Dissertations

L’amour du prochain est-il une affaire de conscience ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’amour paraît résoudre tous les problèmes de notre quotidien, il est même considéré comme un devoir dans certains cas. Étant un mélange d’admiration et de sympathie pour autrui, il recèle pourtant des causes extérieures que nous n’arrivons pas toujours à expliquer. Cela se traduit par les liens qui existent entre les membres d’une famille, où il est tout à fait normal de veiller les uns sur les autres sans contrepartie. En effet, il faut vivre dans un cercle rempli d’affection pour connaître ce qu’est réellement l’amour, et c’est dans ce cas précis que nous nous rendons compte de son importance. Voici un extrait du Journal du séducteur de Kierkegaard qui nous donne son point de vue sur un aspect particulier de l’amour : « Je suis un esthéticien, un érotique, qui a saisi la nature de l’amour, son essence, qui croit à l’amour et le connait à fond, et qui me réserve seulement l’opinion personnelle qu’une aventure galante ne dure que six mois au plus, et que tout est fini lorsqu’on a joui des dernières faveurs ». L’on constate que l’amour peut être utilisé pour des fins personnelles et égoïstes, alors que ses manifestations extérieures sont toujours appréciées par le grand nombre. Autrui peut-il m’aimer inconditionnellement ? La réponse à cette problématique sera donnée dans la série de paragraphes ci-dessous : premièrement, tout être humain sans distinction mérite des traitements égalitaires ; deuxièmement, je ne peux pas me lier d’affection avec quelqu’un qui m’est étranger ; et troisièmement, l’amour basé sur la conscience ne dure pas longtemps.

I) J’aime mon prochain comme moi-même

D’une manière abstraite, autrui se comprend sur le plan métaphysique, dans le sens où il ne se réfère pas à un individu particulier. Désignant un être humain quelconque, elle représente l’ensemble de l’humanité au-delà des frontières et des époques. Toutefois, il est compliqué d’attribuer des caractéristiques communes à ces individus composant l’humanité, puisqu’ils se distinguent nettement les uns les autres. Dans le concret, je peux désigner par cette appellation un inconnu que je rencontre pour la première fois, sans relation particulière avec moi, mais que je reconnais pourtant comme mon égal. Par conséquent, je lui attribue des conditions de vie semblables au mien, et je peux généraliser une manière d’être qui est propre à tout être humain. Comme disait Hegel dans sa propédeutique philosophique : « En face de l’autre, chacun est absolument pour lui-même et singulier, et il exige, en outre, d’être tel pour l’autre et d’être tenu pour tel par l’autre, d’avoir dans l’autre intuition de sa propre liberté comme d’une liberté d’un étant-en-soi, c’est-à-dire être reconnu par l’autre ». Bien que je ne connaisse pas grand-chose à propos d’autrui, je suis convaincu qu’il vit et ressent les mêmes choses que moi. Cette reconnaissance provient non seulement de ce que je puisse saisir par mes sens, mais surtout par le fait que je suis un être pensant, et que j’ai conscience de cet état. Sans avoir tissé une conversation avec autrui, je réalise qu’il pense selon les mêmes modalités que ma pensée, et qu’il comprend pertinemment mes idées parce qu’il est capable de penser tout comme moi. Et même en observant la structure de son corps, je suis enthousiaste par le fait que son apparence physique offre des détails insoupçonnés, mais qui remplissent toutes les fonctions et conditions d’un corps humain. Comme disait Voltaire dans ses Essais sur les mœurs : « Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes ». Autrui est donc un autre moi que je respecte, ce qui s’accompagne d’une certaine bienveillance. Je ne tolère pas qu’il puisse subir la moindre douleur ou chagrin, car j’en ai déjà fait l’expérience auparavant. Je contribue à ce qu’il ne manque de rien, parce que ses peines et soucis m’affectent au même degré. Ainsi, l’amour du prochain se concrétise essentiellement par des gestes concrets, sans demander quelque chose en retour. Mais également, il se manifeste par des pensées positives à son égard, entre autres l’acceptation des différences culturelles ou encore la tolérance dans la religion. Ainsi, les œuvres caritatives et les prestations sociales traduisent fidèlement ce sentiment humanitaire, un geste symbolique qui touche le cœur bien qu’il ne transforme pas la structure de la société. Dans son Catéchisme positiviste, Comte s’exprime comme suit : « Ainsi, le positivisme, en réduisant toute la morale humaine à vivre pour autrui, se borne réellement à systématiser l’instinct universel, après avoir élevé l’esprit théorique jusqu’au point de vue social, inaccessible aux synthèses théologiques ou métaphysiques ».

Par la compréhension de la notion d’humanité, je conçois des pensées positives à l’égard de mon prochain, ce qui me pousse à me préoccuper davantage des choses qui le concernent. Toutefois, il existe une approche plus directe que j’entretiens avec mon prochain, cette fois-ci selon des règles préétablies.

II) Les relations avec un proche créent un amour sincère

Étant donné que l’homme est un être social, il est naturellement enclin à former un groupe d’individus basé sur des critères prédéfinis. Selon une nécessité biologique, l’être humain fonde une famille et cohabite avec ses membres. D’après la réalité économique, il tisse des relations commerciales avec d’autres individus proposant des biens et des services. Et en vue de créer un système d’appartenance, il s’affilie dans des groupes soulignant une identité particulière. C’est à travers ces cercles bien précis que les hommes se sympathisent en binôme ou en trinôme, affichant ainsi des relations plus complexes par rapport aux simples connaissances. Ainsi, l’affection se transforme en amour, mais avant tout elle requiert une connaissance approfondie de l’autre. Cet extrait de L’Être et le Néant de Sartre confirme cette idée : « Elle entraîne son interlocuteur jusqu’aux régions les plus élevées de la spéculation sentimentale, elle parle de la vie, de sa vie, elle se montre sous un aspect essentiel : une personne, une conscience ». Contrairement à une simple passion éphémère, l’amour se révèle même dans les applications les plus pratiques du quotidien : il s’agit donc d’un sentiment appuyé par une relation quotidienne vie des signes plausibles. Il est clair que deux individus incapables de vivre dans l’harmonie sont dépourvus de sentiments amoureux l’un envers l’autre. Ainsi, la base d’une relation amoureuse est essentiellement la connaissance de l’autre, sur lequel reposent d’ailleurs la confiance et tous les autres principes de la vie commune. Pour ceux qui croient au coup de foudre, leur affection doit être cimentée à la longue avec ces différentes bases élémentaires. Comme disait Alain dans ses Eléments de philosophie : « Et l’amour est un poème, quelque chose qu’on fait, que l’on compose, que l’on veut. Non pourtant quelque chose de libre ; car on aimerait alors ce qui est aimable, au lieu de maudire et d’adorer en même temps, comme il arrive à chacun ». Toutefois, ce ne sont pas tous les individus qui se côtoient qui sont capables de créer des liens aussi forts entre eux. Leur premier attrait se fait certes par des goûts et des intérêts partagés, mais l’intuition leur révèle quelque chose de très spécial chez la personne adverse. Par la suite, leur fréquentation permet de se connaître davantage selon un aspect plus large, en confrontant ensuite les visions des choses. Bien qu’une relation sérieuse résulte d’une sélection minutieuse parmi un groupe d’individus, on peut affirmer que l’affection partagée par le couple est tout à fait sincère. Qui plus est, deux personnes entretenant des liens affectifs réussissent mieux dans leur projet commun qu’avec d’autres partenaires ordinaires, mais la continuité de leur relation ne se base pas pour autant sur des questions de performance. Cette citation extraite du Banquet de Platon illustre clairement cette idée : « Celui qu’on aurait guidé jusqu’ici sur le chemin de l’amour, après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême, verra soudain une beauté d’une nature merveilleuse ».

L’amour d’une personne proche de soi est plus intense, ressentie même dans le silence mais se dévoile par une compatibilité dans le corps et l’esprit. Quant à l’amour du prochain, elle s’adresse à tout le monde sans exception, mais c’est la conscience qui maintient éveillé.

III) Il est de notre devoir d’aimer notre prochain

En général, une vie en société est régie par des lois et des coutumes, mais elle devient plus aisée lorsque ses membres sont soudés par des règles morales. Il serait inconcevable de vivre dans une société où tout est exécuté selon des buts lucratifs : l’altruisme, qui est caractérisé par le don et le partage, souligne en effet une volonté de perfectionner la vie communautaire. S’il existe des institutions dédiées à gérer l’assistance publique, les individus eux-mêmes font preuve de sympathie les uns envers les autres à travers des entraides et sans contrepartie. C’est la satisfaction personnelle d’avoir été utile pendant les moments difficiles qui anime en effet le sentiment altruiste. C’est en ce sens que John Stuart Mill s’explique dans L’Utilitarisme : « Faire ce que nous voudrions qu’on nous fît, aimer notre prochain comme nous-mêmes : voilà qui constitue la perfection idéale de la morale utilitariste ». Toutefois, les témoignages d’amour envers mon prochain n’est pas une obligation, mais ses conséquences seront nettement observables lorsqu’on s’y abstient. Ainsi, j’effectue des actions caritatives de manière ponctuelle selon mes moyens et la bonne volonté dont je dispose. L’amour que j’éprouve pour mon prochain serait alors en vérité une interdiction de faire du mal à autrui, telle que ma conscience morale me le suggère. Or, ne pas faire du mal ne signifie pas pour autant lui faire du bien et s’en soucier à tout moment. Et c’est en ce sens qu’il est considéré comme un devoir : elle nous interpelle uniquement pendant des moments précis, et peut s’exécuter sous forme d’organisation. Tant que c’est la conscience morale qui nous guide, nous ferons des actions par amour du prochain.  C’est pourquoi Kant s’exprime en ces termes dans sa Critique de la raison pratique : « Ce n’est pas autre chose que la personnalité, c’est-à-dire la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière, considéré cependant en même temps comme un pouvoir d’un être qui est soumis à des lois spéciales, c’est-à-dire aux lois pures pratiques données par sa propre raison ». Tout compte fait, la conscience morale n’engendre pas l’amour, alors les affinités réciproques provoquent plus qu’une sympathie. Autrui, incarnant dans sa personne l’humanité, ne m’aime pas vraiment tel que je suis, et même la charité que je lui évoque ne crée pas un lien affectif entre nous. Il est vrai qu’il se tournera vers moi en cas de besoin, mais il se détachera aussitôt de moi s’il n’obtient rien en retour, sans qu’il ressente pour autant une haine envers moi. Un amour inconditionnel est possible uniquement pour deux êtres proches par les liens du sang, ou alors qui se connaissent très bien l’un l’autre pour se faire confiance. C’est pourquoi Hobbes affirme ceci dans son livre Le Citoyen ou les fondements de la politique : « En effet, si les hommes s’entraimaient naturellement, c’est-à-dire en tant qu’hommes, il n’y a aucune raison pourquoi chacun n’aimerait pas le premier venu, comme étant autant homme qu’un autre ; de ce côté-là, il n’y aurait aucune occasion d’user de choix ou de préférence ».

Conclusion

Face à autrui, je me reconnais tel un double de moi dans un miroir, mais c’est un être à part entière fait de chair et de sang. Cet amour du prochain est basé essentiellement sur une égalité abstraite, ce qui se conçoit par la seule pensée et sans recours à l’expérience. Mais à proprement parler, l’amour est donc un lien profond unissant deux êtres, cherchant mutuellement le bien de l’autre et à perpétuer leur relation à travers le temps. A travers cette recherche de stabilité, il est donc nécessaire pour deux personnes qui s’aiment de prévoir toutes les conditions qui puissent améliorer ou nuire leur relation. Dans l’amour du prochain, il n’y a pas de réciprocité, contrairement à l’amour fourni par un proche qui est entretenu par les gestes et mots attentionnés. Ainsi, l’amour du prochain est déjà une preuve d’une éducation morale, ne serait-ce que par sa manifestation extérieure en tant que devoir. La haine est-elle légitime de la part d’autrui ?

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