifient. Je ne peux pas empêcher autrui de me juger, mais je n’ai non plus l’obligation de suivre ses opinions ni ses recommandations.
III) Mon propre jugement et celui d’autrui sont le plus souvent conflictuels
D’une manière abstraite, je suis identique à autrui qui est un autre sujet comme moi, cependant nous n’habitons pas le même corps, donc nos conditions de vie sont totalement différentes. Autrement dit, autrui peut me juger mais il ne peut pas prendre ma place, et si c’est quelqu’un qui a autorité sur moi, ce jugement se transforme aussitôt en ordre. Un jugement est constitué par des mots, or ces mots ayant une connotation péjorative ont une influence importante sur l’estime de soi. Même si son contenu reflète la réalité, cela entraîne une culpabilité en celui auquel il est adressé. Et dans le cas où il a été exagéré, les conséquences en seront encore pires. Cette description fournie par Alain dans ses Eléments de philosophie en est un illustration : « Le jugement est cette décision prompte qui n’attend point que les preuves la forcent, qui achève et ferme un contour par un décret hardi, tenant compte aussi de ce qu’on devine, de ce qui est ignoré, de ce que l’homme doit à l’homme, mais sans peur, et prenant pour soi le risque ». Les hommes sont faits pour converser entre eux, ils échangent leurs idées et leurs points de vue, mais par politesse, ils peuvent se retenir en ne prononçant pas des jugements. Et même si autrui se tait, son silence signifie déjà un jugement que je pourrai interpréter. Après tout, la réflexion sur un fait aboutit vers une prise de position, ce qui est le plus souvent dirigé par les idées dominantes. Que les propos d’autrui soient une idée vraie ou une simple opinion à mon égard, le plus blessant c’est qu’il remet en surface un handicap dont je ne peux pas me débarrasser. Et le plus manifeste de tous, c’est un défaut concernant mon corps. « Qu’importe dans notre réelle détresse la question de l’essence de la vérité puisqu’elle s’écarte de toute réalité ? La question de l’essence n’est-elle pas le problème le plus inessentiel et le plus gratuit qu’on puisse se poser ? », écrit Heidegger dans ses Questions I. Le jugement n’est même pas une question de droit, il découle naturellement de la bouche de chacun. Un jugement blessant n’implique pas davantage de motivation ou de pouvoir pour changer, car moi-même j’ai constaté mes défauts avant tout le monde. Mais même si je possède d’innombrables défauts, je pourrai toujours faire preuve d’une force de caractère et être fier de ma réussite personnelle. Il est vrai que mon identité est marquée par ces défauts corporels, et c’est ce qui m’empêche de vivre heureux malgré mes exploits. Il est très facile pour autrui de me conseiller à aimer mes défauts, mais cela ressemble plutôt à un jugement déguisé plutôt qu’à une consolation. Nietzsche, dans son livre Aurore, s’exprime selon ces termes : « Ah ! Qu’il me répugne d’imposer à un autre mes propres pensées ! Combine je trouve de joie dans chacune des humeurs, chacun des secrets revirements intimes où je rends justice aux pensées des autres au détriment des miennes ! »
Conclusion
Il est clair que je n’ai pas le pouvoir sur tout ce qui est, et même ma disposition corporelle n’a pas été agencée à l’avance comme je l’aurais souhaité. Mon corps, la réalité capitale qui m’est attachée, dicte ce que la pensée doit nécessairement penser. Puisque moi et autrui sommes tous deux sujets, nous nous focalisons sur l’être de l’autre, non seulement par la conversation mais aussi par l’observation de notre quotidien. Cependant, je ne représente pas nécessairement cet idéal qu’on fait miroiter dans ces propos communément admis. Une compréhension mutuelle n’engendre pas un jugement, et un effort de compréhension ne serait pas nécessaire si tout le monde se ressemblait. Le regard d’autrui n’augmente ni ne diminue mes défauts, il me rappelle constamment que je suis attaché à un corps que je ne veux pas. Autrui peut-il prendre ma place ?